« Je lève un pied, je redescends, j’expire sept fois. Je bloque sept secondes et j’effectue sept petits rebonds. Sept, sept, sept… D’accord ? Et pensez à bien respirer, c’est important. » Ce matin, le groupe se retrouve autour de Nicolas Serré, coach sport et santé [voir son témoignage ci-dessous], pour une séance d’activités physiques adaptées. Trois quarts d’heure d’exercices simples pour travailler le renforcement musculaire, l’équilibre, le souffle. « Vous pouvez trouver le temps de les réaliser chez vous à des moments-clés de la journée et pratiquer régulièrement pour progresser. » Nicolas leur remet en fin de séance un document illustré pour les inciter à reproduire les mouvements à domicile. Un moment ludique alternant jeux de ballon, exercices à effectuer assis ou debout en fonction des possibilités de chacun, plébiscité par les 17 personnes participant à ce séjour de répit.
À l’instar de Jean-Louis, 79 ans, qui cumule les problèmes de santé depuis une dizaine d’années. Accompagné par son épouse Ginette, il fait face et ne se laisse pas aller, puisant une énergie intérieure qui force le respect. Cet ancien salarié du Crédit Agricole, qui se décrit comme « super actif », a enchaîné les responsabilités dans diverses associations à Auch (Gers). « À la suite d’un AVC et de plusieurs interventions, je rencontre des difficultés pour me déplacer. J’ai pu refaire de la gymnastique sans cannes au bout de quelque temps. L’an dernier, j’ai subi une opération du dos. Je récupère et suis en train de progresser. Et ce séjour me remotive pour reprendre une activité adaptée. » Des échanges d’expériences s’expriment à la fin de la rencontre. Alain prend la parole pour évoquer les séances de gymnastique qui ont lieu à L’Isle-Jourdain (Gers), sa commune de résidence : « Certaines sont réservées aux seniors et aux personnes sortant de maladie. » Car ce moment de lâcher-prise, c’est aussi cela : discuter, partager des instants, tisser des liens au sein du groupe.
Changer de lieu et de rythme de vie
Ils ne se connaissaient pas. Ils viennent de Haute-Garonne, du Gers, de l’Aude, de l’Ariège et des Pyrénées-Atlantiques pour passer cinq jours ensemble. Leurs points communs ? L’adhésion à une association de retraités d’organismes professionnels agricoles ; un quotidien malmené par la maladie ou la perte d’autonomie de l’un qui conduit l’autre à en prendre soin et à l’accompagner en permanence. Une relation aidant-aidé qui peut, sur le long terme, conduire à l’isolement et à l’épuisement. Prendre le temps de s’occuper de soi et s’ouvrir aux autres n’est pas forcément évident dans ce type de situation. D’où la volonté des organisateurs de leur suggérer ces quelques jours de pause pour changer de lieu et de rythme de vie, dans une ambiance de groupe, au gré de moments de loisirs, d’activités et de repos.
« Nous avons sollicité la MSA car nous avions constaté que, petit à petit, nos adhérents, avec l’avancée en âge, se trouvaient confrontés à la maladie et à la perte d’autonomie, explique Francis Rousseau, membre du bureau de l’Aropa 65 (Hautes-Pyrénées). Nous tenons à les accompagner pour préserver au maximum cette autonomie. Nous savions que quelques-uns étaient intéressés par ce type de proposition. Pour constituer un groupe, nous avons adressé mails et courriers. La recherche de financements a pris du temps. La participation demandée aux familles est minime, la question des revenus ne devant pas représenter pas un frein. » La MSA Midi-Pyrénées Sud, la Fnaropa, l’association nationale des chèques-vacances (ANCV), le groupe Agrica et Mutualia sont les financeurs de l’opération.
Deux relayeurs présents pendant tout le séjour
« Il a fallu un an pour monter ce séjour expérimental, précise Philippe Carbonne, chargé de mission à la MSA Midi-Pyrénées Sud. Les Aropa du territoire ont contacté la MSA car l’accompagnement des aidants est l’une de ses missions importantes dans le cadre de sa politique d’action sanitaire et sociale. La volonté était de permettre aux aidants de réellement souffler. C’est pour cela que nous avons imaginé un partenariat avec Bulle d’air, service de répit à domicile. Deux relayeurs [voir leur témoignage ci-dessous] sont présents sur toute la durée pour accompagner les personnes aidées, veiller à leur confort, rassurer chacun, et permettre aux aidants de lâcher prise sans inquiétude. L’idée est de les amener à prendre du temps pour eux, à voir que le soutien par des relayeurs expérimentés est possible et réfléchir ainsi, pour l’avenir, à une nouvelle organisation afin d’éviter l’épuisement. »
Partenaire-clé : le Domaine de Pyrène, village de l ’association de vacances de la mutualité agricole (AVMA), rodé à l’organisation de séjours à la carte, à vocation sociale. Coéquipier des services d’action sanitaire et sociale des MSA pour favoriser le départ en vacances de tous, il était à même de répondre à cette demande particulière. « Nous essayons de tout mettre en œuvre pour faciliter l’accueil et le séjour et nous adapter aux différents handicaps, indique Francis Pontus, le directeur. Pour répondre aux désirs et aux besoins de chacun, certains ateliers sont proposés aux aidants, d’autres aux personnes dont ils prennent soin. Des temps en commun sont également programmés, comme des sorties ou les activités physiques adaptées. »
Et adieu aux tâches et contraintes du quotidien, le personnel du village, aux petits soins, est là pour concocter les repas, servir les participants, veiller à leur confort et assurer de nombreuses animations.
