C’est l’histoire de 22 papys et mamies réintégrés dans le tissu social par le simple contact d’écoliers. Deux fois par semaine, ils déjeunent ensemble autour d’une grande table ronde. Le repas est quasi familial. Les discussions vont bon train. On parle de choses et d’autres, des petits soucis ou des grandes joies. On confie certains secrets et on en réserve d’autres pour une prochaine fois. On prend rendez-vous pour se retrouver encore.
Moments de partage et de tendresse
Le matin, on confectionne ensemble des gâteaux en suivant méticuleusement la recette car c’est le goûter que l’on prépare. On compte s’en régaler à 16 heures. Une fois par mois, le mercredi, les nounous viennent avec les enfants qu’elles gardent. C’est une heure et demie de fête autour de ces petits bouts de choux. Des moments de tendresse inoubliables qui réveillent des souvenirs. Celui des petits-enfants vivant trop loin. On a comme l’impression de les retrouver. Une joie immense électrise le corps et la tête.
De nombreuses autres activités sont proposées dans ce lieu, comme les séances de dictées en classe avec le professeur ou les jeux de société. Chaque fois, chacun est libre de participer comme il l’entend : il n’y a pas d’obligation, ce qui rend l’interaction authentique. Les choses se font ensemble parce qu’on en a envie.
Ceci n’est pas un conte de Perrault. Ni une utopie. Ce lieu où des personnes âgées continuent de vibrer existe bel et bien. Il s’agit de la Marpa-École, un établissement qui abrite sous le même toit, une maison de retraite comprenant 22 appartements, accueillant des retraités locataires non dépendants de 60 ans et plus, et une école primaire (du CE1 au CM2).
De ce concept intergénérationnel original, qui a vu le jour en 2015 dans le village de Souvigny-de-Touraine, en Indre-et-Loire, la réalisatrice Julie Benzoni a fait un documentaire en 2018, sous le titre évocateur : Vivre ensemble, une évidence pour ce lieu hors du commun où l’on vieillit et grandit bien ensemble.
Petite histoire de la Marpa-École
L’idée de cette résidence intergénérationnelle a germé en 2008 sur une initiative de Laurent Borel, maire de Souvigny-de-Touraine et vice-président de la communauté de communes du Val d’Amboise. En 2011, la première pierre est posée. La structure ouvre ses portes le 1er septembre en 2015, à la rentrée scolaire. Une dizaine d’années a été nécessaire en raison du coût financier et des obstacles administratifs. La gestion de l’établissement est confiée à une association loi 1901. La première année a été difficile, avec tout juste trois résidents. Avec l’arrivée en juin 2016 de l’actuelle équipe, tout un travail d’information est mené auprès des habitants qui ne connaissaient pas les structures Marpa. Plusieurs mois plus tard, grâce au soutien sans faille de l’ancienne directrice MSA, Madame Depardieu, les craintes sont dissipées. Et « le 14 février 2017, les 22 logements étaient pris », raconte la directrice, Françoise Dubois. Côté fonctionnement, pas de secret : « Pour que ça fonctionne, une très bonne gestion et une équipe interne qui se donne au quotidien. » Le résultat se mesure chez les locataires, tous heureux : « Ils sont chez eux. Chacun a son appartement. Ce sont des petits T1 ou T2 pour les couples. » À tous ceux qui souhaitent venir visiter la structure, Françoise Dubois adresse ce message engageant : « Nous sommes très fiers de montrer notre établissement. Voir le bonheur des résidents, c’est la réalité au quotidien. »
Le défi de l’accompagnement du grand âge
La soirée de projection à Paris a donné l’occasion de revenir sur cette aventure humaine, de détailler le principe des Marpa et d’inscrire la création de ces résidences autonomie dans la panoplie des solutions innovantes à proposer dans la prise en charge des personnes âgées.
