« C’est leur robot, leur environnement et leur musique. Personne n’est là pour les pousser à aller se faire traire. Elles font leur vie », se félicite Christophe Pété, éleveur bovin de 40 ans dont la ferme produit annuellement 750 000 litres de lait avec 75 vaches et autant de génisses.

Christophe s’est d’abord installé en pluriactif en 2004, avec une activité annexe de commercial dans la vente de matériel agricole. C’est en 2019 qu’il succède à ses parents et reprend l’exploitation familiale avec son frère Anthony. Les deux frangins se partagent le travail à la ferme selon leurs affinités : l’élevage laitier pour le premier et la culture de céréales pour le second. « Le robot a fait sa première traite le 15 décembre 2019. Nous avons acquis en même temps un repousse-rations de la même marque pour nous faciliter le travail au quotidien. Nous en avons aussi profité pour adapter les locaux en installant la ventilation et la brumisation. Nous avons changé les racleurs. On a ainsi remis toute l’exploitation au goût du jour pour un maximum de confort pour les animaux. C’était déjà un troupeau très calme mais, depuis l’arrivée du robot, c’est encore plus vrai, souligne l’éleveur. Celles qui ont envie de se faire traire quatre ou cinq fois par jour sont complétement libres de le faire. On a remarqué qu’elles aiment vivre la nuit. » Les petites lumières d’ambiance, judicieusement installées tout autour du bâtiment, les aident à se repérer.

Maintenir son poste sur l’exploitation

À la ferme des frères Pété, les phénomènes de boiterie sont devenus quasiment inexistants alors qu’avant, les vaches avaient tendance parfois à se bousculer au moment de la traite. « Maintenant, elles attendent patiemment leur tour », explique Christophe. Pendant la visite, une belle rousse curieuse passe ses naseaux à proximité de son éleveur. Son comportement serein confirme ses dires. Mais au-delà de leur bien-être, le Périgourdin, amoureux de ses vaches et de son métier, omet d’évoquer un point central qui l’a conduit à l’acquisition des deux robots : la recherche de solutions pour le maintenir sur son poste malgré son handicap. « Si on n’avait pas investi dans cette technologie, on serait en train d’arrêter l’activité. On aurait tenu encore un ou deux ans mais pas plus longtemps », concède-t-il.

Le Lely Juno, un robot pousse-rations, permet de soulager l’agriculteur de cette tâche chronophage et exigeante pour les muscles.

Les deux machines ont en effet permis à l’agriculteur reconnu travailleur handicapé de maintenir son poste sur l’exploitation. Christophe, comme une grande partie de sa famille paternelle, souffre d’une maladie héréditaire qui entraîne une dégénérescence musculaire. « Ma grand-mère, mon père, mes tantes, mes oncles sont soit porteurs sains soit touchés par la maladie, qui peut aussi bien affecter les jambes que les membres supérieurs, ou les deux. Certains finissent en fauteuil mais pas tous. Pour moi, tenir les bras en l’air dans la durée est compliqué et douloureux à la fois. Nous sommes suivis par la faculté de médecine de Montpellier où nous nous rendons régulièrement pour faire des batteries de tests en famille depuis dix ans. » Les chercheurs avancent dans la compréhension de cette pathologie héréditaire mais n’ont pas trouvé pour l’instant de remède miracle. Jamais très loin de la ferme, Philippe, son père, ancien agriculteur qui se déplace en fauteuil roulant électrique, n’a pas échappé aux conséquences de la maladie.

Dossier robotique  Handicap: un robot vachement bien
Dans la famille Pété, la passion de l’élevage laitier se transmet de génération en génération.

« Christophe avait un problème récurrent qui n’allait pas en s’arrangeant. À 40 ans, il a déjà le corps usé par le travail mais surtout par cette maladie invalidante », explique Hervé Barnagaud, conseiller en prévention des risques professionnels à la MSA Dordogne, Lot et Garonne. Ce dernier connaît bien la ferme et la famille Pété, qu’il accompagne depuis de nombreuses années. « Les difficultés principales apparaissaient lors de la traite des vaches quotidienne, matin et soir, ainsi que pour le nettoyage et le paillage des logettes. » [En stabulation libre, les logettes sont des compartiments cloisonnés où les vaches viennent se coucher].

