4 millions de personnes en perte d’autonomie en 2050

Insee

« Dans ce pays, il faut qu’on regarde vraiment comment on traite le grand âge une fois pour toute. » Pour Brigitte Bourguignon, ministre déléguée chargée de l’Autonomie auprès du ministère des Solidarités et de la Santé, la transition démographique est en cours et elle doit être accompagnée. En effet, selon l’Insee, le nombre de personnes en perte d’autonomie devrait atteindre 4 millions dans l’Hexagone en 2050, contre 1,5 million aujourd’hui. Sur les territoires, il existe des solutions alternatives entre le maintien à domicile et l’Ehpad. C’est pourquoi la ministre s’est rendue le 11 février à la maison d’accueil et de résidence pour l’autonomie (Marpa) Les Deux aires de Souvigny-de-Touraine, dans l’Indre-et- Loire. Une résidence intergénérationnelle unique en son genre qui abrite également une école primaire.

Revaloriser les métiers

Le concept des Marpa de la MSA, petites unités de vie non médicalisées, permet aux habitants des zones rurales de rester plus longtemps dans leur environnement habituel et de prévenir la perte d’autonomie en s’appuyant sur les ressources et les professionnels de santé du territoire. « Nous sommes beaucoup plus proches des résidents qu’en Ehpad, ajoute Françoise Lainé, directrice de la structure. Nous avons et nous prenons plus le temps. Mais je pense que le personnel n’est pas assez considéré. »

Pour passer d’une gestion de la dépendance à un véritable soutien à l’autonomie, la revalorisation des métiers du grand âge est en effet un défi majeur, préconisé par le rapport Libault sur la concertation grand âge et autonomie et confirmé par la mission spéciale de Myriam El Khomri. Pour améliorer l’attractivité de ce bassin d’emploi en manque criant de personnel, l’accent devra être mis sur la formation, l’image du secteur et sa reconnaissance ainsi que sur les salaires.

Sur ce sujet, Brigitte Bourguignon vient de lancer une expérimentation de 36 mois avec la création de plateformes départementales des métiers de l’autonomie. Objectif : apporter un appui territorial et opérationnel au secteur afin d’accompagner le déploiement d’une palette de services à destination des demandeurs d’emploi, des salariés des établissements et services médico-sociaux, et des employeurs. Les candidats désireux de s’orienter vers ces professions peuvent être appuyés par une plateforme dans leur parcours de professionnalisation.

Penser la politique du vieillissement de la société

« Il faut incorporer le grand âge dans toutes les réflexions des collectivités, affirme Brigitte Bourguignon lors de sa visite à la Marpa-École. C’est la raison pour laquelle nous avons fait ajouter un volet “habiter autrement” dans le dispositif Petites villes de demain. Logement inclusif, résidences partagées, intergénérationnelles… Plein de choses sont possibles aujourd’hui. C’est aussi pour cela que nous avons associé les bailleurs sociaux au comité stratégique de lutte contre l’isolement des personnes âgées, que je viens de lancer, afin de les sensibiliser. » Coanimé par la direction générale de la cohésion sociale et la caisse nationale de solidarité pour l’autonomie (CNSA), ce comité réunit différents acteurs, dont la MSA, pour établir une feuille de route. Ainsi, malgré le report de la réforme grand âge et autonomie, un certain nombre de mesures sont mises en place progressivement. La première grande étape a été de confier la gestion de la cinquième branche à la CNSA qui en est désormais la caisse pilote.

Si on y arrive ici, on peut y arriver ailleurs.

Table ronde lors de la visite de Brigitte Bourguignon à la Marpa Ecole avec des résidents, responsables, élus locaux, ARS et la MSA.
Résidents et responsables de la Marpa-École ont échangé lors d’une table ronde avec la ministre, des élus locaux, l’ARS ainsi que la directrice adjointe de la MSA Berry-Touraine, le président et le directeur de la CCMSA.

« Il faut en profiter pour que la culture change, continue l’ancienne députée du Pas-de-Calais, que les établissements s’ouvrent davantage comme vous ou d’autres Ehpad avez su le faire : partenariat avec une école, une association, un tiers-lieu… Ça peut changer l’image et on y a tous intérêt. Si on y arrive ici, on peut y arriver ailleurs, même avec des pathologies lourdes, afin que les personnes puissent disposer d’un vrai panel de choix. »
« Cette évolution doit aussi dépendre de la concertation avec les élus locaux, prévient Pascal Cormery. C’est important car ce qui est valable à un endroit ne l’est pas forcément dans un autre. Il faut avoir une forme de souplesse dans la création de ce genre d’établissement. »

Une direction que semblent prêtes à prendre les collectivités, à l’image de la communauté de communes du Val d’Amboise, qui lance plusieurs programmes intergénérationnels en s’appuyant sur les services civiques. Une maison de retraite au concept adapté va également bientôt voir le jour à Amboise, de même qu’un nouveau relais d’hébergement temporaire Sepia.

