À Sallertaine, au cœur du marais breton vendéen, le vent se lève. Les ailes du moulin de Rairé se mettent en branle. Au milieu des roues, des engrenages et de la fine poussière, tandis que la mécanique ronronne, Richard Billet s’affaire. C’est le moment de transformer ses grains de blé en farine. Féru d’histoire, cet ancien professeur de lycée veille sur ce patrimoine vivant avec la passion d’un marin attaché à son navire.
Il a trouvé dans ce lieu chargé de mémoire, l’alliance parfaite entre son goût pour le passé et la tradition familiale. Le moulin du XVIe siècle appartient depuis 1840 aux Barreteau, la famille d’Anne, sa femme. C’est son beau-père, meunier et exploitant agricole, qui tenait la barre avant lui. Lorsque celui-ci prend sa retraite, Richard ne peut se résoudre à laisser tomber le bâtiment classé monument historique dans l’oubli. « Ça allait s’arrêter et je trouvais ça triste », confie-t-il. Aujourd’hui, avec Anne et leur fils Pierre, qui les a rejoints, il perpétue la tradition. Ensemble, ils font partie de l’une des dernières familles à exploiter un moulin à vent de manière traditionnelle, sans électricité. Sur les 5 000 toujours debout en France, seuls 300 fonctionnent encore, dont une cinquantaine épisodiquement, « souvent à des fins touristiques », note Richard.
Marin avant d’être meunier
Il lui a fallu des années pour apprivoiser ce métier complexe. La « machine », comme il l’appelle avec affection, doit être domptée. « On est marin avant d’être meunier », résume Richard, rappelant que les moulins à vent, apparus en France vers le XIIe siècle, doivent beaucoup aux techniques maritimes. Cette formule n’a rien d’une métaphore, comme en témoigne le vocabulaire utilisé : on parle de voilure et de la vergue. Pour savoir faire de la farine, il faudrait donc apprendre à naviguer… Et puis, il faut maîtriser une technique précise qui s’apparente à celle d’un horloger minutieux. « Tout se calcule au micron près. Au fur et à mesure de la journée, les réglages changent. On veille au bon écartement des pierres en fonction du type de grain à moudre, mais aussi de la température qui a chauffé les pierres en activité, détaille ce passionné. Les ailes doivent également être réglées fréquemment. Même l’humidité doit être prise en compte. » Pour arriver à produire de la farine, c’est donc tout un apprentissage. Richard Billet connaît maintenant sa machine par cœur, à l’écoute du moindre son qui pourrait l’alerter d’un problème. « Notre premier outil de travail, c’est l’oreille. » Il se décrit d’ailleurs comme « un pianiste à l’écoute du tic-tac » spécifique de son moulin, son « battement de cœur ».
Un métier 3 en 1
L’activité est saisonnière. L’été est consacré à moudre le grain, et le moulin tourne à plein régime : fabrication de la farine, ensachage et livraisons sont au planning. À l’année, il produit 200 tonnes de farine de blé, 25 tonnes de sarrasin et 3 à 4 tonnes de farine de riz. Richard organise aussi des visites du moulin, pour continuer à transmettre ce qui le passionne : l’histoire. En hiver, le meunier s’attache à l’entretien de l’édifice. Sa fonction ne se limite en effet pas à faire de la farine. « Il y a toute une partie du travail que l’on ne voit pas. On a un deuxième métier, celui d’amoulangeur », c’est-à-dire un spécialiste de la construction des roues à aubes et engrenages en bois pour moulin à vent. Poncer et repeindre les ailes (ce qui représente près de 100 kilos de peinture), recaler le bois, goudronner la toiture… les tâches ne manquent pas. Depuis plus de trente ans, Richard travaille près de 18 heures tous les jours, un peu moins en hiver.
Quand viendra l’heure de la retraite, Pierre, le fils d’Anne et de Richard, sera prêt à reprendre le flambeau. Et quand le vent se lèvera, les ailes du moulin de Rairé tourneront à nouveau.