Sept heures, quatre degrés au thermomètre. Le jour n’est pas encore levé quand Isabelle Guedas fend la brume de ce matin de janvier, au volant de son fourgon frigorifique. Elle retrouve ses collègues à la cité de l’agriculture de Vannes. C’est ici, au sous-sol du bâtiment de MSA Services, que les agents de portage de repas d’Amper récupèrent leurs livraisons et les chargent dans leur véhicule. Une dizaine de salariés de l’association couvrent les différents secteurs.
Pouvoir continuer à vivre chez soi
La structure a été créée en 1994 par la MSA Portes de Bretagne, au même titre que Laser emploi et Présence verte. Elle propose des services d’aide à domicile aux personnes âgées et aux familles dans une partie du Morbihan et de l’Ille-et-Vilaine.
Si le portage de repas ne représente qu’une petite part des activités de l’association, ce service n’en reste pas moins essentiel pour ses 350 bénéficiaires : des personnes âgées et isolées pour la plupart, qui ont choisi cette option pour pouvoir continuer à vivre chez elles. Chaque année, près de 125 000 repas leur sont livrés.
Dans le petit local qui jouxte la chambre froide, Isabelle partage un rapide mais « primordial » café du matin avec ses collègues avant de s’accorder sur les tournées des unes et des autres. « Nous livrons quatre fois par semaine. Aujourd’hui nous livrons pour deux jours : les clients n’auront plus qu’à réchauffer leurs plats demain », précise-t-elle, tout en s’assurant que ses 118 repas sont bien calés dans le coffre du Partner. Elle couvre aujourd’hui le secteur de Carnac, soit une soixantaine de clients répartis sur quinze communes. Pas de temps à perdre donc.
Des journées bien rythmées
Premier stop rapide à la pâtisserie du secteur. « Je dois récupérer une commande de quatre gâteaux. Ce n’est pas mal mais dans le secteur d’Auray ils sont plus gourmands », s’amuse Isabelle. Depuis quelques mois, Amper a mis en place des partenariats avec des pâtissiers locaux pour proposer des desserts plus élaborés à ses clients. Une résolution qui profite à l’artisan local et qui ravie les papilles des gourmands.
En à peine trente secondes, Isabelle réceptionne les précieuses boîtes et se met rapidement en route pour Crac’h où l’attend son premier client. La petite routine s’installe alors pour durer jusqu’à la fin de la journée : Isabelle se gare devant une maison, récupère un sachet repas dans le coffre de son fourgon, le dépose dans le réfrigérateur du client, en prenant soin de vérifier si les repas antérieurs ont été consommés, et passe entre une et dix minutes chez les personnes. « Tout dépend si elles dorment ou si elles veulent discuter. »
C’est une tracasserie en moins.
Lorsque ses clients sont alités, Isabelle n’oublie jamais de rentrer leur poubelle ou de récupérer leur courrier dans la boîte aux lettres : « Ça me prend quinze secondes et ça rend service. » Elle reprend ensuite la route pour la livraison suivante. Des journées bien rythmées, en somme. « C’est tout le temps comme ça. Pour faire ce métier, il faut être en forme. Il faut aussi être toujours bien lunée : parfois je suis la seule personne qu’ils voient de la journée, alors c’est quand même plus sympa pour les gens d’arriver avec le sourire. »
Du lien social
Après huit ans à sillonner les routes du Morbihan pour Amper ‒ elle comptabilise entre 110 et 130 kilomètres par jour au compteur ‒ elle peut en être sûre, ce métier lui colle à la peau : « J’adore conduire et j’aime le contact avec les gens. C’est sympa de pouvoir papoter un peu. Certains n’ont pas envie de discuter, peut-être par peur que j’entre dans leur vie, ce que je peux tout à fait comprendre. D’autres sont très attachants et, à force de se voir, on se rapproche. Il y en a même qui s’inquiètent et qui appellent Amper si j’ai un peu de retard », raconte Isabelle, un brin attendrie.
À Locmariaquer, par exemple, elle rend visite à ceux qu’elle appelle affectueusement « [ses] grands bavards » : Guy et Noëlle. Cette dernière l’accueille avec un sourire jusqu’aux oreilles depuis son lit médicalisé. L’octogénaire révèle même un regain d’énergie quand il s’agit de papoter sur ses soucis de santé et les dernières visites de ses enfants. Pour Lucien, qui attendrait presque Isabelle sur le pas de sa porte, le portage de repas est surtout « une tracasserie en moins. J’ai 95 ans. Je ne conduis plus. Alors, c’est pratique d’être livré à la maison. » Quant aux menus, « c’est la surprise chaque jour ! »
Des menus adaptés..
Les plats sont préparés par l’entreprise Ansamble, en Ille-et-Vilaine. Ce prestataire, qui gère les restaurations collectives d’entreprises, d’écoles et de maisons de retraite de la région, travaille avec des producteurs locaux et entre dans la démarche Bleu-Blanc-Cœur (les porcs sont élevés dans le respect de l’environnement et du bien-être de l’animal).
