Quels liens entre le monde agricole et le milieu sportif ? Entre l’exploitant agricole et le sportif de haut niveau ? « Des choses intéressantes à aller chercher », propose Nicolas Raimbault en introduction à sa conférence. Peut-être le souci de la performance ? Et la nécessité de savoir gérer les exigences de l’activité tout en prenant soin de s’aménager du temps pour soi et de s’accorder de cette façon du repos. Une pause, source de bien-être, d’équilibre et de récupération qui évite les situations d’épuisement professionnel et que les ser­vices de santé sécurité au travail tout comme ceux de l’action sanitaire et sociale de la MSA s’activent à faire valoir auprès des agriculteurs dont la vie se confond trop souvent avec l’exploitation. Rappelons qu’en France, un agriculteur se donne la mort tous les deux jours, une situation alarmante qui donne lieu à la mobilisation nationale et une feuille de route destinée à repérer le mal-être des agriculteurs [voir sur ce sujet notre dossier], déployée en novembre dernier par le gouvernement.

A lire le reportage sur l’enjeu du repos pour les agriculteurs
En juillet dernier, La MSA Haute-Normandie a organisé un séjour répit collectif pour 8 familles de salariés agricoles et d’exploitants.

Pour prévenir cette détresse et après avoir détecté chez les exploitants de son secteur le besoin d’être éclairés sinon conseillés sur cette difficile conciliation entre vie professionnelle et vie privée, Bruno Breton, conseiller en prévention de la MSA Berry-Touraine, a organisé une journée sur cette thématique avec l’intervention de la star locale, Nicolas Raimbault. « Cela s’adresse à tous ceux qui ont un peu de responsabilités et qui à un moment donné nous ont dit : “On n’en peut plus, on n’arrive pas à allier à la fois le boulot dans l’entreprise et la vie familiale.” On a trouvé pour cette demande, explique-t-il, un intervenant capable de répondre à quelques interrogations. »

Après l’introduction de Pascal Cormery, président de la MSA Berry-Touraine et de la CCMSA (cf. encadré : « Quand tu vas aux réunions, tu ne travailles pas ») sur cette question montante chez les nouvelles générations d’agriculteurs, les avis prennent la voie de l’expérience partagée. Le conférencier tient à le souligner. il n’a pas de vérité à vendre. « On va parler de l’équilibre vie perso-vie pro, de comment on s’y prend pour communiquer, interagir avec les autres parce que cela à voir avec cette question-là et on va parler de management, de reconnaissance et à ce qui touche au sport de haut niveau », annonce-t-il.

L’interaction avec la salle remplie d’exploitants et autres responsables d’entreprises agricoles peut alors commencer. La matinée déroule une succession d’exercices qui abordent des problématiques aussi variées que la question du langage, de la communication, de la priorisation des tâches au sein de son exploitation et/ou entreprise, du temps de travail, du management, de la recherche de la performance… Chaque fois ils aboutissent à des recommandations mises à disposition des professionnels agricoles invités à s’en saisir selon leur envie et leur besoin.

Les expressions à bannir

Premier outil à maîtriser : le langage. Il faut exercer une vigilance accrue au niveau des expressions toutes faites qu’on utilise au quotidien sans prendre garde au sens et à la représentation du monde qu’elles colportent, pouvant être anxiogènes ou malveillantes pour ses proches comme pour ses coéquipiers. Tour à tour, les formules automa­tiques passent sur le grill du conférencier qui sollicite la contribution des participants pour cette opération à cœur ouvert visant à en débusquer les sens cachés afin de les battre en brèche en tout lucidité et les « gommer ou les éliminer » à jamais.

Jetez donc aux oubliettes la formule : «Et surtout bon courage. » Ou alors en user avec modéra­tion. Partant d’une bonne intention, elle renvoie « dans les faits à un message de résignation ». Elle ne s’applique pas à toutes les situations. Autre phrases abusive : « Oui mais le problème, c’est que… blabla blabla… » Et la salle rit comme prise en défaut. Ceux qui débutent ainsi leur propos « consi­dèrent que la vie est problème », affirme le conférencier.

