Le Dr François Krabansky, médecin de santé publique et conseiller technique national à la Caisse centrale de la MSA, répond à nos questions.

Un Ségur de la santé pour quoi faire ?

Comme annoncée par le ministre des Solidarités et de la Santé, Olivier Véran, l’ambition de cette grande concertation est de tirer collectivement les leçons de l’épreuve traversée et faire le lien avec les orientations de Ma santé 2022, l’actuelle stratégie du gouvernement sur le sujet. Le but est de bâtir les fondations d’un système plus moderne, plus résilient, plus innovant, plus souple et plus à l’écoute des professionnels, des usagers et des territoires. La concertation a été largement ouverte aux professionnels et aux syndicats.

Le programme est ambitieux, même si on peut regretter que la majorité des discussions aient tourné autour de l’hôpital, et en particulier de l’hôpital public, alors que la crise a démontré qu’il fallait investir la santé plus largement. Seul le 4e pilier de la concertation, qui avait pour thème « Fédérer les acteurs de la santé dans les territoires au service des usagers », a permis d’élargir les débats. Nous avons formulé dix propositions qui portent notre vision de l’évolution du système de santé. Elles reposent sur nos spécificités, en particulier notre approche globale de la santé sur les territoires et notre guichet unique qui nous permet d’accompagner nos ressortissants tout au long de leur vie.

Nous proposons d’aborder la promotion de la santé en s’inspirant de l’approche One Health1, en défendant une vision globale intégrant santé humaine, animale et environnementale

L’enjeu dépasse la seule crise de l’hôpital public ?

L’hôpital est certes en crise, mais celle-ci n’est pas apparue avec cette pandémie et, à force de régler les problèmes un par un, on finit par tourner en rond. La crise a démontré l’importance de décloisonner notre système entre l’hôpital public, privé et la médecine de ville, mais aussi entre le sanitaire et le médico-social. Si l’implication remarquable des soignants a permis de limiter les conséquences de la crise, il n’en reste pas moins que l’organisation des soins, qui aurait dû les aider dans leur mission, n’était pas assez souple. Les difficultés de coordination entre les professionnels de santé et les obstacles à l’adaptation des organisations ont particulièrement été mises en évidence au plus fort de la crise. Les principaux enjeux révélés illustrent la nécessité d’aborder la santé dans sa globalité afin de privilégier les réponses les plus pertinentes. Une stratégie dans l’ADN de la MSA qui défend une approche transversale de la santé.

Cette crise peut-elle faire évoluer les mentalités des Français ?

Sans application des gestes barrière et sans respect du confinement, les conséquences auraient pu être autrement plus dramatiques. Les Français ont répondu présent et, dans leur grande majorité, fait preuve de responsabilité. Toutefois, nous avons pu observer un manque de connaissance et de maîtrise des comportements favorables à la santé et des attitudes pour faire face à des situations de crise sanitaire. Il est essentiel que les citoyens français puissent devenir plus autonomes dans la gestion de leur santé. Qu’ils soient capables d’adopter les comportements favorables, d’avoir les bons réflexes lorsqu’ils tombent malades. Ils doivent pouvoir également comprendre et intégrer les informations concernant leur santé, ainsi que les risques sanitaires liés aux comportements et aux habitudes de vie. L’environnement social ou économique, le lieu de travail et le milieu de vie doivent aussi participer à rendre la santé meilleure.

La santé est donc l’affaire de tous ?

Bien sûr, mais certains ont besoin d’être plus aidés que d’autres. C’est en autonomisant mais aussi en responsabilisant les citoyens afin de les rendre réellement acteurs de leur santé que nous pourrons diminuer les inégalités sociales et territoriales de santé. Nous proposons d’investir l’apprentissage des comportements favorables à la santé à l’école, de renforcer l’accompagnement des collectivités locales pour le développement d’un environnement favorable à la santé, notamment en instituant un conseil en santé pouvant intégrer des professionnels de santé des territoires, et d’accompagner la population dans l’adoption des comportements bénéfiques à la santé et à la bonne utilisation des soins.

Un dispositif de soutien pourrait viser particulièrement les personnes isolées et précaires en s’appuyant sur des volontaires connaissant bien leur milieu de vie. Il pourrait impliquer les milliers d’élus MSA qui possèdent une connaissance précieuse des besoins de leur territoire. Nous proposons enfin d’aborder la promotion de la santé en s’inspirant de l’approche One Health1, en défendant une vision globale intégrant santé humaine, animale et environnementale. Rappelons que la Covid-19 aurait une origine animale.

L’utilisation des données de santé constitue-t-elle un enjeu pour la santé publique ?

Ces données ont orienté les décisions lors de la crise. Elles ont participé au choix des actions de protection mises en oeuvre. Elles ont aussi servi à informer le grand public. Il devient urgent pour la France de se doter d’une politique claire sur leur utilisation. Cela pour deux objectifs principaux : le premier est d’avoir accès à des données fiables qui, associées à une forte capacité d’analyse, permettront de construire des politiques de santé plus adaptées et efficaces ; le second est d’utiliser ces données, si possible en temps réel, pour fournir à la population une information fidèle à la réalité.

Qu’est-ce que cette crise nous a appris sur nous-mêmes ?

Nous devons devenir une nation de santé publique. La santé doit désormais être considérée dans toutes ses dimensions : sanitaire certes, mais aussi en lien avec l’éducation, le travail, l’environnement et l’aménagement du territoire. La prévention doit être massivement investie. Nous devons mettre les priorités sur les enjeux de santé au sens large et ne plus nous focaliser sur nos seules capacités à soigner.

(1). L’initiative « Une seule santé » est un mouvement créé au début des années 2000 qui promeut une approche intégrée, systémique et unifiée de la santé publique, animale et environnementale aux échelles locales, nationales et planétaire. Elle vise notamment à mieux affronter les maladies émergentes à risque pandémique.

Dix propositions pour fédérer les acteurs de la santé dans les territoires

– Mettre en place une gouvernance territoriale associant tous les acteurs de la santé, du médico-social et du social d’un territoire de santé.

– Étendre le modèle des contrats locaux de santé (CLS) et accélérer la couverture de la totalité du territoire.

– Développer les prises en charge de proximité, notamment les soins entre ambulatoires et hôpitaux de proximité, l’hospitalisation à domicile, la télémédecine et les habitats inclusifs.

– Renforcer les soins de proximité en investissant les interfaces entre ambulatoire, établissements de santé et médico-sociaux.

– Conforter la dynamique des projets territoriaux de santé mentale (PTSM) afin de lutter notamment contre le mal-être des agriculteurs.

– Donner plus d’autonomie aux acteurs de santé des territoires en se fondant sur la confiance et en privilégiant l’évaluation de la réalisation d’objectifs à un contrôle a priori.

– Favoriser une organisation territoriale décloisonnée et coordonnée en santé associant tous les acteurs (hôpital, ambulatoire, sanitaire, social, public, privé).

– Renforcer la démocratie sanitaire sur les territoires en impliquant les usagers dans les diagnostics et la définition des objectifs en santé des territoires.

– Faciliter la diversification des missions des professionnels de santé des territoires (soins, prévention, promotion de la santé, missions dans le cadre de crises, etc.) et encourager une activité mixte entre établissements de santé, ambulatoires voire d’autres structures de santé.

– Faciliter les capacités d’expérimentation territoriale des structures d’exercices coordonnés.

Photo : © Charlène Drouel