Les personnes s’opposant au prélèvement de tous ou certains de leurs organes peuvent désormais s’inscrire directement en ligne sur le registre national des refus, L’occasion de revenir sur les modalités du consentement présumé, encore méconnu.
Ce soir-là, à Écordal, une trentaine de personnes sont venues écouter les deux spécialistes. Bernard Just, médecin réanimateur, entre dans le vif du sujet : « Il est important de comprendre ce qu’est la mort cérébrale, permettant le prélèvement. Aujourd’hui, grâce notamment aux angioscanners, il est plus facile de savoir. Les causes sont diverses : AVC sévère, traumatisme crânien grave, asphyxie, blessure par arme à feu, méningite… Le mécanisme de base est toujours le même : le cerveau gonfle, s’autocomprime et empêche la circulation sanguine, ce qui abîme voire détruit le tronc cérébral. Après plusieurs examens, trois médecins attestent que le cerveau est mort. Pour conserver les organes, le cœur continue de battre grâce à la ventilation artificielle par le respirateur et aux médicaments. »
C’est là toute la difficulté pour un proche, accepter ce constat alors que le corps est chaud. Et, dans ce moment d’émotion, répondre à cette question : était-il donneur ? Malheureusement, la plupart du temps, on ne sait pas.
Depuis 1976, la loi prévoit que toute personne est donneur présumé. Pour connaître l’avis du défunt, les médecins consultent le registre national des refus, créé en 1998 et géré par l’Agence de la biomédecine., où environ 150 000 personnes sont inscrites. Ce dernier est aujourd’hui le moyen principal, mais non exclusif, d’expression de son refus, révocable à tout moment. Il sera désormais possible de s’y inscrire en ligne, et non plus seulement par courrier postal. En l’absence d’inscription, les médecins se tournent vers la famille. Le défunt pourra avoir informé ses proches, soit par écrit, soit oralement, aussi bien de son accord que de son refus. Dans ce dernier cas, les proches consultés devront retranscrire noir sur blanc les circonstances précises de l’expression de ce refus.
Des règles d’attribution très réglementées
« En 2015, 5 746 greffes ont été réalisées, alors que 21 464 personnes étaient inscrites sur liste d’attente : c’est 7 % de plus qu’en 2014 et 30 % de plus en 10 ans, précise Christine Marcoux. On compte 32 % de refus. La loi évite de placer la famille en première ligne en mettant en avant le choix du défunt. »
Mais, au fait, que peut-on donner ? « Tissus, (cornée, peau, os, vaisseaux, valves cardiaques…), organes (foie, cœur, reins, poumons, pancréas, tube digestif), on peut donner beaucoup, explique le médecin. Si toutes les conditions sont réunies – organe viable, équipes disponibles, compatibilité établie…– un logiciel consulte le registre des receveurs et trouve la bonne personne selon des règles d’attribution très règlementées. Tout est fait pour ne pas perdre l’organe. »
« On peut être donneur potentiel à n’importe quel âge, ajoute l’infirmière coordinatrice. La moyenne se situe entre 50 et 70 ans, dont un quart a plus de 60 ans. À partir de 65 ans, on ne prélève plus le cœur, mais c’est encore possible pour les poumons jusqu’à 70 ans et les cornées jusqu’à 85 ans. » Plusieurs personnes du public s’inquiètent de l’état du défunt après le prélèvement. « Tout est fait pour rendre le corps présentable, comme après n‘importe quelle opération chirurgicale, répond Bernard Just. Par exemple, la cornée, membrane transparente placée sur le globe oculaire, qui a la taille d’une pièce de dix centimes, est remplacée par une lentille. » Car même le plus petit don peut changer la vie de quelqu’un : c’est ainsi que la greffe de cornée rend la vue à environ 5 000 personnes par an.