Je mange beaucoup plus varié que si je cuisinais moi même.
Les menus sont adaptés aux clients. « Une diététicienne les compose et veille au bon équilibre alimentaire, précise Christian Dréanic, directeur d’Amper. Ansamble a aussi un cahier des charges à suivre avec, en fonction des personnes, des grammages à respecter. » Ainsi, en fonction des régimes, les repas sont mixés, pauvres en graisse, sans sucre, sans sel… mais surtout très diversifiés. C’est d’ailleurs ce qui a poussé Denise à faire appel à eux : « Je mange beaucoup plus varié que si je cuisinais moi-même, confie-t-elle, avant d’avouer : Avec le temps je deviens feignante, en plus de ne pas être une cuisinière émérite. C’est surtout pour ça que j’ai choisi de me faire livrer. »
.. et gourmands !
Marcel, lui, est heureux d’avoir découvert en décembre le tout nouveau « menu gourmand », un repas amélioré pour les dimanches et jours de fêtes. « On avait le choix, comme au restaurant. C’était vraiment dé-li-cieux », s’empresse-t-il de faire savoir à Isabelle. Le doyen d’Amper ‒ seize ans de portage à domicile à son actif ‒ avait même commandé le repas pour ses enfants. La terrine de chevreuil, le pavé de saumon, l’assiette de fromage et la poire au vin ont visiblement conquis la famille.
Si Isabelle s’arrête quelques minutes chez Marcel et prend le temps d’engager la conversation, ses visites ne prennent pas toujours cette tournure. Parfois, l’agent de portage joue un rôle d’alerte : « Certains font des chutes, je les retrouve à terre. Dernièrement, j’ai dû appeler les pompiers trois fois en trois semaines ! Il y a aussi pas mal de clients qui sont mal en point. Il n’est parfois pas possible de discuter avec eux. Je dépose alors les repas dans leur réfrigérateur et je vérifie que ceux de la veille ont bien été consommés. » Si ce n’est pas le cas, Amper contacte la famille. « On fait un peu du social », résume modestement Isabelle.
Témoignages
Christian Dréanic, directeur d’Amper.
« Nous avons progressivement étoffé notre offre. Notre structure fait essentiellement de l’aide aux personnes âgées au travers de l’aide à domicile, mais aussi du portage de repas et, en parallèle, de la garde d’enfants, du jardinage, de l’entretien du domicile… Le tout pour répondre aux besoins nous parvenant par le bouche-à-oreille et pour rendre un service à la population rurale.
Un des principes du développement d’Amper a été de signer des conventions avec les mairies ou les centres communaux d’action sociale (CCAS), ce qui nous apportait d’une part du travail et, en plus, une légitimité sur le territoire puisque notre savoir-faire était reconnu. Quand la mairie est derrière nous, c’est plus facile d’aller au contact de la population pour présenter notre service.
Nous avons ainsi commencé sur une commune, puis une autre, pour arriver aujourd’hui à une centaine de municipalités partenaires. Nous ouvrons d’ailleurs en ce moment une activité sur le secteur de Lorient, le plus gros bassin de population du Morbihan (plus de 210 000 habitants). Notre partenariat avec Présence Verte nous permet de proposer une offre complémentaire et complète pour nos clients, partenaires, des mairies… qui sont à la recherche de solutions.
Depuis un an, nous expérimentons un partenariat avec des services polyvalents d’aide et de soins à domicile sur un territoire, pour étoffer encore notre offre vers le soin. L’idée est d’avoir dans notre besace tout ce qui peut faciliter le maintien à domicile.«
Alan Guillo, responsable administratif chargé du suivi du portage de repas.
« Après 21 ans d’expérience, nous avons voulu faire évoluer notre offre en l’ouvrant sur la notion de plaisir. Parmi les solutions trouvées, il y a le partenariat avec les pâtisseries. Nous avons également lancé en décembre dernier le menu gourmand pour les dimanches et les jours de fête. C’est un menu traiteur, un peu plus cher [15,30 euros contre 10,90 euros pour la formule classique], mais avec plus de choix et des produits plus haut de gamme. Le conditionnement est aussi plus attrayant. Pour le lancement, nous proposions une offre découverte : pour un menu acheté, celui de l’invité était offert.
L’idée était non seulement d’apporter une qualité supérieure, mais aussi d’inclure une notion de lien social en permettant aux personnes d’inviter un proche. Nous avons livré 101 repas gourmands en décembre, avec des retours très positifs. »
Céline Prunière, responsable de développement chez Amper
« Depuis octobre 2017, nous recyclons les contenants des repas. Nous sommes sur le point de signer une convention de partenariat avec l’association Fleur de bouchons qui récupère nos barquettes vides.
La valorisation de ces déchets permet ensuite de récolter des fonds au profit d’associations de malades ou de personnes handicapées. Et pourquoi pas d’aider des personnes dans l’achat de matériel pour le maintien à domicile (fauteuil, lit médicalisé, etc.) ou l’adaptation du logement. »