Des médecins comme Bernard Pino, on n’en voit pas tous les jours. Petites lunettes juchées sur le nez, baskets aux pieds, style décontracté et bonne humeur, le jeune docteur ne fait pas son âge. Et pour cause ! Fraîchement diplômé à 68 ans, il a posé sa mallette sur l’île de Sein, dans le Finistère, après avoir vécu plusieurs vies.

Pour comprendre qui est Bernard Pino, un petit retour en arrière s’impose. Après le bac, il commence des études de médecine mais doit les arrêter après six ans pour des raisons financières. « Je ne savais pas que cette parenthèse allait durer aussi longtemps. » Longtemps, c’est le mot. Après une pause de presque 40 ans, il décide de reprendre ses études à 56 ans. Car l’idée de devenir médecin ne l’a jamais quitté. Après avoir exercé différents métiers – dans l’édition numérique, l’entrepreneuriat, ou encore la politique – il reçoit en septembre 2023, non sans difficultés, le Graal : le diplôme qu’il attendait tant.

Il décide alors de s’installer sur l’île de Sein, située à l’extrême ouest de la Bretagne, à 5 km de la pointe du Raz. Presque le bout du monde, hors du temps, l’endroit n’est accessible que par bateau. Il s’étend sur 2 km avec une largeur maximale de 500 m. Sur place, aucune voiture.

Malgré son caractère insulaire, les 300 âmes qui y vivent à l’année ont la chance de bénéficier des soins de deux praticiens qui se partagent l’activité un mois sur deux.

Son paradis

Le métier de médecin insulaire demande des sacrifices : cela implique notamment d’être de garde 24 heures sur 24, sept jours sur sept. Bernard Pino est donc prêt à intervenir auprès de ses patients jour et nuit. Pour cela, il loge dans un appartement fourni par le conseil départemental au-dessus du cabinet. Mais pour le docteur passionné par son nouveau métier, c’est surtout une belle opportunité. Il est comme un poisson dans l’eau dans sa nouvelle vie. « Les habitants m’ont adopté », confie-t-il.

Pour lui, s’installer ici était presque une évidence. « Avec ma femme, on a toujours aimé cet espace déterminé que sont les îles. On ne peut amener que ce qu’on porte sur soi. On ne peut pas abuser des ressources locales et on doit se contenter de ce qui est déjà là. » Une philosophie de vie qui lui convient. Car sur l’île, pas question de vivre en surconsommation. Éloignée du continent, un seul bateau y passe dans la journée. Il arrive aux environs de 10 heures et repart l’après-midi. Les habitants vivent au rythme de ses visites. « Le matin, les Sénans viennent attendre le bateau sur le quai. C’est un lieu de convivialité, c’est là que se font les échanges comme une sorte d’agora. »

Reconnaissable dans les étroites rues avec sa petite charrette flanquée d’un « médecin » écrit en gros, le docteur vient chercher les médicaments qu’il a commandés et qui arrivent par bateau. Puis il commence sa journée au cabinet médical. Vers 14 ou 15 heures il prend une pause et reprend du service après le départ du bateau, vers 17 ou 18 heures. Il consulte jusqu’au soir et reprend le même programme le lendemain.

Jamais seuls sur une île

Isolés, les praticiens de l’île ne sont pourtant pas jamais seuls. « S’il y a une urgence, la Société nationale de sauveteurs en mer ou l’hélicoptère de la Sécurité civile peuvent intervenir », précise Bernard Pino.

L’île ne disposant pas de pharmacie, c’est lui qui gère le stock et les médicaments. Il espère déléguer cette partie à un pharmacien du continent. « Pour les urgences, un stock est toujours là : cystites, matériel de prélèvement, morphine… Et, si vraiment il me manque une boîte, je connais mes patients et je peux aller piocher dans leur réserve en attendant de la remplacer le lendemain ! », explique-t-il. Une vraie médecine de proximité !

Un médecin multitâche

Comme tout bon professionnel, Bernard Pino ne chôme pas : il s’occupe des 300 patients à l’année en binôme avec l’autre praticienne de l’île qui partira bientôt à la retraite. Sa patientèle s’agrandit lors la période estivale, jusqu’à 1 500 personnes. En dehors de cette activité, il travaille soit aux urgences, soit en téléconsultation. Il milite d’ailleurs pour que cette dernière se démocratise. « Si on veut désenclaver les déserts médicaux, on pourrait très bien miser sur la téléconsultation, adaptée aux besoins des campagnes », avance-t-il.

C’est d’ailleurs sûrement son expérience passée qui le pousse à réfléchir à de nouvelles manières d’aborder la médecine. « Je jongle entre toutes les pratiques possibles et même si j’ai un rythme de travail plus élevé que certains médecins, je suis moins fatigué, lance-t-il. Quand je reprends chaque activité, je suis en vacances de celle que je viens de quitter. » D’ailleurs, il l’assure, il a perdu (ou plutôt gagné) 10 ans. « Après 12 heures de travail, je suis fatigué, mais heureux de vivre et disponible. Je me sens comme un jeune homme de 20 ans ! », assure-t-il.

Le « Monsieur anti-douleur », comme on le surnomme, se nourrit du bien qu’il fait autour de lui, des secrets qu’on lui raconte, des gens qui lui ouvrent leur cœur.

« Il n’est jamais trop tard »

Son histoire, médiatisée, en a inspiré plus d’un. Sans qu’il ne s’y attende, il a fait des adeptes. Et il est ravi de son nouveau rôle. « Il y a des gens qui se sont dit : « ce que je voulais, c’était faire ça », et en fait c’est possible ! Il n’est pas trop tard ! »

Bernard Pino a d’ailleurs reçu de nombreux messages de personnes qui se sont lancées dans une reconversion en voyant que sa persévérance avait payé. Une Rennaise va reprendre des études de médecine, une Dijonnaise va bientôt fêter son inscription avec lui, d’autres sont aides- soignantes et se rêvent infirmières…

« La vie est trop courte pour ne jamais faire ce qu’on a envie de faire. J’échange avec des personnes qui sont radieuses parce qu’elles se sont écoutées, enfin. »