Une large palette d’activités
Le séjour a l’avantage de ne pas séparer l’aidé de l’aidant. Voilà qui lève sans nul doute une réticence au départ tant le sentiment de devoir d’accompagner la personne malade en permanence, le désir d’être disponible à chaque instant, la culpabilité d’envisager une séparation, même pour quelques jours, peuvent être solidement ancrés. Et la formule convient : « Nous sommes contents d’avoir pu partir quelques jours. Ce répit pour nous deux, c’est ce qu’il fallait, souligne Claude. Les occasions de nous relaxer ensemble ne sont pas fréquentes. Ici, en tant qu’aidant, je peux vraiment me détendre. »
Pour bien couper avec leur rythme habituel, les aidants disposent ainsi de temps particuliers : partant à la découverte de Cauterets, ils ont pu découvrir le musée du parc national de Pyrénées, prétexte à un quiz par équipes proposé par l’animateur ; il s’agissait de dénicher dans les salles d’exposition des indices pour répondre à toute une série de questions sur la faune locale. Les plus gourmands ont aussi pu saliver lors de la visite d’une fabrique artisanale de berlingots : un bonbon emblématique de cette ville de cure, apparu là-bas au XIXe siècle, et dont l’histoire est liée aux thermes ; les médecins suggéraient à l’époque aux curistes de sucer un berlingot après les soins pour atténuer le goût soufré de l’eau.
Au programme également : du yoga, de la relaxation, de la sophrologie. Une découverte pour certains, alors que d’autres ont testé ou pratiquent certaines de ces activités. La palette est large afin que chacun puisse en trouver une qui lui corresponde. « J’étais ravie à l’idée de pouvoir pratiquer les activités proposées, découvrir le yoga, s’enthousiasme Annie. Bien sûr, on appréhende un peu avant le séjour. Mais en deux ou trois jours, on s’est apprivoisé, on a repéré les caractères de chacun, on se découvre des affinités. Le groupe est porteur. »
Lors de l’atelier sophrologie destiné aux personnes aidées, Brigitte explique, de sa voix douce et posée, que « cette démarche de développement personnel permet d’entraîner le corps et l’esprit pour tendre vers une meilleure harmonie et un état de bien-être ». Le groupe expérimente des pratiques de respiration, chacun essayant de se relâcher, d’être à l’écoute de soi. Orizia estime « que ces exercices sont importants pour le bien-être. Je me dis : tu n’es pas fichue. Ton corps a beaucoup de ressources. Il faut les utiliser. »
Aidants et aidés partagent aussi des moments, comme cette excursion au cirque de Gavarnie qui ravive chez Nicole des souvenirs de visites antérieures. La météo n’est certes pas au rendez-vous ce jour-là, mais « un petit coin de ciel bleu s’est invité pour nous laisser le temps de profiter du panorama », s’amuse Claire. Enthousiaste, elle livre son regard sur ces quelques jours partagés à Cauterets : « L’emploi du temps préparé alterne activités, excursions et temps de repos. Le groupe, confronté à la maladie et au handicap, comprend les situations de chacun et porte un regard bienveillant sur la différence, cela fait du bien. Notre appartenance commune à la grande famille agricole joue aussi dans cette cohésion. Ce séjour est un temps fort qui donne de l’humanité. »
L’activité physique
est primordiale
pour préserver l’autonomie.
Avec la crise sanitaire, nous vivons une période particulière. Beaucoup n’ont plus pratiqué leurs activités de groupe depuis des mois. Les ateliers proposés lors du séjour sont aussi là pour combler ce manque et donner des clés pour un travail régulier. L’activité physique est primordiale pour maintenir l’autonomie le plus longtemps possible. On peut repousser la fonte musculaire liée à l’âge, lutter contre les maladies… Je propose aux participants la pratique de l’échauffement pour la mobilité articulaire, le renforcement musculaire, le travail sur le souffle, le rythme, la coordination… Ces exercices ne nécessitent pas d’équipement particulier. Ils peuvent donc être facilement reproduits à la maison et agissent comme une rupture avec un quotidien parfois lourd. Cela permet de passer un bon moment à deux et de se détendre. Ici, l’activité crée également du lien social entre les gens, dans une ambiance conviviale et d’entraide. Le but de ce séjour est aussi d’éviter l’isolement. Avec eux, je passe de super moments. Pour moi, c’est une récompense car ils se font plaisir. »
Ils ont souvent du mal
à lâcher prise.
Habituellement, Françoise et Bernard interviennent à domicile pour remplacer l’aidant auprès de la personne dépendante par l’âge, la maladie, le handicap, afin de lui permettre de se reposer ou de s’absenter en toute tranquillité d’esprit, de quelques heures à plusieurs jours consécutifs. Dans le cadre de ce séjour, ils assurent une présence constante au sein du groupe. Bernard a l’habitude d’accompagner des séjours vacances pour l’association France Alzheimer. « Ici, je suis un coordinateur, un facilitateur qui assiste les personnes aidées pour écarter les inquiétudes au sein du groupe – sans oublier celles des aidants. » Cet ancien salarié dans le secteur de l’aéronautique est très sensibilisé à la question, lui-même « aidant dans ma vie personnelle – pour mon frère puis ma sœur. Pour moi, c’est une mission de vie. Il y a des besoins et j’ai du temps. Donc je le fais. » Rassurer, accompagner mais aussi « faire comprendre aux aidants qu’ils peuvent s’autoriser à prendre du temps pour eux, seuls, souligne Françoise. Ils ont souvent du mal à lâcher prise. Nous sommes là pour prendre soin des personnes aidées afin qu’ils profitent de moments de détente et qu’ils comprennent que les choses peuvent se faire sans eux ».