Leurs masques peinent à cacher leurs traits tendus. Gérard et Sylvie, un couple de vignerons du cru, patientent dans le strict respect de la distanciation sociale au milieu de la file qui se forme doucement depuis le milieu de matinée dans la salle des fêtes de Trélou-sur-Marne. Ici,
pas de queue interminable comme à Paris. Il ne leur faudra que quelques minutes d’attente avant de découvrir de près (trop ?) à quoi ressemble vraiment un écouvillon nasal. « Imaginons que nous soyons tous les deux dépistés positifs et qu’on se retrouve confinés ? Ce serait une catastrophe. Qui ferait les vendanges à notre place ? », s’interrogent en chœur ces deux Axonais à la tête d’une petite maison de champagne dans cette commune du sud de l’Aisne.
À quelques heures du premier coup de sécateur, la question a de quoi angoisser quiconque sait que le raisin arrivé à maturité n’attend pas, n’ayant que faire des pandémies. Le risque pour Gérard et Sylvie : compromettre une année entière de travail dans une période déjà complexe
à gérer pour eux, tant au plan sanitaire que commercial. « L’un de nos employés au pressoir a été testé positif alors on sait que le virus circule, c’est aussi pour ça qu’on est là. »
Comme ce couple, le 20 août dernier, 112 personnes, dont 47 affiliées au régime de protection sociale agricole, ont franchi la porte de la salle municipale de cette commune picarde de 960 habitants, installée sur le territoire de la Champagne historique et de l’appellation du vin
effervescent du même nom.
« Pendant les vendanges, la population de notre commune augmente d’un tiers, assure Daniel Girardin, le maire du village qui compte 400 hectares d’AOC. Des personnes arrivent non seulement de toute la France mais aussi d’Europe. » Il a lui-même confié ses narines aux mains expertes de Pascale Wauquaire et d’Héléna Charpentreau, deux infirmières libérales installées à Soissons, qui enchaînent les prélèvements pendant une grande partie de la journée.
« Dans cette démarche, les maires sont un maillon essentiel car ils connaissent leur territoire et donc les lieux de brassage de population qui peuvent générer des risques », souligne Abdelmajid Tkoub, sous-préfet et directeur de cabinet du préfet de l’Aisne, venu constater sur place la bonne organisation de la journée. « Même si la situation est maîtrisée dans notre département à l’heure où je vous parle, il ne faut pas baisser la garde, poursuit-il. Ces campagnes de dépistage doivent nous permettre d’identifier la façon dont le virus circule. Pour nous, il est important d’anticiper. C’est pourquoi nous faisons un suivi quotidien avec des données publiées régulièrement et parfaitement transparentes pour le grand public. »
Aucun tri n’est opéré à l’entrée de la salle des fêtes de Trélou-sur-Marne.
« Les personnes souhaitant se faire tester doivent simplement se munir d’un masque, d’une pièce d’identité et de leur carte Vitale », explique Marie Signolet, de la cellule de dépistage de l’ARS Hauts-de-France.
L’établissement public chargé de la mise en œuvre de la politique de santé de l’État dans la région a dépêché quatre personnes pour l’accueil et le traitement administratif des dossiers. À leurs côtés, deux infirmières en santé au travail de la MSA de Picardie, Mélanie Gauci et Céline Bounar, sont chargées d’accueillir et de sensibiliser les ressortissants MSA aux gestes barrières. Elles sont accompagnées de Sandrine Fonte-Nova, webmaster à cette même caisse.
5 000 vendangeurs dans l’Aisne
« Les employeurs sont incités à alerter leurs saisonniers et leurs salariés de l’importance de se faire tester, insiste Reynald Fraisy, conseiller en prévention des risques professionnels à la MSA de Picardie, qui suit les entreprises du secteur depuis le début de l’épidémie. Le travail collaboratif de terrain étroit entre la directrice générale de la MSA de Picardie, la préfecture, l’ARS et le syndicat général des vignerons a permis de mettre rapidement en place ces deux opérations. »
Une fois les prélèvements effectués, l’ensemble des tests sont ensuite transportés par les équipes du service départemental d’incendie et de secours (SDIS) de l’Aisne jusqu’au laboratoire d’analyses situé à Soissons. Sur le même principe, la veille, 157 personnes – dont un tiers d’affiliés à la MSA – ont été testées à Charly-sur-Marne.
