Inviter directeurs, encadrants et représentants du personnel à réfléchir ensemble sur la santé au travail… risqué ? Non, indispensable. Les transformations du monde de l’entreprise ont un impact sur le quotidien et les missions de chacun de ses acteurs. Et la façon dont ces mutations sont accompagnées peut faire toute la différence.

« Les médecins et infirmiers des deux MSA ont fait part de difficultés de santé au travail sur leurs territoires, et nos élus ont souhaité agir », explique Hervé Guillotel, responsable santé-sécurité au travail (SST) à la MSA Portes de Bretagne et pilote du projet. Sous l’égide d’un groupe de travail régional SST, nous avons alors coconstruit cette action, centrée sur la question du management. Comment peut-il être générateur de santé au travail ou, à l’inverse, délétère ? Nous avons invité des représentants du personnel, des dirigeants et managers intermédiaires d’entreprises de plus de 10 salariés, et avons pris le pari de les faire échanger afin d’essayer de trouver des repères pour agir et faire bouger les lignes. Ce n’est pas simple d’aller sur ce terrain-là, mais c’est notre rôle, en tant qu’organisme de protection sociale, d‘ouvrir des portes. »

Pari réussi puisque les deux journées « Management et santé au travail : un équilibre à construire », organisées le 17 octobre à Carhaix, dans le Finistère, et le 28 novembre à Pacé, en Ille-et-Vilaine, ont réuni au total 374 personnes de 136 entreprises de tous secteurs agricoles : services, banque et assurance, coopératives, PME… la MSA ne faisant pas exception. Plusieurs experts ont témoigné et accompagné les ateliers des journées, dont le dessinateur Éric Appéré n’a pas manqué une miette.

© Éric Appéré

Sortir du cockpit

D’emblée, Mathieu Detchessahar, professeur des universités au laboratoire d’économie et de management Nantes-Atlantique (LEMNA) et à l’institut d’administration des entreprises (IAE) de Nantes, fait un constat sans concession :

Pourtant, après une étude dans le secteur de la santé, il parvient à un autre constat : les équipes souffrent d’une absence grandissante de leur chef. « Et oui, contrairement à ce que l’on pourrait penser, moins voir votre chef ne va pas vous faire vous sentir mieux, lance-t-il à l’assistance. Nous avons suivi des managers pour comprendre, et on s’est rendu compte qu’ils étaient comme aspirés par des forces centrifuges : un agenda rempli de choses présentées comme urgentes, un temps considérable passé dans leur bureau, pris par une activité administrative, à alimenter des outils de gestion… Et quand ils en sortent, c’est pour aller en réunion, trop souvent de type descendante. On est dans un monde extraordinairement bureaucratique, alors que le discours moderne est tout autre. C’est le cas pour tout type d’entreprises, de toute taille, ainsi que pour le monde associatif. Je leur dis de sortir de ce cockpit qui, avec tous ces cadrans et indicateurs, donne l’impression de pouvoir piloter sans quitter le tarmac. »

Ouvrir le dialogue

Le manque de dialogue semble le problème numéro un. « On passe du temps à expliquer mais pas à s’expliquer, continue le spécialiste. D’autant plus qu’aujourd’hui, surtout dans les grandes entreprises, les managers ne connaissent pratiquement pas le travail opérationnel. Il y a comme un divorce entre l’activité managériale et l’activité opérationnelle. Ce qui rend l’ouverture du dialogue encore plus difficile. »

Cette tendance ne facilite pas la gestion de l’écart entre le travail prescrit et réel, comme le note Erwan Le Bezvoët, psychologue clinicien au centre hospitalier Guillaume-Régnier de Rennes.

Photo ©MSA d’Armorique.

« Heureusement, je vois beaucoup d’entreprises qui en ont pris conscience, rassure Mathieu Detchessahar. J’ai déjà constaté un grand virage de directions générales, qui ont compris les limites de la performance et ses multiples indicateurs. » Quoi de mieux pour en parler qu’une entreprise qui a effectivement amorcé ce virage.

Icoopa : un exemple réussi

Association de gestion et de comptabilité qui fait de l’expertise comptable pour le monde agricole et artisan, Icoopa compte 211 salariés et 19 agences en Bretagne. Un métier confronté aux nombreuses évolutions de la réglementation, des procédures, des exigences mais aussi difficultés des clients… Après avoir constaté un malaise important dans les équipes en 2014, la direction a fait appel à la MSA.

Michael Bleybrunner, responsable prévention des risques professionnels à la MSA d’Armorique, et Thierry Debuc, ergonome, ont réinterrogé leur organisation en créant des espaces de discussions afin de comprendre où se situait le problème. Là encore, l’écart entre le travail prescrit et réel était significatif. « Tout notre cycle de travail était bâti sur des qualités de prévisions et de stabilité, explique Ronan Moalic, directeur d’Icoopa. Nous avons pris conscience qu’il fallait mener l’entreprise sur de l’instabilité. Tout ne sera pas prévu. Notre défi a été d’insuffler et d’amorcer de nouvelles façons de faire. » Une méthode de travail est mise en place, qu’ils nomment « la revue de dossiers ». Cette réunion régulière permet aux conseillers et comptables de ne plus être seuls face aux difficultés, et de trouver des solutions ensemble.

Retrouver le sens du travail

« En changeant de modèle, on change la manière de travailler des managers, ajoute Thierry Debuc. Aujourd’hui, leur rôle est de soutenir la construction des réponses et l’adaptation à ce qu’on n’est pas en capacité de prévoir, plutôt que d’être dans la maîtrise. Les collaborateurs, quant à eux, ne peuvent plus prétendre ne trouver la solution qu’auprès du manager, qui n’a pas forcément la réponse adaptée. De problèmes “individuels” pouvant passer inaperçus, on passe à des questions de métier. C’est déculpabilisant. Et cela conditionne complètement la manière d’aborder la question de la santé au travail. Sans engagement des équipes, même avec un effectif au complet, ça ne marche pas. » À partir de là, toute l’organisation de l’entreprise peut être questionnée : est-ce que les méthodes d’évaluation soutiennent l’engagement ? Est-ce que le temps de travail est pensé comme tel, ou comme un temps pur de production ?

Ce travail commun permet ainsi de casser l’isolement des collaborateurs, s’adapte au jour le jour et fait ses preuves. « Aujourd’hui, on a beaucoup moins d’interpellations, confirme André Begoc, membre du comité social et économique d’Icoopa. Il fallait bien cela pour libérer la parole. Cela nous a permis de mettre des mots sur les situations, on a travaillé sur les notions de travail prescrit et réel, le bienfait de pouvoir raconter son vécu et d’entendre celui des autres, confrontés aux mêmes questionnements. L’ambiance est désormais plus apaisée et les managers se remotivent dans leur travail. »

« Retrouver le sens du travail, voilà l’enjeu, conclut Mathieu Detchessahar. Le meilleur management est celui qui est centré sur le travail des personnes, et est capable d’ouvrir le débat sur celui-ci. Pour cela, il faut du courage et s’équiper. La machine à café, c’est bien mais ça ne suffit pas, le dialogue ça se conçoit. Et il va de soi que cela concerne toute la ligne managériale, jusqu’à la direction. C’est dans ces conditions que la créativité s’exprime le mieux, qu’on innove, qu’on ne fait pas que subir. » Alors oui, il y a bien un pilote dans l’avion. Mais le temps de l’encadrement depuis le cockpit touche à sa fin. Managers, devenez des soutiens de l’engagement !

Pour aller plus loin, rdv sur portesdebretagne.msa.fr/colloque-management.