Élie Semoun est une personnalité publique, il est connu, reconnu. Et pourtant…
En ce mardi d’octobre, dans la salle de cinéma du Grand Palace de Saumur, le public assiste à la projection de « Mon vieux ». Pour une fois, Élie Semoun n’y joue pas un rôle.
Père et fils
Il est le fils de son père, pas d’un personnage, de son vrai père. Ce n’est pas une fiction, il n’y a pas de figurants. Il y a des acteurs mais de leur propre vie ou, pour être plus précis, d’un instant bien particulier de celle-ci.
Lorsque les premières images apparaissent, Paul Semoun, 87 ans, est avec son fils dans la maison de ce dernier. Nous assistons à leur échange. On y perçoit de la complicité, une certaine dose d’humour, de l’empathie de la part d’Élie qui se teinte par moment d’un sentiment diffus.
De l’agacement ? De l’amertume ? Une incompréhension ? Peut-être un peu de tout cela. D’ailleurs, il confesse rapidement que leur relation complexe est faite d’« amour/haine ». Mais avant tout, Paul est atteint de la maladie d’Alzheimer. Une maladie aussi difficile à vivre pour le malade que pour son entourage.
Une maladie où l’on « meurt deux fois ». La première fois quand on ne se souvient plus de ce qu’il s’est passé durant la nuit, quand peu à peu les souvenirs disparaissent.
« Est-ce que je suis prêt à être oublié par mon père ? Non, pas du tout », confie Élie Semoun. Dans l’urgence, face à la mémoire qui s’échappe, le fils cherche d’abord à combler les trous du récit familial. Il veut des réponses sur sa mère, morte d’une hépatite B alors qu’il avait 11 ans. Mais Paul continue d’esquiver les questions : « Laisse-nous entre vivants. Je n’aime pas remuer le passé ».
Histoire de mémoire
À la sortie de la salle, Roselyne Besnard, présidente de la MSA de Maine-et-Loire de 1999 à 2013, explique : « C’est important de comprendre que la personne atteinte par la maladie d’Alzheimer a cette conscience qu’il se passe quelque chose au niveau de ses souvenirs. Et parfois, elle peut se dire que le passé n’est pas important, parce qu’elle ne s’en souvient pas. » Que les souvenirs s’estompent ou que la maladie devienne un refuge permettant de fuir la réalité, en filmant les derniers moments passés avec son « vieux », Élie Semoun engage dès lors une sorte de thérapie.
Il lui faut désormais pardonner à celui « qui a fait ce qu’il a pu ». Il lui faut accepter l’irrémédiable déchéance de ce père et les symptômes de la maladie. Il y a les réveils, la nuit, qui s’accompagnent d’une perte totale de repères, il y a parfois de l’agressivité envers les proches. Il y a les terribles moments de lucidité où le malade ne se reconnaît pas, se demande s’il n’est pas victime d’un dédoublement de personnalité.
Dans ces instants, il accepte, s’excuse. À d’autres, il est dans le déni total de la maladie. Et puis, arrive l’heure des choix lorsque le maintien à domicile n’est plus possible. Père et fils doivent alors accepter le placement en établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad).
Il faut que tu respires !
« L’un des principaux intérêts de ce film est de montrer ces différentes phases et épreuves, de porter à l’écran les difficultés auxquelles font face les aidants et les malades d’Alzheimer », souligne Roselyne Besnard. Ce documentaire et le débat qui suit mettent un coup de projecteur sur le rôle de l’aidant et son rapport à l’aidé. « On voit bien que la place de l’aidant proche est importante, il connaît la personne avant de connaître le malade », décrypte Sylvie Brilleau-Humeau, psychologue.
Cependant, aussi importante soit-elle, cette place peut s’avérer épuisante. « On pense continuellement à l’autre donc on tourne un peu en rond. Moi, c’est comme ça que je l’ai vécu. Quelquefois, on a aussi l’impression qu’on est un peu difficile avec l’aidé. La maladie provoque un effet miroir. On voudrait que ce soit mieux, que ce soit différent mais ça ne l’est pas », témoigne pendant le débat une dame aidante de son conjoint.
« Le mot déculpabiliser est important. Le fait de déculpabiliser, de s’autoriser à s’absenter, à déléguer, est une question de survie, physique et psychique, rassure la psychologue. Il faut remettre de la pulsion de vie dans la vie. »
Malheureusement, certains témoignages prouvent que faute d’aides ou de moyens, il peut être difficile de prendre l’air : « À cause de sa maladie, le mari d’une amie aidante ne peut pas sortir confie une femme d’une soixantaine d’années. Cette dame voudrait bien s’oxygéner mais elle ne bénéficie que de trois heures d’aide mensuelle. Ça fait des mois qu’on lui promet une place temporaire en Ehpad pour son conjoint. Ça lui permettrait de souffler. Là, elle s’épuise ».
Les quelques témoignages venant de la salle accréditent le fait que chaque personne malade est à prendre dans sa singularité ; chaque récit traite de la même chose mais jamais de la même façon.
Apporter des réponses personnalisées
Des solutions existent, des dispositifs sont mis en place comme le décrivent Manon Berthelot et Isabelle Clisson, coordinatrices du Centre local d’information et de coordination gérontologique (Clic) du grand Saumurois : aide au répit, services à domicile, aides financières, établissements spécialisés…
Mais cette femme qui s’occupe de son mari s’est perdue au milieu des dossiers : « Que faire avec les jeunes malades (moins de 60 ans) ? C’est très difficile de trouver du soutien. Il faut aider les familles dans les démarches à faire. Quand ça m’est arrivé, j’ai trouvé que c’était trop compliqué ». Chaque cas est particulier et chaque réponse apportée doit être personnalisée.
Les coordinatrices ne cachent pas « qu’il y a un manque évident de moyens » même si elles confirment que « l’État met en place des solutions. Il a pris conscience de l’importance pour les personnes de rester au plus proche de leurs aidés et surtout de rester à domicile ». D’autant plus que le passage du domicile à l’Ehpad est traumatisant. « Ça me fait mal au cœur de savoir que tu m’as amené là », dit Paul à Élie après la visite d’un établissement médicalisé.
Ce refus, cette femme au troisième rang le porte encore en elle : « Suite à une hospitalisation, on m’a dit que ma mère ne pouvait pas retourner chez elle. Il fallait trouver une solution. Avec ma sœur, nous avons dû prendre la décision de la mettre en Ehpad. Elle y est restée neuf ans et demi. Maman est partie depuis un an. J’ai encore la gorge serrée de l’y avoir laissée. Pendant des années, nous y sommes allées plusieurs fois par semaine en pleurant. Elle nous reprochait de l’avoir posée là-bas. Et les années d’après, nous pleurions encore parce nous ne savions pas si elle nous reconnaissait. Alzheimer et l’Ehpad, c’est compliqué ! Je ne le souhaite à personne. »