Pierre, 65 ans, de Rabastens dans le Tarn, a bien failli ne pas prendre le départ du séjour de répit organisé cet automne pour les aidants familiaux du département.
« J’ai douté jusqu’au dernier moment. En attendant le bus, je me suis dit : qu’est-ce que tu fais là ? Oublie ces vacances et rentre vite t’occuper de tes parents. » Déjà, après son divorce, la justice lui avait confié la garde de ses enfants, faisant de lui un père célibataire. Un choix courageux à contre-courant des mœurs de l’époque. Peut-être le juge avait-il décelé le dévouement pour les autres qui caractérise cet ancien livreur de journaux ?
Le sort fait qu’aujourd’hui, Pierre est à nouveau seul à s’occuper de deux des siens : ses parents. « Je leur dois bien ça mais c’est épuisant. Ma mère a développé une maladie d’Alzheimer et mon père, qui a 92 ans, a récemment perdu la vue. Il faut être constamment derrière eux, jour et nuit. Il y a des moments où c’est vraiment dur. Mais pas question de baisser les bras car lorsqu’on est découragé, ils le sentent. »
« Ça fait du bien, on se défoule »
Faire le choix de partager le toit de ceux que l’on aide est largement plus pratique au quotidien. C’est pourtant se condamner à se donner à temps complet, presque corps et âme, à ceux qu’on aime, au risque de se négliger. Une disponibilité de tous les instants qui finit, même avec la meilleure volonté du monde, par fatiguer les corps mais aussi les esprits en s’interdisant des choses aussi naturelles que de prendre des congés. « Je ne me rappelle plus de la dernière fois que j’ai pris des vacances », avoue Pierre. Rappelons qu’un aidant sur deux meurt avant la personne aidée¹.
Offrir du répit — les organisateurs préfèrent parler de « lâcher prise » — c’était justement le but de cette semaine organisée par la MSA Midi-Pyrénées Nord et le département du Tarn, en partenariat avec l’association « Convivage » et la participation de l’association nationale des chèques vacances (ANCV). Au programme : sport, détente et visites culturelles, quelques pleurs et surtout beaucoup d’éclats de rire.
Ils sont aidants d’un parent, d’un conjoint ou même d’une voisine, comme Martine qui prend soin d’Edna, 90 ans. C’est une histoire d’amitié qui s’est transformée au fil de l’évolution de la maladie d’Alzheimer d’Edna en véritable sacerdoce pour Martine, 67 ans. Elle a répondu présent lorsque son amie a commencé à perdre son autonomie, en rendant d’abord quelques petits services qui se sont transformés en une prise en charge au quotidien pour lui permettre de rester dans la maison qu’elle aime tant.
« Ça fait du bien de se laisser servir, plaisante Martine. C’est le relax complet. On oublie ce qui se passe à la maison. » Pourtant, aucun lien de sang ou familial ne lie cette ancienne employée des Galeries Lafayette à Edna, une anglaise de Saint-Sulpice-la-Pointe, dont la famille vit trop éloignée d’elle pour l’aider au quotidien. « Je suis à seulement dix minutes à pied de chez elle, c’est plus simple. » Ce que Martine ne dit pas, c’est qu’elle n’est pas du genre à laisser tomber une amie dans la galère malgré la maladie qui continue d’évoluer. Leur cas reste pourtant une exception. Les autres participants au séjour sont aidants d’un ou de plusieurs membres de leur famille.
« Ça fait du bien, on se défoule. » Dolores, 78 ans, de Lavaur, dans le Tarn, affiche un visage radieux en se promenant dans les rues de Figeac. Elle profite enfin, car la vie ne lui a pas laissé beaucoup l’occasion de sourire ces dernières années.
« Ce sont mes premières vacances depuis l’AVC de mon mari en 2008. On a pu trouver un hébergement temporaire dans une maison médicalisée pour l’accueillir pendant la semaine. Je n’étais pas tranquille en partant mais j’avais vraiment besoin de souffler. Jean, mon mari, devient de plus en plus taciturne avec le temps. »
Le but du séjour est avant tout de lutter contre l’isolement et l’épuisement physique et moral des aidants, souvent les oubliés de la prise en charge de la maladie de leurs proches.
Il faut être en forme pour suivre Joseph, 85 ans. Nous lui courons après et le surprenons en pleine séance de marche nordique organisée autour du centre de vacances. Du haut de ses 1,55 m, le doyen des aidants participant à cette semaine de répit est un concentré de bonne humeur. Pourtant, la vie n’est pas rose non plus tous les jours pour cet Albigeois au sourire d’éternel jeune homme. Même pas essoufflé, l’ancien ouvrier d’une usine de charbon répond à nos questions en balançant ses bâtons de marche en cadence avec un rythme de métronome.
« Depuis que ma femme a contracté la maladie d’Alzheimer, j’ai tout arrêté. » Joseph est pourtant un homme très occupé. « Je fais les courses, à manger et le ménage et je prends soin d’elle. Je suis un peu dégoûté comme on dit. Avant, c’était direction l’Espagne avec la caravane presque tous les étés. Aujourd’hui, la caravane, je l’ai vendue. »
Cette boule d’énergie est vite devenue le boute-en-train de la petite bande d’aidants qui s’est formée à la Châtaigneraie, le village vacances. Partageant le même dévouement et les mêmes angoisses sur l’avenir de ceux qu’ils aiment, ils se sont vite compris et les liens se sont très rapidement noués. Joseph est pourtant une sorte de survivant puisqu’il a terrassé deux cancers, l’un à la prostate et l’autre à la glande thyroïde. « Une infirmière aide ma femme matin et soir, mais sinon, je m’occupe du reste. » Infatigable !
