« On le dit souvent l’invention, c’est 98 % de copie et 2 % d’idée géniale », affirme le jeune directeur de la start-up Seaducer, Silvain Charbonneau, 32 ans, pour décrire l’innovation phare baptisée « Roll’Oyster » (huître rou­lante en français), en phase de démonstration commerciale sur le site des Boucholeurs, à Yves, une zone composée de claires installées sur les anciens marais salants qui ont fait la renommée de la Charente-Maritime jusqu’à la fin du XIXe siècle, reliés à la mer par de nombreux canaux. Une coopéra­tive possède le domaine composé de six bassins de réserve, six claires et six cabanes. Seaducer y loue sa parcelle.

La jeune pousse, lancée en 2016, commercialise depuis le début de l’année cet équipement automatisé destiné à la production d’huîtres dans le milieu des bassins de terre où se cultivait autrefois le sel. L’outil est la 4e version en expé­rimentation finale après celui posé sur la petite commune d’Ars-en-Ré, l’une des perles de l’île de Ré, à quelques batte­ments d’ailes de mouette rieuse de là. Le modèle qui a inspiré l’invention n’est rien de moins que la mer elle-même avec ses courants et ses marées.

Et son principe paraît simple : ame­ner en zone fermée, par opposition aux contraintes du milieu ouvert de la mer, tous les mouvements naturels que l’océan peut charrier tout en offrant techniquement à l’ostréiculteur le moyen de décider quand et à quelle fréquence les enclen­cher… afin de travailler ses huîtres aux petits oignons.

« La mer, on prend ce qu’elle nous donne », rappelle Silvain Charbonneau, ce Vendéen qui enfant a passé ses étés à la chasse aux coquillages et qui depuis son arrivée à ce poste il y a sept mois, se passionne pour le mollusque bivalve en particulier, aussi mystérieux que fragile, qui, à l’en croire, est peu investi par la littérature scientifique. « L’Institut français de recherche pour l’exploitation de la mer fournit des mesures, des études et de la documentation. Mais on n’en sait pas encore assez sur toutes les conditions zootechniques optimales pour produire une huître de qualité toute l’année. »

Reste que dans l’écosystème de la claire, explique-t-il, les règles de jeu changent au profit de l’exploitant. «Il y a des ressources qu’on ne trouve pas en mer comme la terre, ou une température plus élevée. La chaleur favorise en effet la croissance de phytoplanctons, la nourriture de base du mol­lusque. » Du naissain (huîtres juvéniles) en nurserie à l’affi­nage, en passant par le prégrossissement, le professionnel garde la main sur son élevage dans un milieu qu’il contrôle. Dans le rectangle d’eau, la technique d’élevage et de culture, bien différente de celle pratiquée habituellement en mer au sein d’un parc ostréicole, le met plus à l’abri des aléas, qu’ils soient d’ordre climatique ou sanitaire. « On a une plus grande maîtrise du milieu puisqu’on a des écluses qui peuvent alimenter les claires. C’est le choix de l’ostréiculteur qui, en fonction de la marée et du temps, décide de les ouvrir, de les fermer et de faire un complément d’eau ou pas. »

Le Roll’Oyster travaille l’huître

Les deux mécanismes du Roll’Oyster sont visibles avec d’un côté la cabane de contrôle et de l’autre les paniers cylindriques suspendus à des modules de 5 à 6 mètres, immergés dans l’eau.

Le Roll’Oyster possède deux parties. Une petite soufflante d’1 kWh rangée à l’intérieur d’une petite cabane en bois, ins­tallée en bordure de claire. Celle-ci va contrôler les paniers cylindriques accrochés à des modules de 5 à 6 mètres, immergés dans l’eau en profondeur. Des tuyaux d’air par­tant de l’unité de commande sont reliés aux modules, por­tants les paniers, contenant chacun plus d’une centaine de coquillages pour un poids final de 10 kg. L’air impulsé dans les tuyaux permet d’orchestrer le mécanisme d’exondation (de sortir) ou le cycle de roulement selon les réglages faits par l’ostréiculteur. Par intervalles, les bras chargés de paniers remplis d’huîtres prennent l’air pendant quelques secondes.

