« J’étais ambulancière. Avec ce travail, difficile de planifier les horaires et de trouver une solution pour la garde de mes enfants. Je voulais être disponible pour eux – j’en ai trois, dont des jumeaux – en travaillant à domicile car il n’était pas question pour moi de rester à la maison sans rien faire. Ma belle-mère accueillait depuis quinze ans des personnes handicapées chez elle. Je me suis intéressée à cette activité, que j’exerce depuis six ans, après l’entrée de mes jumeaux en maternelle. Ce n’était pas possible avant ! »
Véronique, accueillie depuis cinq ans
Émilie Rogin, 36 ans, vit à Coulomby, village du Pas-de-Calais lové dans un écrin de verdure. Son compagnon y est éleveur laitier sur une exploitation qu’il a reprise hors cadre familial. Elle nous reçoit en compagnie de Véronique, 56 ans, qui habite sous son toit depuis cinq ans, avant de témoigner de son expérience quelques heures plus tard lors d’une réunion d’information sur l’accueil familial à la ferme proposée par le conseil départemental du Pas-de-Calais, la chambre d’agriculture des Hauts-de-France et la MSA Nord-Pas de Calais.
« Pour exercer ce métier, il faut faire une demande d’agrément auprès du conseil départemental. Une infirmière et une assistante sociale viennent notamment rencontrer la famille pour connaître ses motivations, ce qu’elle peut offrir, son cadre de vie…, précise Émilie. Une fois celui-ci obtenu, c’est à nous de rechercher quelqu’un. J’ai frappé à de nombreuses portes. Il se trouve qu’une maison d’accueil temporaire pour des gens en situation de handicap – la Maison de Pierre – est implantée dans le village d’à côté. Je l’ai contactée et elle m’a orientée vers une personne intéressée. »
Véronique, 56 ans, originaire du Var, n’a plus de famille proche. Elle est atteinte d’une maladie invalidante affectant ses articulations. Chez Émilie, elle a trouvé un foyer. « J’ai ma chambre, avec une télé, ma salle de bains. Je fais des activités avec les enfants. J’aime les animaux et tout se passe bien. »
Une période d’essai
Avant de se décider, elles ont fait l’essai pendant une semaine. « Il faut prendre le temps de choisir et avoir un feeling, souligne Émilie. Avec Véronique, nous nous entendions bien. Elle a une complicité avec les enfants et s’est plu ici. Un contrat est établi entre elle et moi, suivi par le conseil départemental. » Le binôme infirmière et assistante sociale vient rendre visite régulièrement, accompagne et conseille en cas de besoin.
Pendant les grandes vacances, Véronique séjourne quelques jours à la Maison de Pierre. Avant la crise sanitaire, elle s’y rendait une fois tous les quinze jours pour des activités et retrouver des personnes de sa connaissance avec lesquelles elle a tissé des liens. Un peu de patience est encore nécessaire pour reprogrammer ces moments dans son emploi du temps.
Dans la famille, elle participe le matin aux tâches de la maison. Férue de travaux manuels, elle s’adonne l’après-midi à la peinture, la création de bijoux en perles, la broderie… et passe du temps avec les petits. Depuis son arrivée, elle a même regagné en autonomie. « Le midi, elle prend ses repas avec nous, indique Émilie, mais pas le matin, car nous nous levons très tôt en raison des contraintes d’horaires liées à l’activité d’élevage. » Véronique est aussi de tous les événements et réunions de famille, retrouve de temps en temps les personnes hébergées par la belle-mère d’Émilie pour partager du bon temps.
Les qualités pour faire ce métier ? « Être disponible, à l’écoute, prévenant, avoir des qualités humaines. Mais il faut aussi l’accord de l’ensemble de la famille », pointe Émilie.
Sensibiliser les agriculteurs à cette activité
Ces moments de vie et les caractéristiques de son métier, elle les a partagés à l’occasion de la rencontre qui réunissait des exploitants agricoles venus s’informer sur ce sujet autour de Valérie Louchez, conseillère diversification à la chambre d’agriculture, Fabienne Nowacki, responsable du bureau de la qualité au conseil départemental, en charge de l’accueil familial, et Séverine Dumont, responsable des travailleurs sociaux MSA sur le département du Pas-de-Calais.