« Ouf, enfin ne rien faire. » Chantal, 63 ans, en a gros sur la patate. Son mari a eu un accident de vélo qui l’a rendu tétraplégique il y a 27 ans. « Je me rends compte que j’ai été seule pendant 27 ans. Je n’ai jamais osé demander. Je prends conscience que je m’étais oubliée, que j’étais devenue un zombie. Je ne lui en veux pas mais il ne me voit plus. Il ne m’entend plus. J’ai parfois l’impression que je suis devenue insignifiante pour lui. » Chantal avait vraiment besoin de souffler.
(1) : Source Fondation France Répit.
Raymond, 86 ans, aidant
« Ne lui demandez pas quel jour on est. Ne lui demandez pas son âge ni le prénom de ses enfants ou de ses petits-enfants. Elle a tout oublié. » Raymond, d’Albi, ancien proviseur, se remet doucement d’un AVC. Pourtant, c’est sa femme, Reine, atteinte d’Alzheimer, qui l’inquiète.
Même si, comme la plupart des aidants, il n’est pas du genre à se plaindre, il vit cette semaine de lâcher-prise comme une bouffée d’air frais dans un quotidien fait d’angoisses et de moments de solitude devant la perte d’autonomie de celle qu’il aime. Cela ne l’empêche pas de rester philosophe. « Vous savez, les vacances, je n’en ai plus mais j’en ai eu beaucoup, alors je ne me plains pas. Mais j’aime énormément ce que j’ai trouvé ici : une atmosphère cordiale et amicale. »
La MSA sur le terrain toute l’année
Dans le Tarn, ce 4e séjour de répit s’inscrit dans une démarche plus globale pilotée par la MSA Midi-Pyrénées Nord, le département et la Carsat Midi-Pyrénées dans le cadre d’un comité départemental de coordination pour le soutien aux aidants familiaux.
Les autres actions mises en œuvre sont :
– la mobilisation des acteurs du département à l’occasion de la « journée nationale des aidants familiaux », pour que chacun propose des actions localement,
– le recensement des aidants familiaux sur le Tarn avec un listing unique départemental tenu dans le cadre de sa mission de coordination et d’information gérontologique du département et alimenté par tous,
– la rencontre annuelle des acteurs départementaux impliqués dans le soutien aux aidants familiaux,
– le soutien aux territoires ruraux pour une meilleure prise en compte des besoins des aidants localement.
Lydia, aidante du Tarn
Ce sont mes premières vacances depuis très longtemps. Papa a la maladie d’Alzheimer et maman est polyhandicapée. Pendant cette semaine, c’est ma fille qui prend le relais. Ils m’appellent la nuit. C’est très dur, mais je n’ai pas envie de les mettre en maison de retraite.
Bernard, 58 ans, agriculteur
Son principal problème, c’est la mémoire. Elle oublie tout. Elle a besoin de quelqu’un en permanence auprès d’elle. En tant qu’éleveur, j’ai un métier prenant. Ce n’est pas évident pour moi. J’ai pu venir car ma sœur, qui est institutrice, a pu prendre le relais pendant la semaine. Sans ça, j’aurais annulé le déplacement.
Danièle Dalla-Riva, administratrice à la MSA Midi-Pyrénées Nord
« 20 personnes, ça peut paraître peu, mais on fait toujours du sur–mesure. Derrière ce chiffre, difficile d’imaginer la somme de travail en amont que représente l’organisation de cette semaine de répit pour nos équipes sur le terrain. Dans le Tarn, 2 000 aidants ont été recensés, un chiffre en progression. Nous leur avons tous envoyé une invitation. 40 ont répondu. Le plus difficile n’est pas de monter des actions mais de repérer les aidants et de lever les freins pour qu’ils participent. Certains donnent énormément sans en avoir conscience. Quand on est dans une relation d’amour avec ses parents ou son conjoint, on ne se rend plus compte. Pour cela, nous avons mis en place une grille de repérage car beaucoup n’ont pas conscience d’être aidants, alors même qu’ils font des actes lourds de soutien au quotidien, comme des toilettes complètes par exemple. »
Cette action de séjour de répit a vu le jour dans le cadre des programmes de soutien aux aidants familiaux initiés par la MSA Midi-Pyrénées Nord à partir de 2011. Elle a ensuite été portée dans le cadre d’un partenariat renforcé avec le Département et la Carsat.
« Encore une fois, la MSA ne peut pas tout faire, mais elle est appelée à initier des actions comme celles-ci qui correspondent à des besoins au plus proche du terrain, puis à passer la main à des acteurs locaux tout en restant partenaire. »
Matthieu Lebrun, responsable développement des territoires à la MSA Midi-Pyrénées Nord
« L’action sociale ne peut pas se déconnecter de l’accompagnement individuel des assurés agricoles. Nous écoutons les aidants 365 jours par an et pas seulement pendant ce séjour de répit. Les collègues travailleurs sociaux conduisent tout au long de l’année des actions, dans le cadre de démarches participatives (groupes d’échanges, café des aidants, formations, théâtre forum..) en réponse aux problématiques identifiées. On espère créer un déclic chez eux en leur faisant prendre conscience qu’ils ne peuvent pas tout faire et qu’il est nécessaire qu’ils s’autorisent à penser à eux. Certains ont simplement besoin de dormir. Une fois qu’ils ont goûté au répit, à cette sensation de bien-être, on espère qu’ils sauront par eux-mêmes s’aménager plus régulièrement des temps de pause où ils pourront lâcher prise. »