«Tous les ans à la rentrée de septembre, à cause de la pénurie de logements à Angers, des étudiants sont obligés de dormir dans leur voiture. » Ce constat alarmant, Dominique Ménard n’est pas le seul à le dresser. C’est même devenu un marronnier de la presse locale.
Lâché en pleine forêt avec une peau d’ours
Cet ancien chaudronnier habite avec son épouse Annick un joli petit pavillon aux Ponts-de-Cé, dans la périphérie sud de la préfecture du Maine-et-Loire. En photo sur la hotte de la cheminée, leurs deux grands enfants qui ont quitté le nid ; autour d’eux, leur chienne golden retriever, Raina, craintive, et leur chatte, Mia, câline. Et un colocataire, Paul Duez, 16 ans, lycéen, qui fait quasiment partie de la famille.
Depuis un an, le jeune homme est hébergé par le couple, qui possède une solide culture de l’engagement associatif et caritatif.
Tous les jours, il enfourche son vélo pour se rendre au lycée agricole où il est scolarisé en première bac pro productions horticoles par alternance.
« Je voulais être plus indépendant qu’à l’internat mais je n’étais pas encore prêt à vivre seul. Sans compter que ça rassure les parents. »
Les modalités de la cohabitation sont formalisées dans un contrat qui instaure une relation de confiance. « On rend service mais on n’est pas à son service : ce n’est pas un hôtel », explique Dominique, qui ne tarit pas d’éloges sur l’autonomie de Paul, avec qui il partage notamment sa passion pour la nature. « Lâchez-le en pleine forêt avec une peau d’ours et il se débrouille », aime-t-il à dire.
Quand le lycéen rentre le soir, Annick lui prépare les repas. « C’est ma façon de fonctionner », estime-t-elle. Reste à mettre la table. Paul : un vrai coq en pâte.
La modernité à travers les âges
Monplaisir, au nord de l’ancienne cité des ducs d’Anjou, un quartier populaire bénéficiaire du nouveau programme national de renouvellement urbain (NPNRU). Objectif : en faire « un quartier attractif, équilibré socialement, riche de programmes immobiliers innovants et abordables, mais aussi d’équipements publics et commerciaux répondant aux besoins des habitants actuels et à venir », comme il est indiqué sur le site Internet de la ville.
C’est là, dans une petite barre d’immeubles, que « Marie-Jo », Marie-Josèphe Briodeau, 88 ans, réside depuis 1981. Issue d’une famille de fermiers qui « vivotait » et aujourd’hui en colocation avec Laura Brot, 19 ans, étudiante en première année de psychologie à l’Université catholique de l’Ouest (UCO), dite La Catho.
L’octogénaire n’est pas peu fière de montrer son diplôme du « record de la plus longue cohabitation », remis par l’association Le temps pour toit. C’était avec Alexandre Beudard, entre janvier 2014 et juin 2019 : soit cinq ans et demi ! L’acte, encadré, trône sur le meuble du salon.
« Avant Alexandre, il y a eu Hermann ; après, Thibault puis Alexis. Nous avons beaucoup partagé et ils m’ont beaucoup apporté », confie cette ancienne institutrice devenue ouvrière à la chaîne chez Thomson. Elle fabriquait les premières télévisions en couleurs. Aujourd’hui, c’est aussi devant le poste qu’elle et Laura se retrouvent pour commenter les actualités.
« On a chacune nos avis mais nous sommes toutes les deux modernes », rigolent-elles. Symbole de l’intergénérationnel : Laura revêt ce jour-là un sweat à capuche au logo de Columbine, ce collectif de rap français : la « colombe-Kalash » ; Marie-Jo, un châle bigarré. Le choc des cultures n’aura pas lieu ici. Marie-Jo aime « savoir que quelqu’un va rentrer le soir » ; Laura « que quelqu’un est là quand je rentre ».
Pour les repas, le style est libre : « Nous n’avons pas le même rythme ». L’étudiante participe aux dépenses de frais fixes de l’appartement, à hauteur de 15 euros par mois(1).
