« Les colonies de vacances, ça fait désuet, dépassé, d’un autre temps. »
Au niveau national, elles connaissent une baisse générale de fréquentation. Le déclin s’est amorcé dès les années 1980, les habitudes et les attentes ont peu à peu changé, les aides de l’État ont progressivement baissé, les coûts de fonctionnement et les mises aux normes des bâtiments ont augmenté. Aujourd’hui, la tendance est, dit-on, davantage à la consommation d’activités, aux séjours à l’étranger ou thématiques développés par des organismes lucratifs, réservés à une élite. Dans la presse, ils sont légion les papiers titrés « Où sont nos colonies d’antan ? », « La fin des jolies colonies de vacances »… qui semblent bel et bien sceller le sort de cette forme de tourisme social.
Et pourtant. En plein cœur du Finistère, à l’embouchure du Bélon, un village de vacances et ses occupants résistent : Beg Porz.
Il faut dire que la « colo » est l’ADN de Beg Porz. Propriété de la MSA depuis 1963, ce domaine de 2 hectares et 800 mètres de façade maritime est, dès l’origine, ancré dans l’action sociale, comme l’explique Jean-Marc Jourdain, le directeur du domaine : « Le domaine a été construit pour les enfants des Alpes qui luttaient contre le crétinisme goitreux, maladie couramment rencontrée en montagne et attribuée au manque d’iode. Depuis, ici, on reste attaché au tourisme social et familial ». Si le crétinisme goitreux n’est, fort heureusement, plus à l’ordre du jour (du moins en France), l’action sociale de Beg Porz, elle, demeure au centre des préoccupations de la MSA et de l’AVMA.
Changement de rythme
Quand on arrive à Beg Porz, pas de « crétins des Alpes » à l’horizon. Pas de colonie, non plus. Se dresse devant nous un village de vacances, niché au-dessus des flots. Des clients déambulent, des couples avec leur(s) enfant(s) se rendent à la salle de restaurant. Mais de colons, point. « Au départ, c’était un centre de colonies de vacances uniquement. L’hôtelier est venu après, pour répondre à la demande », indique pourtant Jean-Marc Jourdain. Il est vrai que le site est assez exceptionnel et qu’il aurait été dommage de ne pas profiter de son attractivité et de la manne financière que promettait son ouverture à la clientèle extérieure.
Mais sinon, Jean-Marc, les colons où ils sont ? La configuration du site est ainsi faite que clientèle extérieure et participants à la colonie n’ont pas à se croiser. Chacun a ses bâtiments, ses accès, sa salle de restauration. Résultat, deux mondes cohabitent sans jamais se gêner ni interférer. Cela garantit le calme aux uns et la sécurité aux autres. Et en effet, sitôt l’escalier menant à la partie colonie descendu, commence le tohu-bohu.
L’heure du repas est passée. Réunis par groupes d’âge, les enfants profitent d’un temps calme et du soleil. Et l’on retrouve les images que peuvent évoquer les « colonies d’antan ».
Devant les cages de football, là où l’herbe s’efface à force d’être foulée, leurs culs en rond, à genoux, cinq petits, par terre, regardent leur camarade tiquer un calo rond. Un peu plus loin, allongés sur des plaids, on bouquine, on discute, on se repose ou on épluche le courrier reçu le matin. L’échange épistolaire est, apparemment, toujours d’actualité. Et rien qu’à voir la joie qu’éprouve Julie en ouvrant la lettre que ses parents lui adressent, et dans lequel sa mère lui relate, au fil d’une écriture d’une rare élégance, les menus événements de la vie quotidienne familiale, nul doute que ce mode de communication n’a pas encore été mis au rebus par les nouvelles technologies.
« N’allez pas croire qu’ici l’usage du portable est proscrit, il est simplement raisonné, explique Lionel Presse, le directeur de la colonie. Les enfants ont accès à leur téléphone à certains moments de la journée, le reste du temps, ils semblent très bien s’en passer ». D’autant plus que ce « reste du temps », c’est-à-dire le gros de la journée, ils n’ont pas de quoi s’ennuyer.
