Dans le secteur, on les appelle « les filles du bus ». Elles parcourent le Pays de Thiérache en camping-car, faisant halte dans les communes les plus isolées de l’Aisne. « C’est un peu comme si on était en vacances toute l’année », plaisantent-elles à propos de cet espace de travail peu commun.
À disposition dans leur carrosse : deux espaces administratifs pour recevoir les visiteurs avec ordinateurs portables, clé 4G, téléphone et imprimante-fax-scanner. Angélique Humbert et Émilie Wilczinski sont chargées d’accueil service public itinérant pour le compte de la communauté de communes Thiérache Sambre et Oise.
Quatre jours par semaine, elles viennent à la rencontre des habitants des communes isolées du secteur pour leur proposer, sur le même principe que les maisons de services au public (MSAP), un accompagnement dans leurs démarches auprès des organismes partenaires : MSA, CPAM, CAF, Carsat, Mission locale et Pôle Emploi.
Première nationale
« Le projet a été lancé au niveau national par le député Nicolas Bays, à la suite des conclusions d’un rapport ministériel de 2016 sur les services publics itinérants, précise Caroline Lombard, vice-présidente à la communauté de communes Thiérache Sambre et Oise. Le territoire de l’Aisne correspondait bien aux critères retenus pour expérimenter le projet. » C’est donc naturellement qu’il a été choisi comme département pilote.
Soutenue par le ministère de l’Aménagement du territoire, de la Ruralité et des Collectivités territoriales, la communauté de communes obtient des subventions de l’État pour l’acquisition du camping-car et le financement des deux employées qui l’occupent.
Le service public itinérant se met en route dès janvier 2017. Les deux conseillères assurent des permanences dans 32 des 36 villages de la collectivité, afin d’accompagner les personnes et de les guider dans leurs démarches. Inutile de prendre rendez-vous, la porte du camping-car est grande ouverte.
Ce projet innovant vise à contrer la disparition des services publics et l’isolement des habitants de cette zone rurale. Car la Thiérache a vu peu à peu ses agences de services au public disparaître, remplacées par des permanences uniquement mensuelles, comme dans la ville de Guise, siège administratif de la communauté de communes.
Le service public itinérant est aussi une manière de pallier l’obstacle du tout numérique. « La plupart des démarches administratives se font maintenant en ligne : déclarations d’impôts, dossiers de retraite, d’allocations familiales, demandes de cartes d’identité, etc. Or il y a encore beaucoup de personnes qui n’ont pas accès à Internet ou qui n’utilisent pas l’outil informatique, souligne Angélique Hubert. Les statistiques montrent que seuls six usagers sur dix ont accès à un équipement informatique ou à une connexion à leur domicile. »
Rempart contre l’isolement et la disparition des services publics
Chaque jour, les chargées d’accueil guident les néophytes dans l’utilisation de leurs comptes en ligne et, s’ils n’utilisent pas l’outil informatique, réalisent la procédure avec eux. Pour pouvoir répondre aux différentes demandes, elles sont en lien avec un référent dans chaque organisme partenaire. Et, pour rester à jour, elles suivent régulièrement des formations sur les sujets pour lesquels elles sont sollicitées.
« Les demandes concernent majoritairement la retraite. Nous avons appris à décrypter un relevé de carrière. Nous leur expliquons le déroulement et nous préparons le dossier avec eux ; il ne leur reste qu’à le timbrer et à l’envoyer. »
S’il n’y avait pas le camping-car, je ne sais pas comment je ferais. »
Lorsque les personnes n’obtiennent pas de réponses, elles se chargent des relances jusqu’à ce que la situation se débloque. Maryvonne, par exemple, n’a pas hésité à parcourir quinze kilomètres en voiture pour rejoindre le point de stationnement du camping-car. C’est sa mairie qui lui a indiqué que le service public itinérant se trouvait à Audigny ce jour-là. « Je me déplace car c’est urgent. S’il n’y avait pas le camping-car, je ne sais pas comment je ferais. J’irais probablement à la gendarmerie de Guise qui est encore plus loin », témoigne-t-elle. Émilie Wilczinski appelle illico le bon interlocuteur et parvient à localiser la carte grise égarée : la situation est débloquée.
Si, au départ, des conventions ont été signées avec la MSA, la Carsat, la CAF, Pôle emploi et la mission locale, la communauté de communes se rapproche d’autres administrations pour signer de nouvelles conventions.