Le département doit en effet accueillir environ 5 000 saisonniers pendant toute la durée des vendanges qui ont débuté de façon très précoce cette année.
« Ces opérations ont pour objectif de toucher une large part des habitants, en allant à leur rencontre sur leurs lieux de vie, poursuit Marie Signolet. Les zones viticoles ont été ciblées, car les vendanges nécessitent de faire appel à de la main-d’œuvre extérieure au département, qui provient de lieux divers, où la circulation du virus peut être plus active que dans l’Aisne. Si les employés et travailleurs saisonniers sont visés, la population locale peut également bénéficier de ces tests, en particulier les personnes revenant de vacances. »
William, le pompier, lâche sa petite larme
William, 56 ans, lâche sa petite larme en sortant de la salle des fêtes de Trélou-sur-Marne. L’homme, sapeur-pompier, est pourtant un dur à cuire. « Je suis au pressoir pendant les vendanges alors je suis venu me faire tester. » Même cause même effet lacrymal sur Cédric, 43 ans, qui travaillera à ses côtés. Sylvia, 49 ans, est venue en famille. « J’ai reçu un message de ma patronne, m’invitant à venir me faire tester aujourd’hui. Je commence les vendanges lundi », confie-t-elle. « Je vous le dis du fond du cœur : ça fait chialer », lâche son fils dans un grand sourire embué. Lui aussi entame la cueillette du raisin dans quelques jours. Aurélie, sa sœur, tempère : « l’infirmière qui m’a fait le prélèvement est très douce. » Intérimaire chez Lidl, elle fait partie des Français qui sont en première ligne depuis le début de l’épidémie.
« Au début, on avait des instruments qui ressemblaient à des Coton-Tige, mal adaptés et trop gros. On a maintenant à disposition des écouvillons de compète beaucoup plus fins. Le prélèvement est optimal, le saignement nasal inexistant. Bien sûr, le test PCR peut faire peur mais il n’est pas douloureux », rassure Héléna Charpentreau en dégainant aussi sec l’objet de toutes les angoisses. De toute façon avec deux minutes par patient, elle n’a pas le temps de sécher les larmes.
Josée, 82 ans, vigneronne retraitée, a les yeux qui brillent dès qu’on l’interroge sur les vendanges. Même si elle ne met plus la main au sécateur depuis quelques années maintenant, elle est intarissable sur le sujet. Elle s’est soumise comme les autres au test PCR. « C’est un peu agressif mais pas la mer à boire », relativise-t-elle.
« La moutarde m’est montée au nez, sourit Nathalie, employée à la mairie de Trélou-sur-Marne, en réajustant son masque, mais aujourd’hui, j’ai surtout appris que je me lavais mal les mains. » Juste après son test, elle a glissé ses menottes dans la boîte à coucou ou boîte à Sha (pour Solution Hydro Alcoolique). Malgré sa dénomination qui peut laisser perplexe, il s’agit d’un outil de prévention très sérieux.
À l’intérieur, un rayon ultraviolet permet de colorer les parties frictionnées par un gel hydroalcoolique phosphorescent. Toutes les zones où la solution n’a pas été correctement appliquée sont ainsi facilement identifiées. « La plupart des gens oublient leurs pouces et leurs poignets, constate l’infirmière en santé au travail Céline Bounar. Le lavage des mains reste pourtant le premier geste de prévention dans la lutte contre le Covid-19. La boîte à coucou démontre ce jour-là à Trélou qu’on a tous encore des progrès à faire sur la question, qu’on soit vigneron, sous-préfet ou simple vendangeur.