Le constat du médecin du travail de la MSA est sans appel : si rien n’est fait, la souffrance au quotidien obligera l’agriculteur à changer de métier à court terme. Des contre-indications ont été posées sur les travaux qui nécessitent des élévations des épaules et les travaux de force des membres supérieurs. « Avec le temps, on apprend à vivre avec la douleur, elle devient un compagnon de travail, mais depuis l’arrivée du robot il y a un an et demi et de celle d’un apprenti il y a un an, je souffre moins », confie Christophe.

Plus de lait avec moins de vaches

Si le robot lui simplifie le travail et lui évite des douleurs au quotidien, avoir un œil sur sa tablette numérique n’empêche pas l’éleveur de côtoyer ses bêtes en permanence. Cependant, à ce petit jeu-là, la machine et ses centaines de capteurs s’avèrent plus performants que l’œil humain. « Si l’une d’entre elles a subi un stress dans la journée, invisible pour nous, lui le repère et nous envoie un message d’alerte. Grâce à ça, on sait instantanément et précisément le nombre de passages à la traite de chaque vache, ce qu’elle produit, la qualité de son lait, son taux de matière grasse et de matière protéique, le nombre de cellules. Ainsi, les mammites [infection de la mamelle] sont détectées précocement, ce qui évite des complications sanitaires. Avant, le contrôle laitier effectuait une analyse sur un mois et nous avions les résultats dix jours plus tard. Ils sont maintenant instantanés. » Résultat : une productivité en hausse de 15 %.

Innovation robot de traite

« On produit autant de lait ou un peu plus avec moins de vaches. Aujourd’hui, tout cumulé, le robot ne coûte pas si cher que ça : un prêt de 800 € seulement par mois grâce aux différentes aides cumulées de l’Association de gestion du fonds pour l’insertion professionnelle des personnes handicapées (Agefiph), de la MSA, du département de la Dordogne et de la région Nouvelle-Aquitaine. Environ 50 000 € en tout sur un budget total de 200 000 €. »

L’arrivée des robots a eu aussi des effets bénéfiques sur la vie de famille de Christophe et de son frère, également papa. « Même si on aime traire, répéter les mêmes mouvements deux fois par jour, 365 jours par an, sous la chaleur ou le froid, les mains dans l’eau, ça peut vite devenir très usant pour le corps et rébarbatif pour l’esprit. Il n’y a pas de bouton off même pour emmener ses enfants à l’école. Aujourd’hui, grâce aux robots, nous pouvons nous octroyer un week-end sur deux alternativement avec mon frère ou nous permettre de commencer plus tard ou de finir plus tôt si on va dîner chez des amis. »

Attirer la nouvelle génération

Ce temps libéré lui a également permis de développer une activité de chauffeur de benne de travaux publics en prestation de service à la journée. Un complément de revenu bienvenu mais aussi une vraie bouffée d’air frais pour lui. « Cela me permet de sortir de la ferme, de voir autre chose, de rencontrer d’autres personnes. J’ai par exemple récemment travaillé sur l’aménagement des chemins d’accès d’un parc photovoltaïque. J’ai trouvé ça passionnant. Sinon, en tant qu’éleveur, on reste enfermé sur notre exploitation en permanence. » Un isolement qui, outre le prix du lait bas dans la durée, a peut-être poussé de nombreux confrères à raccrocher la cotte. « Stabuler pour 30 centimes le litre dégoûte beaucoup de monde. Dans les années 1980, il y avait 1 500 producteurs de lait en Dordogne, on est moins de 200 aujourd’hui. »

L’arrivée de ces outils high-tech suscite un regain d’intérêt pour la filière chez la jeune génération. « Inès, ma fille ainée, est scolarisée en MFR et est déjà capable de gérer le robot toute seule. » Facile pour elle. La jeune fille, qui veut devenir éleveuse, joue depuis des années à Farming simulator, célèbre jeu vidéo dont le but est justement de diriger une exploitation agricole. Toute la famille a déjà acheté ses billets pour le Sommet de l’élevage, organisé à Clermont-Ferrand du 5 au 8 octobre, pour peut-être donner un petit frère aux deux premiers robots de l’exploitation. Vont-ils craquer pour un nettoyeur et pailleur de logettes automatisé ou un robot d’alimentation, capable de faire tout seul la popote pour le troupeau, deux activités exigeantes pour le corps de l’éleveur ?

Photos : © Alexandre Roger /Le Bimsa