Cet enjeu dépasse nos frontières, puisque l’Union européenne estime que d’ici 2070, la part des plus de 65 ans devrait passer de 20 à 30 %, et celle des plus de 80 ans atteindre 13 %. La Commission européenne a d’ailleurs présenté le 27 janvier un livre vert sur les défis et opportunités du vieillissement, qui relève notamment la problématique des zones rurales, et invite les citoyens à s’exprimer sur ses enjeux via une consultation publique jusqu’au 21 avril.

L’expertise MSA auditionnée

Seulement 10 % des personnes âgées finissent leur vie en établissement. Vieillir le plus longtemps possible chez soi, dans de bonnes conditions, fait partie depuis longtemps de la politique d’accompagnement de la MSA. Cette dernière est d’ailleurs l’objet de la mission parlementaire confiée à Véronique Hammerer, députée de Gironde et ancienne assistante sociale à la MSA. Son but est de recenser toutes les actions de l’institution relatives à la prévention de la perte d’autonomie, qui pourraient essaimer. Elle a ainsi auditionné la caisse centrale, rencontré sept caisses locales, la présidente de la fédération nationale des Marpa, tenu une table ronde avec des associations de santé d’éducation et de prévention sur le territoires (Asept) ainsi qu’un groupe de travail sur l’accueil familial avec cinq MSA, suite au rapport parlementaire sur ce sujet porté par les députées Josiane Corneloup et Mireille Robert.

« Ses conclusions vont alimenter les travaux sur la réforme grand âge et autonomie, précise Magalie Rascle, directrice du développement sanitaire et social à la CCMSA. C’est important pour nous de montrer tout ce qui fait notre spécificité, notre capacité à être à la fois sur les volets individuel, collectif et du développement de territoire. » Lutte contre l’isolement, promotion du bien vieillir, chartes des solidarités avec les aînés, sans oublier toute l’offre de services et le soutien aux aidants. L’approche de la MSA est multiple et globale et permet de soutenir de nombreuses initiatives locales. « C’est une somme de solutions, conclut Pascal Cormery, président de la CCMSA et de la caisse de Berry-Touraine, où se situe la Marpa-école. Il n’y a pas de modèle unique dans l’accompagnement du vieillissement. »


Marpa-école : changer de regard

Ici, on n’a pas l’impression d’être des vieux qu’on soigne avant qu’ils cassent leur pipe.

Jean, résident de la Marpa, témoigne devant la ministre des bienfaits de l'intergénérationnel vécu ici.
Jean, résident de la Marpa, témoigne devant la ministre des bienfaits de l’intergénérationnel. Il a même eu la chance d’avoir son petit-fils et bientôt son arrière-petit-fils à l’école.

Ouverte depuis septembre 2015, l’école qui partage la vie de la Marpa de Souvigny-de-Touraine compte quatre classes (dont deux en regroupement avec la commune de Saint-Règle), du CE1 au CM2. Jean Toly, originaire d’Amboise, a posé ses bagages dans la résidence en 2017 : « Ici, ce n’est pas juste une maison de retraite pour les vieux car il faut bien leur trouver une place pour mourir. Intergénérationnel, ça veut dire que nous, les anciens, déjeunons avec des petits gamins avec qui nous partageons. Je me suis fait des copains qui ont six, huit, 10 ans, qui me demandent comment je vais. Ça m’a redonné un p’tit coup de jeunesse ! De plus, avec le personnel qui s’occupe de nous, on n’a pas l’impression d’être des vieux qu’on soigne avant qu’ils cassent leur pipe. » Deux repas partagés par semaine, une bibliothèque commune, spectacle de fin d’année, ateliers science, musique, cuisine, informatique… La vie y est riche d’échanges, tous basés sur le volontariat. « Si je me suis décidée à venir ici, c’est parce qu’il y avait les enfants, confie également Marilaine Ballester, résidente. Avoir leur contact c’est merveilleux et ils nous le rendent bien. »

Yann Guillonet, directeur de l’école primaire, raconte comment les enfants échanges avec les résidents et changent de regard sur la vieillesse.

« On est là aussi pour changer le regard des enfants sur le vieillissement, affirme Yann Guillonet, le directeur de l’école. En grandissant ils auront une autre vision des choses. En classe, si des résidents sont présents, les enfants sont beaucoup plus calmes, plus à l’écoute. Ça va même plus loin, car lorsqu’un résident n’est plus là ou décède, nous leur expliquons, on ne leur ment pas et ça change leur regard sur le décès. Même si certains sont plus tristes que d’autres, ils acceptent la mort comme faisant partie de la vie. »

Photos : © Marie Molinario/le bimsa