« Les demandes de cartes d’identité et de passeports, par exemple, ne se font plus en mairie et nécessitent deux mois d’attente, note Caroline Lombard. Nous sommes actuellement en pourparler pour proposer ces services dans le camping-car. »
Les élus viennent par ailleurs de rencontrer la maison départementale pour les personnes handicapées (MDPH) pour un possible partenariat. « Nous nous rendons compte que 40 % des dossiers qui arrivent chez eux ne sont pas de leur ressort. Si nous réalisons une première orientation, cela permettra à la MDPH de gagner du temps, d’être plus efficace dans le traitement des dossiers et cela n’obligera plus les personnes qui ont du mal à se déplacer à venir inutilement à Laon. »
Aider au maximum
En attendant la conclusion de nouveaux partenariats, Angélique Humbert et Émilie Wilczinski n’attendent pas d’officialisation pour donner un coup de main. « Quand on sait où et à qui demander les informations que la personne lambda ne pourra pas forcément obtenir toute seule, on l’aide », confient-elles.
En parlant avec les habitants, elles parviennent aussi à détecter certains problèmes qui n’auraient pas surgi dans un autre contexte. Car le « cocon » du camping-car semble favoriser la relation de confiance. Il serait même propice aux confidences.
C’est autre chose que d’être en contact avec une boîte vocale ! »
« Il arrive fréquemment qu’une personne vienne pour un sujet et qu’elle reparte avec trois ou quatre dossiers car, dans la discussion, elle finit par se livrer et on réalise qu’elle peut prétendre à des aides supplémentaires. On essaie de soutenir et d’aider au maximum les gens, humainement et socialement. C’est notre petit côté assistantes sociales », continue Angélique Humbert. « Certains ont leur fierté : ils ne veulent pas bénéficier de certaines aides, notamment pour la famille. Souvent, ils réfléchissent chez eux et finissent par revenir vers nous pour constituer un dossier », complète Émilie Wilczinski.
Bilan positif
Après un an de mise en service, le bilan est plus que positif pour le service public itinérant. Les retours sont très bons. « Pour nous, ce ne sont pas des numéros. On se souvient d’eux. Les gens s’en rendent compte et ils apprécient beaucoup. C’est autre chose que d’être en contact avec une boîte vocale ! Ils sont soulagés de pouvoir obtenir des réponses rapidement. Il y a même des gens qui habitent en dehors de la communauté de communes qui viennent nous voir. Ils arrivent en disant “je sais que vous saurez me répondre”. »
Les chiffres sont là pour couronner le succès : près de 800 dossiers ont été traités en 2017. Fort de ce succès, le conseil communautaire n’a pas hésité à reconduire le dispositif en 2018. Depuis, le service public itinérant enregistre un regain de fréquentation. Les demandes ont même doublé entre décembre et janvier.
Angélique Humbert et Émilie Wilczinski poursuivent leur petit bonhomme de chemin à bord du camping-car, en tachant de rester « toujours professionnelles mais conviviales ! ».
Témoignages
Sur le territoire de Thiérache Sambre et Oise, la précarité est forte. Les indicateurs socio-économiques sont particulièrement bas. Il y avait un vrai besoin d’accompagnement des publics.
Notre objectif est d’assurer la plus grande proximité possible avec un maillage adapté au positionnement de nos populations agricoles. Nous sommes cependant confrontés à des contraintes en ce qui concerne nos lieux d’implantation. Ce qui nous amène à chercher des solutions mutualisées avec un certain nombre de partenaires.C’est ainsi que nous avons mis en place, à l’initiative de La Poste, des maisons de services au public (MSAP), un accueil partagé entre MSA, Carsat, Caf, CPAM, Pôle emploi… Dans les zones rurales où nous n’avons pas forcément les moyens d’être présents, cela permet d’offrir une information de premier niveau, c’est-à-dire une information générale et de relais, en particulier sur nos téléservices.
Quatorze MSAP se sont implantées sur notre territoire depuis 2016. Il reste cependant des zones rurales où elles ne sont pas présentes : c’est le cas du secteur de Thiérache Sambre et Oise. D’où notre intérêt pour cette solution innovante de service public itinérant, au plus proche du domicile des personnes.
Nous sommes sur un territoire isolé : les grandes villes les plus proches sont Saint-Quentin, à 30 kilomètres, et Laon à 45 kilomètres. Ce n’est pas tout près. C’est pourtant dans ces villes que nos habitants doivent se rendre pour effectuer leurs démarches administratives, sur rendez-vous. Souvent, il y a quand même de l’attente… ce n’est pas toujours évident. Le camping-car, c’est un avantage pour tout le monde. Chacun aime avoir les services au pied de sa porte et, en plus, cela permet aux gens d’avoir un dialogue, ça crée du lien.
Aujourd’hui, des collectivités de toute la France nous contactent pour savoir comment le service public itinérant fonctionne et comment nous l’avons mis en place. Il répond a de vrais besoins sur les territoires. C’est un vrai succès. Il faut le pérenniser.
En chiffres
En 2017, le camping-car de service public itinérant c’est :
– 32 communes couvertes
– 1 043 heures de déplacement
– 5 304 kilomètres parcourus
– 881 heures d’ouverture au public
– 583 personnes
– 797 dossiers traités
– 37 sollicitations pour la MSA