« Quand les gens deviennent moins rentables, ils sont moins intéressants pour les entreprises. » Le constat du docteur Gilles Levery, président de l’institut de médecine du travail du Val de Loire, est implacable. Introduire la journée par ces paroles fortes permet de rappeler la difficulté, après une pathologie lourde, de reprendre le chemin du travail : une personne sur deux ayant subi un arrêt de travail de plus de six mois ne réintègre pas son activité.

Changer les mentalités

Alors, bien sûr, depuis 2005, la législation a évolué et les sociétés d’au moins 20 salariés ont pour obligation d’afficher un taux de 6 % de salariés en situation de handicap, sous peine d’amende. Mais, pour les professionnels de santé, ce sont désormais les mentalités qui doivent changer : « Aujourd’hui, il ne faut chercher à compenser le handicap, mais valoriser la plus-value que chacun apporte », poursuit Gilles Levery.

Une situation qui peut alarmer lorsque l’on sait que ces cas sont de plus en plus nombreux : le nombre d’avis d’inaptitude émis par les médecins du travail est passé de 70 000 à 200 000 par an en l’espace de quinze ans. On compte aussi 120 000 personnes inscrites à Pôle emploi à la suite d’un licenciement pour inaptitude.

Il faut valoriser la plus-value qu’apporte chacun.

Pour le docteur Alain Jabès, formateur au cabinet ALJP, la discrimination positive est un premier pas vers l’acceptation de tous, mais il reste parfois compliqué d’admettre la différence dans certaines situations comme, par exemple, à l’école. Il rappelle que les enfants dits différents sont rarement intégrés dans « l’école de la République », mais placés dans des centres : « Il faut commencer l’intégration dès l’éducation », conseille-t-il.

Pour cela, il faut avant tout une synergie entre tous les acteurs. Mais la mise en place d’une stratégie commune demande du temps et, surtout, une bonne organisation, aussi bien envers les salariés qu’envers les employeurs de main-d’œuvre : « Les entreprises nous disent souvent que la situation économique est compliquée. Pourtant, elles sont en première ligne dans l’accompagnement des gens en arrêt de travail », résume le formateur national à l’ALJP.

Des acteurs trop nombreux

Lors d’une pathologie de longue durée, vers qui se tourner pour obtenir des informations, des conseils ? Que l’on soit employeur de main-d’œuvre ou salarié, la réponse n’est pas évidente car les interlocuteurs sont nombreux : assurance maladie, médecins du travail, Pôle emploi… Chacun possède son champ d’action. Pourtant, il est important que la prise en charge se fasse le plus tôt possible pour éviter les risques de désinsertion professionnelle liés à un problème de santé. « Un signalement précoce permet d’éviter bon nombre de difficultés par la suite », assure Alain Jabès.

Il s’agirait donc de partager plus facilement les informations entre les différents acteurs. Le problème, c’est qu’ils se heurtent parfois à la réglementation et notamment au secret professionnel. Mais que peut-on faire face à un cadre légal strict comme celui-ci ? Autour de la table ronde, les avis divergent : « Le secret professionnel, c’est le secret professionnel, déclare le docteur Olivier Surot, médecin de l’Agir’h. Écrire un courrier avec des révélations, pour un collègue, pour moi, c’est une faute. »

Pour le service d’appui au maintien dans l’emploi des travailleurs handicapés (Sameth) de l’Indre-et-Loire, et sa cheffe de service, certaines informations sont nécessaires pour gérer des situations : « Nous avons besoin de connaître les capacités d’une personne pour envisager une solution, explique Stéphanie Sardin. Il n’y a pas forcément une nécessité de parler du dossier médical, mais il nous faut le point de vue de chacun pour savoir ce qu’il est possible de faire. » Malgré quelques points de discorde, toutes les personnes autour de la table s’accordent à dire que le plus important reste le travail en réseau à développer.

Des TPE aux grandes entreprises

Il s’agit également de n’oublier personne en mettant en place un encadrement. Si les entreprises à effectif important doivent montrer l’exemple en termes d’intégration, les très petites entreprises (TPE) sont soumises au même devoir.

Le président de la CCMSA, Pascal Cormery le rappelle le temps d’une brève intervention : « Quand on possède une TPE, on est chef d’entreprise, gestionnaire, etc. Mais on est rarement formé à l’encadrement de personnes en situation de handicap. C’est pour cela que je crois qu’il est important de ne pas les oublier et de travailler auprès d’eux en les formant à ces situations. »

Cet exemple prend tout son sens dans le milieu agricole où la plupart des exploitations agricoles ne comptent que peu de salariés. Soumise à des tâches sollicitantes dans son travail, cette population est souvent touchée par des maladies professionnelles. Mais, dans ces cas, il est difficile, voire impossible pour les entreprises de petite taille, de placer un salarié sur un autre poste.

Alors, avant d’envisager une adaptation de la structure au handicap, il est préférable de prévenir les situations difficiles en réalisant quelques aménagements. Ce travail de prévention doit se faire également avec les différents acteurs de la profession, notamment lors de la réalisation du document unique d’évaluation des risques professionnels (Duerp).

L’accompagnement du retour au travail

Quand la prévention n’a pas suffi, il faut penser au retour au travail. Une pathologie lourde oblige parfois le salarié à une longue absence de son emploi. Perte de repères, mal-être au sein de l’entreprise, etc. Certains d’entre eux éprouvent plus de difficultés lors de leur retour à leur poste ou quelques semaines plus tard. C’est pour cela qu’il est nécessaire d’effectuer un accompagnement.

Si le médecin du travail est l’interlocuteur privilégié du salarié, le médecin de la maison départementale des personnes handicapées (MDPH), le Sameth et Cap Emploi restent des acteurs essentiels pour que ce retour se passe dans les meilleures conditions.

L’équipe autour du patient peut identifier les situations à risque, évaluer le pronostic, anticiper les démarches dès que l’évolution est prévisible et estimer les capacités de travail restantes. Avec tous ces éléments, il est possible pour le médecin du travail de définir l’employabilité d’une personne. Les acteurs se basent sur cette analyse pour adapter l’accompagnement avec un travail autour de l’estime de soi, de l’acceptation du handicap, etc.

Il existe plusieurs outils pour lutter contre la désertion professionnelle : la prévention, l’aménagement de poste et, surtout, l’accompagnement. Malgré tout, il reste difficile d’être efficace dans le suivi de tous les cas, notamment à cause d’un cadre juridique complexe et d’un réseau d’acteurs dont les fonctions restent parfois floues. Une coopération plus importante entre eux semble indispensable à un meilleur accompagnement pour éviter des situations délicates.

Texte et photo : Jérémy Lemière.