Loin de lui l’idée de soutenir le contraire. « La vie est problème et opportunité, dit-il. Elle est choses neutres, complexes, et choses fantastiques, dramatiques, extraordinaires, etc. La vie est tout ça. » Il s’agit juste de ne pas oublier « de regarder aussi les choses qui vont ». Même défiance à avoir pour : « Laisse tomber, ça ne marchera jamais. » Une telle réplique trimballe une position péremptoire, définitive et castratrice pour le collaborateur ou le proche qui la reçoit. « On ne peut pas savoir ce qui marchera dans le futur. Il faut essayer. » À la place, selon l’expérience, « on peut dire, c’est compliqué, il y a des risques… », conseille le conférencier.

Derrière la plongée dans les mots et idées préconçues avec ce que cela charrie en termes de vision du monde et de charges négatives, sont prodiguées des recommandations qui servent à tisser une relation de qualité avec ses salariés ou ses proches.

« Quand tu vas aux réunions, tu ne travailles pas »

« Quand tu vas aux réunions, tu ne travailles pas. » Cette sentence d’un agriculteur de 86 ans est celle du père de Pascal Cormery, président de la MSA Berry-Touraine, de la CCMSA et avant tout agriculteur au nord du département de l’Indre-­et-Loire en production de porcs, de céréales et viande bovine. Il ouvre le forum en posant d’emblée le cadre et l’enjeu de la réflexion engagée sur la notion de travail en milieu agricole.
« Lui ne comprenait pas qu’on pouvait faire autre chose que de rester sur l’exploitation : aller se former, prendre des congés. Il y a une vraie évolution aujourd’hui. »Il rappelle l’équilibre à instaurer entre l’entreprise et la vie personnelle, les liens avec la famille, son enfant, l’épouse, le conjoint et les hobbies. « Le temps passe vite. Il faut savoir accepter d’en prendre. Pour la distraction, et aussi pour mieux réfléchir au fonctionnement de son entreprise, pour savoir si on est dans le bon timing. Si on a le nez dans le guidon et qu’on ne lève pas la tête, à aucun moment, on n’est capable de réfléchir pour savoir si ce qu’on fait est vraiment pertinent ou pas. »

S’assurer de la réception des messages

S’ensuit un jeu interactif qui poursuit l’exploration de la relation interindividuelle, cette fois sous l’angle de la com­munication. Dans le dossier remis à l’entrée par les anima­teurs de la MSA, chaque participant dispose d’une fiche titrée « Derrière les mots », contenant plusieurs mots avec pour consigne de mettre devant chacun le premier terme qui vient à l’esprit. « Liberté », « équipe », « amour », « chef femme », « livre », « moi » et « démocratie » sont ainsi pro­posés. Une dizaine de minutes plus tard, le test instaure un échange ludique et divertissant. « Je veux en venir à quoi avec cet exercice ? », questionne Nicolas Raimbault. « C’est important de préciser sa pensée », répond-il. En même temps, il faut garder à l’esprit la conscience de leur ambivalence : « Cha­cun y met des notions différentes. » Avec au bout le risque de générer de « l’incompréhension partagée possiblement. »

