Et bim ! Tuoi vient de rater sa manœuvre. Son engin a terminé sur le flanc au beau milieu d’un champ après une course folle. La jeune femme paraissait pourtant « avoir pris la confiance » et tenir bien en main le volant de son tracteur de 6,5 tonnes et 80 CV, qui filait à trente kilomètres/heure, quand l’accident s’est produit. La mine de cette employée d’une société de produits phytosanitaires, basée à Hanoï au Vietnam, un temps crispée, s’est vite adoucie pour finir en grand éclat de rire à la vue de son tracteur en fâcheuse posture. Cette fois, pas besoin d’appeler une dépanneuse ou son assureur. Tuoi a le privilège d’être l’une des premières à s’asseoir sur le siège de l’un des deux simulateurs de conduite de tracteur développés par les chercheurs de l’Irstea avec le soutien de la CCMSA. L’institut a fusionné en janvier 2020 avec l’institut national de la recherche agronomique (INRA) pour former l’Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (INRAE). Ils étaient présentés pour la première fois au Sima 2017. « Je les trouve très adaptés à l’apprentissage de la conduite. Ils seraient très utiles dans nos écoles d’agriculture au Vietnam. »

Pour l’instant le SimTrac – c’est son nom – existe en deux exemplaires. Il est réservé aux jeunes Français, mais pourquoi ne pas exporter le concept, à l’avenir, dans ce pays en plein développement ? Petit rappel des faits : la conduite de machines agricoles est source d’accidents, en particulier au cours de l’apprentissage. Devant ce constat, la CCMSA a confié la mission, en 2014, aux équipes de chercheurs et d’ingénieurs de Nicolas Tricot de l’Irstea, de concevoir un projet de simulateur de conduite d’un tracteur agricole dans le cadre d’une convention de développement et de recherche.

Nicolas Tricot, Bernard Benet (au fond), Mickael Alain et Istiven Appavoo, les quatre chercheurs et ingénieurs de l’Irstea sont les papas du SimTrac. © Irstea
Nicolas Tricot, Bernard Benet (au fond), Mickael Alain et Istiven Appavoo, les quatre chercheurs et ingénieurs de l’Irstea sont les papas du SimTrac. © Irstea

Deux ans et des poussières plus tard, Nicolas Tricot présente son « bébé » au public. Le papa peut être fier des cinq écrans avec leurs flux vidéo haute-définition générés par deux ordinateurs méga-puissants et de sa très ergonomique tablette de commande tactile. Les cinq scénarios au choix (champ plat, en dévers, insertion en trafic routier, manœuvre sur l’exploitation et sur champ libre), ainsi que la souplesse de l’outil permettant d’y fixer remorque, citerne ou herse, collent parfaitement à la réalité d’utilisation sur le terrain.

Célestin, élève au lycée de Somme-Suippes, dans la Marne, bouche serrée, trépigne sur son siège, un vrai de vrai issu d’un Massey Ferguson. Le jeune homme vient d’embourber son tracteur… Il lance en forme d’excuse : « La direction est un peu trop assistée, mais sinon je trouve les sensations très réalistes. » À 16 ans, le jeune homme a déjà beaucoup d’heures de conduite au compteur. « Mon père a commencé à m’apprendre à conduire sur un vieux tracteur dès mes 8 ans. »

Istiven Appavoo, ingénieur mécanique, était chargé de la conception 3D avec l’appui de la startup 4D-Virtualiz. « On est là pour entendre ce que nous disent les utilisateurs, car la souplesse de l’outil permet de le paramétrer facilement pour améliorer les sensations et l’adapter aux besoins. Mais, dès le début, on a écarté l’idée des lunettes 3D qui donnent un bon rendu mais sont très difficiles à supporter  sur la durée par de nombreux utilisateurs. »

S’initier à la conduite dans des conditions extrêmes

« Nous avons des retours très positifs des professeurs en agroéquipement. On est en pourparlers pour les installer dans des lycées agricoles de la région Auvergne Rhônes-Alpes­­», prévient Nicolas Tricot, fier d’initier en personne à l’utilisation de son SimTrac. « Le gros avantage de la simulation, en plus d’aider les professeurs dans l’apprentissage, c’est de permettre à l’élève de s’initier à la conduite dans des conditions d’utilisation difficiles, voire extrêmes (champs en pente, travail à proximité de lignes électriques…), sans se mettre en danger.  »

Les données issues de ces utilisations seront analysées par les chercheurs d’Irstea pour améliorer la sécurité des engins. Ils sont particulièrement attentifs aux comportements des chauffeurs sur les tracteurs, en vue d’identifier d’éventuels facteurs de risque d’accidents. Au sein de l’équipe TSCF (technologies et systèmes d’information pour les agrosystèmes), les membres de l’équipe Robotique et mobilité pour l’environnement et l’agriculture, basée à Clermont-Ferrand, s’appuieront sur ces données pour développer des dispositifs visant à faciliter des opérations délicates et à accroître la sécurité des machines, en particulier contre le renversement, l’une des premières causes d’accident chez les agriculteurs. Experts dans ce domaine, les chercheurs ont notamment mis au point un système de sécurité actif pour la prévention du risque de renversement de véhicules tout-terrain à suspension pilotable, qui fait l’objet d’un brevet.

Au volant du SimTrac, Lucas, 16 ans, élève au lycée René-Cassin de Mâcon, a lui tout de suite trouvé ses repères et les sensations de conduite d’un vrai tracteur. « Je trouve que c’est vraiment très bien pour les débutants. » Débutant ou pas, il a quand même fini par embourber son engin en bordure de route. Virtuellement, bien sûr.