Les trois partenaires unissent en effet leurs compétences et leurs réseaux pour sensibiliser les personnes susceptibles d’être intéressées, leur donner les clefs et les accompagner dans la construction d’un tel projet. Autour de la table, des profils variés : une aide-soignante en maison d’accueil temporaire, aimant son métier mais cherchant à exercer à domicile ; une femme d’exploitant agricole qui travaille dans la formation mais réfléchit depuis deux ans à un emploi de ce type ; une autre conjointe d’agriculteur, infirmière ; une auxiliaire de vie ; une factrice venant d’interrompre son activité venue avec son mari exploitant chercher des renseignements ; ou encore une personne membre d’une association qui accompagne des ressortissants du milieu agricole en difficulté.
Agrément et suivi par le conseil départemental
Ce dispositif d’hébergement à vocation sociale allie développement de la diversité des solutions d’accompagnement des personnes en perte d’autonomie, réponse de proximité pour des gens ne souhaitant pas quitter leur territoire de vie ou résider en établissement, et opportunité pour des exploitants agricoles en recherche d’une activité de diversification.
Réglementé depuis 1989, aménagé en 2002 et 2015, l’accueil familial peut être temporaire, séquentiel, permanent, à temps partiel ou complet.
« L’instruction des demandes, le suivi et le contrôle des conditions d’accueil et des modalités de remplacement relèvent de la compétence du président du conseil départemental qui délivre l’agrément, précise Fabienne Nowacki. L’accueillant familial est employé par la personne qu’il reçoit, moyennant la négociation d’un contrat, poursuit-elle. Il bénéficie du droit aux congés payés, d’une couverture sociale, d’un régime de retraite complémentaire mais ne peut prétendre à l’allocation chômage. Les frais sont librement négociés par les parties dans le respect de la législation et des dispositions départementales. Le montant net versé peut varier, pour un accueil permanent de 1 237 € à 1 598 € (sans le loyer négociable sur la fourchette de 100 à 200 €). »
Une formation obligatoire
La formation, prise en charge par le département, est obligatoire. Une session préalable au premier accueil, doit être effectuée dans un délai de six mois suivant l’agrément. Elle comprend une initiation aux gestes de secourisme et des apports sur le cadre juridique, le rôle de l’accueillant, le contexte administratif et financier, le projet personnalisé. Une formation initiale de 60 heures est à suivre dans un délai maximum de deux ans. Une durée minimale de 12 heures pour chaque période d’agrément est en outre prévue au titre de la formation continue.
375 accueillants familiaux agréés dans le Pas-de-Calais
Les équipes territorialisées du conseil départemental, constituées de référents infirmiers et sociaux, assurent le suivi social et médico-social des personnes accueillies. Le soutien dans leurs démarches administratives (aide à la négociation du contrat, accompagnement aux déclarations sociales, orientation pour le montage des dossiers d’aide), l’appui technique aux accueillants en difficulté sur le versant administratif et financier de leur activité, la médiation en cas de litige sont délégués depuis novembre 2020 dans le Pas-de-Calais à CetteFamille, une entreprise sociale et solidaire (ESS).
Aujourd’hui, le département compte 375 accueillants familiaux agréés dont 121 pour personnes âgées (32 %), 217 pour personnes handicapées (58 %) et 37 pour hébergement mixte (10 %). Tout cela pour 713 places autorisées (296 pour personnes âgées, 415 pour celles en situation de handicap). Ce qui en fait le 3e département sur le plan national, après La Réunion et le Nord. Dans ce dernier, la MSA Nord-Pas de Calais, la chambre d’agriculture et le département travaillent de concert depuis plus de trois ans sur cette thématique et ont signé une convention de partenariat en février 2018. Une grande famille regroupée pour faire connaître aux agriculteurs ce dispositif et accompagner au mieux ceux qui ont un projet en ce sens (voir notre reportage « Une famille formidable » dans une famille du Nord).