« La pénurie de main-d’œuvre se pose dès le début du XXe siècle et va grandement contribuer au développement du salariat agricole, principalement sous la forme du travail précaire et non qualifié. » Nicolas Roux précise qu’« à la fin du XIXe siècle, les salariés représentent près de la moitié de la population active en agriculture. La crise économique de 1870 et l’exode rural participent à la diminution de 10 % du nombre d’actifs agricoles entre 1881 et 1930 ». D’où une importante perte de forces vives.

« Une première réponse est de recourir massivement aux travailleurs étrangers », le déficit démographique après-guerre et le besoin de bras favorisant la construction d’une politique d’immigration à grande échelle. Autre réponse aux difficultés d’emploi et économiques du secteur : la modernisation de l’agriculture qui va entraîner une augmentation importante de la production. « Cette dynamique s’accompagne de la concentration des exploitations et de leur spécialisation. » Pour le sociologue, « cette transformation de l’économie agricole ne fait pas qu’accroître la part du travail salarié, elle conduit aussi à synchroniser les besoins en main-d’œuvre en renforçant la demande au niveau local, surtout au moment des pics de travaux. Le travail saisonnier va donc apparaître comme la solution la plus appropriée. »

Les emplois de courte durée majoritaires

Il égrène les mesures prises par les pouvoirs publics pour faire face aux difficultés de recrutement exprimées par les exploitants et faciliter l’accès au travail saisonnier : exonération de cotisations patronales sur les contrats courts, titre emploi saisonnier agricole (Tesa) en 1997, CDD vendanges en 2001, réactivation du recours à la main-d’œuvre immigrée avec les contrats à l’0ffice des migrations internationales (OMI).

Nicolas Roux avance que « c’est aussi, voire surtout, parce qu’on a fait de l’emploi court une norme de recrutement que celui-ci peut poser problème sur de nombreuses exploitations. La particularité notable des emplois agricoles est qu’ils sont majoritairement de courte durée mais aussi non qualifiés. Et ce n’est pas tant la qualification des salariés que des emplois eux-mêmes qui est en cause. En réalité, les salariés agricoles sont plus souvent de niveau bac ou bac + 2 que les ouvriers de l’industrie et du commerce (19 % contre moins de 15 %). Ils sont en général déclarés ouvriers, y compris quand l’activité exige une certaine technicité et un plus haut niveau de qualification. »

Formes d’emploi alternatives

Il s’arrête sur deux idées souvent données pour expliquer la pénurie de personnel ou justifier le recours à l’emploi court : l’inadaptation de la main-d’œuvre à l’activité agricole et la dépendance de l’agriculture à la nature. Sur le premier point, il suggère qu’il faut peut-être voir, « dans un contexte de concurrence internationale et de facilitation du recours aux contrats courts et aux travailleurs étrangers, une participation à l’abaissement des normes sociales d’emploi ». Au-delà de la qualification, c’est la qualité des emplois proposés en agriculture qui pourrait être questionnée.

Sur le second point, il indique que « d’autres manières de penser la dépendance à la nature sont possibles. Puisque la plupart des travaux sont cycliques, un même travailleur pourrait exercer au sein d’un même emploi stable une succession de tâches saisonnières au fil de l’année. » Et invite à s’interroger sur des formes d’emploi alternatives susceptibles de favoriser la construction de parcours professionnels, la stabilisation des salariés dans le secteur, telles que le groupement d’employeurs pour peu qu’on le pense aussi en direction des salariés, ou encore l’entreprise apprenante agricole (EAA). Celle-ci peut proposer un service de prestation mobilisable sur de courtes périodes mais créer aussi de l’emploi stable pour des salariés qui, par le principe de l’alternance, suivent une formation qualifiante et professionnalisante.

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Photo : Luc Pérénom/CCMSA Image