C’est un trou de verdure où chante une rivière — Les Usses — accrochant follement aux herbes — et aux roseaux — des haillons d’argent. Pas de dormeur dans ce val, cependant, et la référence au poème d’Arthur Rimbaud s’arrête là. Mais des travailleurs aux petits oignons évoluant dans un environnement au top, l’établissement et service d’aide par le travail (Esat) de la ferme de Chosal. Quelque chose comme une immersion dans le bonheur, à mi-chemin entre Genève et Annecy, à Copponex précisément, en Haute-Savoie.
Notre guide n’est autre qu’Emmanuel Mosse, le directeur de la structure qui regroupe un Esat et des hébergements. Catogan, barbe de trois jours, regard profond et bienveillant, l’ancien agriculteur, baigné très tôt dans le bénévolat et le scoutisme, est du type moteur. Installé en Gaec pendant dix ans dans la Drôme, il développe une expertise d’animateur de projets et montre des affinités avec le tourisme pédagogique. Avec d’autres, il est à l’origine, au début des années 1990, d’une opération de communication dans l’agriculture durable, « De ferme en ferme », un week-end portes ouvertes sur les exploitations de la Drôme des collines qui deviendra par la suite un rendez-vous national.
Puis il vire de cap et traîne ses guêtres du côté des communautés de communes, particulièrement dans le champ de l’insertion professionnelle. Il anime un groupement d’employeurs pour l’insertion et la qualification (Geiq).
« Le travail comme vecteur d’insertion sociale »
En 1998, on lui propose de prendre la direction de la ferme de Chosal. Depuis 1981, année de sa création par l’association des parents et amis de personnes handicapées mentales d’Annecy et ses environs, l’établissement véhicule de fortes valeurs de solidarité, d’équité et de respect de la différence. En grande partie insufflées par son président, Edmond Marmilloud, président de la MSA locale, « prônant la diversification, convaincu par la richesse du secteur agricole, un visionnaire », selon Emmanuel Mosse, qui trouve là un écho à son engagement protéiforme. « J’ai pris la succession d’une direction paternaliste — entendons-le dans le bon sens du terme — misant sur la valeur travail comme vecteur d’insertion sociale. »
Aujourd’hui, difficile de dire si Emmanuel Mosse se range ou non parmi les paternalistes. Ce qui est sûr, c’est qu’il se sent concerné par le bien-être des travailleurs. « Nous commençons toujours par vérifier l’adéquation entre les métiers que l’on propose et le profil de la personne au regard de son handicap. » Exemple : s’assurer que la topographie accidentée du terrain ne constitue pas un sur-handicap pour une personne présentant un handicap physique.
L’Esat offre alors une palette d’activités, dans quatre secteurs : le maraîchage, l’horticulture florale, les métiers du paysage et l’atelier de conditionnement et de sous-traitance. Enrichis par une bonne connaissance des attentes du développement local et des nouvelles demandes sociétales, ces secteurs s’y adaptent. Ce qui se traduit diversement. S’inspirant des Jardins de Cocagne, la structure propose, par exemple, des abonnements pour des paniers de légumes, où les zébrures roses et blanches des betteraves Chioggia côtoient les panais, les topinambours et autres plantes potagères. Résultat : 135 adhérents.
Si le fleurissement des chalets de Haute-Savoie constitue une part de l’activité horticole à dominante saisonnière, c’est une autre production qui se démarque, loin de l’image d’Épinal : les phragmites. Ces roseaux communs servent de filtre végétal et sont utilisés dans le traitement des eaux usées. Encore un exemple de diversification qui fait florès : il y a cinq ans, l’Esat produit jusqu’à 150 000 pieds par an et l’équipe des espaces verts réalise une cinquantaine de déplacements sur tout l’Hexagone pour aller les planter. « Un break très apprécié par les salariés. » Depuis, la production est volontairement réduite de 60 %, mais les travailleurs aiment encore se rendre sur les quelques chantiers situés dans une relative proximité géographique1.
L’épanouissement personnel
Le marché des roseaux présente aussi l’avantage d’avoir ouvert les portes à d’autres marchés, comme celui des collectivités territoriales. Le sérieux de l’Esat dans l’entretien des espaces verts et le faucardage2 n’est désormais plus à démontrer. Comme Emmanuel Mosse et son équipe ne sont jamais à court d’idées, il faut que le journaliste veille à garder de l’encre dans son stylo.
L’an 2000 voit la création d’une ferme pédagogique, « pour répondre, au départ, aux besoins de certains travailleurs de la ferme spécialisés dans le végétal et qui recherchaient le contact animal ». Aujourd’hui, différentes animations et prestations sont mises en place : découverte des végétaux et des animaux de la ferme, du fonctionnement de l’établissement et de son projet de développement durable… 6 600 scolaires transitent par là tous les ans.
Sans oublier le pôle land art départemental et sa véritable programmation culturelle (résidences d’artistes, ateliers créatifs, fête art et nature…). Le sentier art et nature, chemin dédié au land art, favorise pour tous l’épanouissement personnel par l’apprentissage des savoir-faire et l’accès à la culture. Il permet de découvrir plus de trente œuvres disséminées tout autour de l’Esat, qui mettent en valeur les douze hectares le foncier (cinq hectares en SAU, le reste en prairies sèches et en moraines).
La ferme de Chosal adhère au réseau Solidel. « Un engagement sur le fond, résume Emmanuel Mosse. Quand, aujourd’hui, on se repaît d’inclusion, chez Solidel on parle depuis longtemps de liens avec le territoire, d’interactions entre le lieu de production et l’environnement socio-politique. »
Et, comme toute bonne philosophie, elle est en prise avec la réalité. Récemment, la structure s’est interrogée sur le devenir des personnes handicapées vieillissantes mais autonomes. En découvrant les concepts de Marpa et de Marpahvie, elle se rapproche de la MSA Alpes du Nord.
Elle répond à l’appel à projets sur les petites unités de vie pour les personnes handicapées vieillissantes, est sélectionnée et reçoit des aides de la MSA locale et de la CCMSA. Qui lui permettent de répondre à un second appel à projets lancé par le département.
En 2019, un complexe d’hébergement, regroupant des appartements de soutien, un foyer d’hébergement et 24 places en petites unités de vie, verra le jour à Cruseilles, commune voisine. Les travailleurs hébergés de l’Esat y installeront leurs pénates dans des habitats conventionnés. Où le soleil, de la montagne fière, luit : c’est un petit val qui mousse de rayons.