Déjà 200 Marpa ont poussé dans toute la France, malgré la complexité de leur création, comme la contrainte de passer par un appel à projets pour en créer une sur son territoire, lequel dépend du Conseil départemental [voir encadré ci-dessous]. S’y ajoute le coût exorbitant du foncier dans certaines zones. Si le centre de Paris est inaccessible de ce fait, sept Marpa ont été implantées en Île-de-France, en proche banlieue. Un projet de Marpa-Crèche devrait bientôt voir le jour dans le Val-d’Oise.
Le pays compte 1,5 million de personnes âgées de plus de 85 ans. En 2050, ce sera 5 millions. Répondre au défi du vieillissement de la société est urgent. Plus personne ne l’ignore. Agnès Buzyn, ministre des Solidarités et de la Santé, qui prépare un projet de loi dépendance pour cet automne, l’a rappelé dans son discours du 28 mars dernier, prononcé lors de la remise du rapport Dominique Libault sur la concertation Grand âge et autonomie. « Il y a urgence à libérer les personnes âgées du sentiment d’être un fardeau pour leurs proches, et de l’insoutenable culpabilité qui l’accompagne ». Et « à ne plus condamner aucun de nos aînés à une solitude qui tue plus sûrement encore que le vieillissement du corps », a-t-elle affirmé.
Créer des liens
La question sociétale appelle donc des réponses adaptées à l’accompagnement du vieillissement des personnes, qui doivent trancher avec les pratiques habituelles, contestées ces derniers temps. Aux solutions de santé, d’accompagnement des personnes âgées dépendantes, de logement, il faut « mettre en place collectivement la fonction présentielle ou autrement dit le lien », a souligné Frédéric Laloue, directeur adjoint de la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie (CNSA), présent à la séance et conquis par la Marpa-École. « Je trouve que ce lien est assuré de manière très frappante, très signifiante, très intéressante par ce lien avec les jeunes enfants » a-t-il précisé, se déclarant partant pour visiter la Marpa-École. Dans le film, Jean, l’un des résidents, a retrouvé une seconde jeunesse grâce à la relation avec les enfants. « Le problème des maisons de retraite, signale-t-il, ce sont des vieux qui voient d’autres vieux mourir. La Marpa- École vous laisse en contact avec la jeunesse, avec la vie de tous les jours. »
« Venez voir la Marpa-école »
Faire preuve d’imagination pour trouver des solutions permettant de bien vieillir à un prix raisonnable, c’est toute l’action menée par la MSA depuis plus de trente ans, avec la mise au point de ce concept des Marpa, un label de qualité qui gagne à être connu et même étendu partout dans le pays. Françoise Dubois, directrice de la Marpa-École, n’a pas hésité à emboîter le pas de Patricia Saget-Castex, la présidente de la fédération national Marpa (FNMarpa), pour lancer au public une invitation à venir visiter l’établissement, afin de se faire une idée et de juger sur pièce cette solution à taille humaine, apportée à la question de l’accompagnement des gens âgées. Alors chiche, on y va ?
Comment ouvrir une Marpa ?
Il faut d’abord s’armer de patience selon Christian Kulibanov, responsable de l’offre médico-sociale de la caisse centrale de la MSA. Appeler ensuite la MSA locale qui a un référent Marpa, une personne qui possède une bonne connaissance du concept Marpa et qui aura pour mission, dans un premier temps, d’expliquer et d’accompagner les porteurs de projet. Le but de l’étape est de rassembler tous les partenaires sur le territoire pour que cela reste une aventure humaine collective. Localement, il faut vérifier qu’il y a une vraie motivation et que la volonté est solide. Selon la taille de la collectivité, indique le responsable, « on va leur demander de s’associer à d’autres collectivités pour donner au projet une dimension plus importante ». Enfin, il faut s’assurer que le Conseil départemental est bien prêt à sortir un appel à projets parce que « s’il n’y a pas d’appel à projets, on peut passer des années à attendre pour rien ». Une contrainte administrative qui agace la députée LREM, Véronique Hammerer, présente à la soirée. « Il faut exonérer les Marpa d’appels à projets », a-t-elle affirmé, invoquant deux raisons : l’expertise de la MSA dans ce domaine et la nécessité d’« aller plus vite ». Il ne reste plus qu’à en convaincre les élus.