Une relation fusionnelle
À Pornichet, en Loire-Atlantique, c’est un autre duo qui s’est formé dans une maison sise à quelques mètres de la plage : celui de Brigitte Moyon et de Louann Méaude, étudiante en bachelor universitaire de technologie (BUT) management de la logistique et des transports, à Saint-Nazaire.
« J’étais désorientée par ce qui m’était arrivé, glisse Brigitte, ancienne professeure dont les capacités cognitives ont été altérées à la suite de problèmes de santé. Louann est un soutien remarquable : elle est toujours de bonne humeur. »
Il ne faut pas être fin limier pour comprendre rapidement que la relation qui unit ces deux êtres est forte. Le mot « fusionnel » est d’ailleurs lâché. Par Louann. Qui renchérit : « J’ai noué avec Brigitte un lien que je n’ai plus avec mes grands-parents. Elle me motive en période de partiels ; elle me fait des compliments. Cela joue beaucoup sur mon moral. »
Brigitte est accompagnée par des auxiliaires de vie et des infirmiers. Louann assure une présence quotidienne, en soirée et la nuit, ainsi que deux week-ends par mois et la moitié des vacances scolaires. C’est aussi elle qui impulse les préparations des repas, pris conjointement.
Cette formule de cohabitation « présence » (voir ci-dessous) permet à Brigitte de préserver une autonomie et de rester vivre chez elle en sécurité. Louann ne compte d’ailleurs plus ses jours de présence. L’engagement est reconnu et récompensé par l’université : un dispositif propose aux étudiants de BUT investis dans le monde associatif, sportif, culturel, solidaire ou universitaire de bénéficier d’une bonification pouvant aller jusqu’à 5 % de la note finale.
(1). Pour l’hébergé, le logement coûte entre 59 € et 180 € en équivalent mensuel, tout compris, pour une année scolaire. Ce montant comprend la participation aux charges ainsi que l’accompagnement de l’association. Il est fixé à la première rencontre, avant la signature du contrat.
Trois formules de cohabitation
Le temps pour toit est la seule association de cohabitation intergénérationnelle en France reconnue service à la personne par l’État. Elle permet de bénéficier d’une réduction ou crédit d’impôt de 50 % sur le coût de la prestation (selon la loi en vigueur). La cohabitation « solidaire » s’adresse à des personnes autonomes qui souhaitent rendre service à un plus jeune. Ils peuvent accueillir un hébergé tout au long de l’année (comme Laura), en alternance (comme Paul) ou pour un stage long.
Participation financière de l’hôte : 390 € pour l’année. La formule « présence » s’adresse à des personnes autonomes qui souhaitent une présence régulière et garantie le soir et la nuit chez eux. Participation financière de l’hôte : à partir de 790 € pour l’année. La solution « soutien » s’adresse à des personnes accompagnées au quotidien à domicile et pour qui une présence le soir et la nuit leur permet de rester vivre chez eux en toute sécurité. Participation financière de l’hôte : à partir de 1 990 € pour l’année.
► Un accompagnement en 4 étapes
L’équipe de l’association accompagne chaque adhérent tout au long de son projet, du premier échange à l’état des lieux de fin de cohabitation, en quatre étapes :
1. Découvrir : l’équipe parle du projet de cohabitation intergénérationnelle et échange pour définir le profil de la personne qui s’adaptera le mieux à la personnalité, aux besoins et aux souhaits de l’adhérent.
2. Faire connaissance : après avoir identifié deux personnes qui semblent se correspondre, l’équipe organise une première rencontre au domicile de l’hôte-hébergeur afin de faire connaissance.
3. S’engager : après un temps de réflexion et un accord mutuel, les modalités de la cohabitation au travers du contrat de cohabitation sont fixées ensemble.
4. Cohabiter : la cohabitation commence. L’équipe organise régulièrement des rendez-vous de suivi et, entre-temps, la référente de l’association reste disponible pour répondre à toute question.
Contact : 02 40 29 14 82