Des huîtres sportives

Dès qu’elles ont le nez dehors, les huîtres, dans un réflexe de survie, se ferment pour se protéger. Ce réflexe représente sa petite séance de gymnastique quotidienne. Au terme d’un «entraînement» régulier, non contente d’être en bonne forme, l’huître bourrée de phytoplanctons va arborer un muscle adducteur des plus saillants, très recherché par les fins connaisseurs du mollusque. « Le muscle présente un intérêt sur le plan gustatif : il est ce qu’il y a de plus fin. Avec un petit muscle, on se régale moins, assure Silvain Charbonneau. Le cycle de roulage peut être réglé à des fréquences qui vont bien au-delà de ce qu’on peut avoir en mer. On peut aller vers de la qualité d’huîtres très rondes et bien roulées. »

Une tâche des plus pénibles

Avec le poids des coquillages et une fois la phase d’exon­dation terminée, les paniers retombent dans l’eau naturel­lement. À chaque cycle, la poche effectue une rotation de 180 degrés avec pour impact premier de faire bouger les huîtres : elles roulent entre elles. De cette façon, elles forment leurs coquilles en brisant la dentelle, optimisant la crois­sance. Dans le même temps, elles évitent de se coller les unes aux autres. Et c’est la grande avancée sur une tranche de l’activité réputée des plus pénibles.

En ostréiculture, le conditionnement, l’emballage, l’expédition et même le criblage, c’est-à-dire le tri des tailles d’huîtres, sont déjà automatisés. La plus physique des tâches, consistant à retourner les poches d’huîtres en tapant dessus à l’aide d’un bâton semblait, impossible à transformer.

Silvain Charbonneau, directeur de Seaducer.

Grâce au Roll’Oyster, l’ostréiculteur n’a plus besoin de descendre dans le marais vaseux vêtu de son «wader», une salopette en caoutchouc qui maintient au sec des pieds à la poitrine, pour repro­duire le mouvement de la mer et retourner lui-même une à une les poches à la seule force de ses bras pendant plusieurs jours. Tout ce travail, il peut désormais le mener à partir d’une appli depuis son téléphone portable, son ordinateur ou la commande centrale sur site. La machine «se fatigue» à sa place pour travailler les poches.

Vers une réduction des TMS ?

Ce n’est donc pas surpre­nant si la MSA des Charentes et son conseiller en prévention et santé sécurité au travail, Gérald Fouga, en charge depuis un an du secteur de l’ostréiculture, s’y intéressent. Le port des poches et leurs manipulations génèrent des troubles musculosquelettiques (TMS) au niveau du dos (sciatiques, lom­balgies…), des bras, des poignets ou des épaules. Un enjeu de santé qui impacte la filière en proie à une pénurie de main-d’œuvre et de repreneurs en raison de cette pénibilité.

« Le système n’est pas tout à fait intelligent pour savoir de quoi l’huître a besoin, défend le responsable de Seaducer. Est-ce qu’il vaut mieux plus la rouler ou la laisser dans l’eau ? Ces questions sont encore du ressort de l’ostréiculteur. Par contre, tourner les poches par milliers, les brasser et taper dessus, est une étape qui ne lui apporte rien. Elle peut être mécanisée. Seaducer met un outil à son service. »

Un progrès que salue David Hervé, 53 ans, ostréiculteur à Saint-Just-Luzac, dans le bassin de Marennes-Oléron, connu dans le monde entier pour ses huîtres haut de gamme. « La poche australienne, ou ronde, qu’elle soit dans les claires ou en mer est un moyen d’enlever de la pénibilité. La grande difficulté de ce tra­vail est de tourner des poches. Quand vous en tournez une de 15 kilos, que vous en avez 25 000 et que vous les tournez six fois en six mois, forcément, cela a un impact physique. Le Roll’Oyster tout comme les poches rondes en mer sont une évolution en termes de qualité, de gain de pro­ductivité et de pénibilité. »

L’obstacle du coût

À la tête d’une entreprise depuis 34 ans, sur une surface globale de 40 hectares, ce fils d’ostréiculteur issu des marais s’intéresse à l’amélioration des conditions de travail du métier qui, à son goût, tarde un peu trop. La cause en reste le coût. « De tels outils, estime-t-il, sont 5, 6 fois plus élevés qu’un équipement classique. » L’investissement dans une invention de la taille du Roll’Oyster au sein d’une filière peu innovante peut donc prendre du temps. Seaducer et son jeune directeur l’ont d’ailleurs bien compris au fil des rencontres avec les prospects ces derniers temps.

Pour accélérer les choses et gagner des clients, rien de mieux qu’un partenariat «technique» noué avec David Hervé, qui dispose d’un kit de démons­tration depuis plusieurs mois déjà. Seaducer et l’ostréiculteur ont décidé de partager leur savoir-faire. « On souhaite pouvoir profiter de sa plateforme d’exploitant pour faire des démons­trations », explique Silvain Charbonneau, conscient de béné­ficier dans le milieu ostréicole de Charente-Maritime d’un ambassadeur de choix.

Contact

Des visites de la plateforme de développement des Boucholeurs, située chemin de l’Oasis à Yves, sont possibles. Il suffit d’en faire la demande sur seaducer.fr ou par téléphone au 05 17 06 00 17.

Photos : © Fatima Souab/Le bimsa