Cohésion de l’équipe par la connaissance de chacun

L’après-midi, une table ronde, animée par Bruno Breton, a réuni en présence de Nicolas Raimbault , deux responsables d’entreprise, Pierre Brochart, ancien joueur professionnel de basket qui s’est lancé dans la création d’une entreprise, et Philippe Machelidon directeur du site d’Aucy Contres, une plateforme de conditionnement de conserves et de logistique. « Si on n’est pas performant dans sa vie professionnelle, on ne l’est pas dans sa vie privée. Si arrivé à la maison on ne pense qu’au travail et que lorsque votre enfant vous parle, vous ne l’entendez pas : quelle image vous donnez ? Le conjoint alors vous demande : tu es où ? “Je suis au travail.” Il est important pour moi de pouvoir gérer les deux et pour y arriver de me donner des règles. J’ai une petite de fille de 5 ans. Je me suis donné comme règles de l’emmener de temps en temps à l’école, de ne pas commencer à 7 h 30 et de l’emmener en garde à 8 h 30. Cela participe à un équilibre global. J’ai fait ce choix, et c’est une priorité pour moi. » Pierre Brochart, qui a occupé le poste de meneur, lui, s’est inspiré de ses pratiques sportives pour les appliquer au monde de l’entreprise, notamment une entreprise d’intérim, lorsqu’il a arrêté à 35 ans sa carrière sportive. Et parmi les valeurs indispensables qu’il défend auprès de ses collaborateurs, la pratique du sport, ce qui a assuré la cohésion du groupe. L’autre mesure consiste à organiser, chaque début de semaine une réunion avec un débriefing sur la semaine passée et la feuille de route de la suivante. Autre point important à ses yeux, la volonté de connaître ses salariés. Tout cela se met au service de la solidité de l’équipe.

Le conférencier interpelle les exploitants : « Est-ce que cela vous est arrivé de vous dire : “Je lui ai dit de faire ça. C’est quand même évident” ? » Pour éviter ce type de quiproquos et/ou de colère chez soi comme au travail, il faut s’assurer à chaque fois que l’on met la même chose derrière les termes. Comment ? En s’appuyant sur le principe qu’il n’y a « d’évidences que celles qui sont partagées, celles sur lesquelles on va s’accorder » et en vérifiant que l’interlocuteur a bien reçu le message, soit en reformulant celui-ci, soit en lui deman­dant s’il a bien saisi.

Quel est l’enjeu de cette compréhension mutuelle ? La réponse de Nicolas Raimbault le rattache au thème de la journée portant sur l’organisation et la gestion de notre temps : « Si je veux mieux gérer mon temps, j’ai tout intérêt à avoir à l’esprit que derrière les mots l’autre com­prend potentiellement autre chose et que c’est mon devoir à moi de m’assurer à travers la reformulation que la personne a bien compris. Sinon, c’est là que je perds du temps, de l’éner­gie, de l’engagement. »

La perfection est un fantasme toxique

Autre point essentiel abordé qui complète les focus sur le langage et la communication, la notion de perfection au service de la performance de son activité. « Elle n’existe pas. C’est un fantasme. Courir après peut abîmer », assure Nicolas Raimbault qui cite l’exemple des joueurs de tennis Rafael Nadal et Roger Federer. Ces deux champions n’ont pas toujours gagné, pourtant ils illustrent bien la notion d’excellence, une qualité préférable à la quête de la perfection. Leur talent : aligner régulièrement des performances.

C’est pour laisser entrevoir ce nécessaire équilibre à main­tenir ou à organiser pour résister à la fatigue et à la pression que l’ancien sportif montre l’intérêt qu’il y a à associer perfor­mance et endurance. Pour l’activité, c’est crucial : il faut réus­sir à durer. « L’excellence, à l’en croire, c’est la capacité à réité­rer des hauts degrés de performance, de façon durable dans le temps tout en se donnant le droit à l’erreur. »

« Célébrer… On ne le fait pas souvent en entreprise. On ne sait plus se réjouir et se satisfaire de qu’on a réussi déjà à faire. »

Nicolas Raimbault, ancien joueur de basket, devenu coach.

Au-delà des pratiques à bannir dans les relations de travail, des réflexes à adopter par rapport aux activités importantes ou urgentes à prioriser, il y a un rappel aux fondamentaux : la vie est courte pour se mettre des chaînes aux pieds et s’engoncer dans une vie de souffrance et de labeur. « Il faut célébrer ce que l’on fait au quotidien, indique l’intervenant. C’est un exploit de faire ce que vous faites chaque jour. Ce n’est pas la banalité. »

Photos : © Fatima Souab/Le bimsa