La solitude est le maître mot de ce documentaire sur un agriculteur qui échoue à vivre de son métier. Cyrille, la trentaine, se résout la mort dans l’âme à cesser de l’être, lui qui est fils de paysan et qui ne connaît que ça. Le document décrit cette expérience singulière qui consiste à abandonner un métier que l’on aime passionnément. La faute à qui ? Pas à la malchance. Ce serait trop simple. Sans prendre parti, le réalisateur Rodolphe Marconi embarque le spectateur dans le quotidien de Cyrille, petit exploitant laitier à la tête d’un troupeau d’une vingtaine de vaches, pour le rendre témoin de sa détresse, de ses difficultés et d’un monde qui ne tourne pas rond.
Le jeune agriculteur s’est endetté pour aménager et développer sa ferme. Il rêvait alors de réussir à vivre correctement de sa production. « Pour m’installer, explique-t-il, j’ai dû construire une stabulation, faire la mise aux normes, dans le cadre du plan de développement. J’ai construit un bâtiment de 35 vaches laitières. Le problème, c’est que je n’en ai pas 35. Je n’en ai que 20. En 2016, j’ai eu pas mal de pertes. En février, j’ai acheté 10 vaches. Et j’en ai perdu 8. » Aujourd’hui, il croule sous les dettes et les factures. Chaque jour, il se lève à 6 heures du matin et se couche à minuit. Ce n’est pas suffisant pour enrayer la mécanique de l’endettement. Placé en redressement judiciaire, il dispose d’un sursis de six mois pour sauver son exploitation.
Le documentaire est un désespérant compte à rebours. L’angoisse monte crescendo au fil des jours et des nuits qui défilent à un rythme fou et nous plonge dans la lutte silencieuse et courageuse de Cyrille. Côté famille personne n’est là pour l’épauler. Sa mère est décédée depuis un an déjà. Côté agriculteurs, il n’y a pas ou peu de solidarité. C’est le désert complet. En ce qui concerne la vie amoureuse, Cyrille est homosexuel et n’a pas le temps d’aimer. Il travaille 7 jours sur 7.
Absurdité du circuit de la vente
Le jeune homme ne ménage pas sa peine pour équilibrer les rentrées d’argent et les dépenses courantes, comme payer le vétérinaire ou acheter des aliments aux vaches. Et la bataille semble absurde lorsqu’on apprend qu’il ne peut pas vendre sa production de lait à Sodiaal, la grande coopérative laitière de France aux 5,4 milliards d’euros de chiffre d’affaires. Les conditions d’achat de ce mastodonte du commerce de gros sont dissuasives : il faut 600 litres de lait par semaine. Pour Cyrille, ce rendement est impossible à atteindre en hiver à moins de s’endetter encore plus pour nourrir les bêtes. Bienvenue dans un système économique qui marche sur la tête… en tout cas qui n’est pas adapté aux petits producteurs.
Cyrille reste vaillant. Il baratte son lait pour le transformer en beurre et le vendre ensuite sur les marchés. Il a même pris un boulot de serveur en plus. Mais les revenus qu’il dégage sont insuffisants. Les huissiers montrent leur bout de nez, plongeant Cyrille dans le désarroi. « Beaucoup de gens nous prennent pour des moins que rien. La base du monde,
constate Cyrille, c’est être agriculteur. On nourrit les autres. »