« J’ai eu beaucoup de chance »
Nicolas, 18 ans. Souffrant d’une maladie infantile rare, l’atrèsie des voies biliaires, il a été greffé du foie à l’âge de 14 ans :
« Le 22 janvier 2013 est comme un 2e anniversaire pour moi. Je me souviens très bien, je regardais la télé quand le téléphone a sonné vers 20 heures la veille : “On a un foie !” Nous avons mis deux heures pour arriver à Paris, à cause de la neige. Et à 2 heures du matin, j’entrais au bloc. Trois semaines plus tard j’étais sorti, au lieu des trois mois recommandés. Comme je le dis souvent, j’ai caressé la mort, mais je lui ai dit qu’elle pouvait attendre ! Et pourtant, les résultats n’étaient pas très bons, mes plaquettes étaient descendues à 35 000 (au lieu d’être à 200 000).
« Tous ses organes étaient affectés, confirme Sandrine, sa maman. Sa rate était trois fois plus grosse que la norme, son coeur et ses poumons étaient fatigués. Il risquait l’hémorragie à tout moment. Il vivait comme dans une bulle, pour éviter tout risque d’infection. Le chirurgien nous a prévenus qu’il pouvait ne pas revenir. Après 13 heures d’opération, il pesait 36 kg. »
Aujourd’hui je me sens bien, atteste Nicolas. C’est un lourd traitement à vie. Parfois j’en ai marre. Si je ne prends pas mes huit médicaments comme il faut, ma greffe peut être rejetée et il faudrait tout recommencer. Alors, une fois, pas deux. J’ai eu beaucoup de chance. J’en arrive parfois à oublier que j’ai été opéré ! Quand on m’a dit que ça allait être dur, j’étais démotivé. Mais les médecins m’ont conseillé de ne pas baisser les bras. Je les ai écoutés. L’année prochaine, je vais passer le permis, le concours général des métiers et le baccalauréat. En revanche, le médicament antirejet abîme mes reins : il me faudra une nouvelle greffe dans dix ans. Mais à côté du foie, c’est de la rigolade ! »
« C’est un choix difficile. »
Anne, cadre sage-femme, proche de donneurs :
« Ma belle-soeur s’est retrouvée en état de mort cérébrale après une embolie pulmonaire massive à 46 ans. Puis, à la fin du mois de septembre, c’est mon père qui a eu une hémorragie cérébrale importante. On s’est retrouvé dans les deux cas à ne pas savoir vraiment ce qu’ils pensaient et à réfléchir à la place de personnes qui ne peuvent plus donner leur avis. Même à 86 ans, mon père ne s’était jamais positionné ouvertement sur la question. Nous avons eu la chance de pouvoir nous mettre très vite d’accord. Et quand je vois les chiffres et Nicolas, cela me conforte dans notre décision. C’est un choix difficile. Ma belle-mère s’est dit : “Ma fille ne reviendra pas, on ne peut plus rien faire. Mais si on peut, grâce à ce don, sauver une, deux vies, ça sera bénéfique”. Aujourd’hui, elle a un peu l’impression que quelqu’un, quelque part, vit grâce à elle. C’est pour ça que je suis là, pour que chacun incite les personnes de son entourage à se positionner, parce que cela facilite beaucoup les choses. Parlez-en, quel que soit votre âge. »
En savoir plus : www.dondorganes.fr
Registre national des refus : comment s’inscrire ?
À partir de 13 ans, rendez-vous sur www.registrenationaldesrefus.fr
Les demandes restent possibles par envoi papier à l’Agence de la biomédecine (1, avenue du Stade-de-France, 93212 Saint-Denis La Plaine cedex) via un document PDF disponible à la même adresse ou sur papier libre. La copie d’une pièce d’identité sera demandée.
Le formulaire de refus permet également de ne s’opposer au prélèvement que pour certains organes ou tissus. L’inscription est révisable et révocable à tout moment.
En 2015, 5 746 greffes ont été effectuées, 21 464 personnes étaient inscrites sur liste d’atttente et 553 autres sont décèdées, faute de greffe.
Aujourd’hui, plus de 57 000 personnes vivent grâce à une greffe mais près d’un prélèvement possible sur trois est refusé.