Question programme, difficile de ne pas trouver animation à son goût. L’arbre des activités qui trône dans une des salles recueille quotidiennement les propositions des colons. L’individuel n’est en aucun cas noyé dans le collectif. L’enfant, ses envies, son rythme, sont à la base du projet pédagogique autour duquel est construit chaque séjour par le directeur et ses animateurs. Et si les sourires des enfants ne suffisaient pas à convaincre de leur envie d’être là, il n’y a qu’à interroger Louis, l’un des membres de l’équipe d’animation. Il résume à lui seul l’esprit de cette colonie, son utilité, sa nécessité.
Louis, le colon devenu animateur
Fils d’éleveurs de chèvres en Haute-Savoie, Louis a plus l’habitude de prêter main forte à ses parents dans leur travail que de partir en congés. Une semaine en Auvergne, trois jours à Paris, voilà en tout et pour tout les souvenirs de vacances en famille de ce jeune homme de 18 ans. Les autres souvenirs, il se les ait fabriqués ici, entre 10 et 18 ans. Beg Porz, c’est sa fenêtre avec vue mer dans un monde où il aurait de quoi devenir chèvre : « On habite à la ferme. Le matin, je me lève, il y a les chèvres, le soir, je me couche il y a les chèvres… La colo, ça coupe le rythme. C’est cool, ça change des montagnes ! »
Et puis on y retrouve les copains ; car on y revient, à Beg Porz, d’une année sur l’autre, parfois jusqu’à ses 17 ans. Arrivé chez les grands (les 9-12 ans), Louis ne se voyait pas ne pas revenir. Et que fait-on quand on a dépassé l’âge d’être colon à Beg Porz ? On devient animateur ! « Au début je ne voulais pas passer le Bafa. Et là, je me suis dit : c’est ma dernière année, je ne peux pas m’arrêter là. Avec tout ce qu’ils ont fait pour moi. J’en ai profité, pourquoi ne pas faire profiter les autres de tout ce que l’on m’a appris ? ».
Louis n’est pas un cas isolé. L’un des moniteurs du club de voile à lui aussi connu Beg Porz d’abord comme résident avant d’y devenir animateur puis d’y passer son diplôme de moniteur de voile. Aujourd’hui, c’est à lui de transmettre sa passion et d’apprendre aux enfants dont il a la charge les rudiments du catamaran, de l’optimiste ou de la planche à voile.
Désuet les colonies de vacances ? Lorsqu’on écoute Jean-Marc Jourdain, il suffit de pas grand-chose pour les remettre sur le devant de la scène. Juste avant que l’AVMA ne relance le produit, Beg Porz accueillait deux séjours qui atteignaient difficilement 70 enfants.
Après un « relookage » qui a consisté à proposer deux activités « plus communicantes », le surf et la plongée, et à améliorer la communication auprès des familles, car « malgré tout, les demandes sont là », le centre propose désormais trois séjours de 15 jours (avec en moyenne 85 enfants par séjour), « et nous avons une liste d’attente ! ».
Ce qui n’est qu’une demi-victoire car, comme la majorité des enfants âgés de 6 à 17 ans participants à la colonie, ceux dont le nom gonfle cette liste sont avant tout des enfants d’agriculteurs qui ne partent jamais en vacances. Évidemment, les raisons financières sont parmi les premières évoquées (avec le fait que les parents eux-mêmes n’ont pas le loisir de partir).
De ce côté, « le niveau d’aide des caisses MSA est énorme », indique Jean-Marc Jourdain. Il précise qu’un séjour de deux semaines valant initialement entre 600 et 800 euros peut n’en valoir qu’environ 80 grâce aux aides. Le problème semble donc bien différent de ce qu’évoquent alors les journaux. Véritables actions sociales, les colonies de vacances, loin de disparaître, ne demandent qu’à essaimer. À l’heure actuelle, la MSA et le bras armé de sa politique sociale vacances, l’AVMA, proposent un autre site accueillant des colonies de vacances : le domaine de Sweet Home en Normandie. Mais nul doute que, face à l’engouement que suscitent ces séjours et aux sourires qu’ils dessinent sur les visages des enfants, d’autres projets sont en réflexion.
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