La Marpa de Locon brigue sa première étoile au guide Michelin. En invitant derrière les fourneaux le chef Maxime Leplat (ça ne s’invente pas), de Béthune – qui se qualifie lui-même de « fabricant de goûts » et de « cuisinier militant » – le responsable de la maison d’accueil et de résidence pour l’autonomie (Marpa), Cédric Briche, a frappé fort dans les papilles (et les mamilles).
Jugez plutôt : petite salade de blé apéritive en promenade avec ses chips au tapioca parsemées de quelques tourbillons de compotée à l’échalote et aux herbes sauvages, accompagnée d’une déclinaison de petits cakes confectionnés autour du céleri ; salade de harengs pommes à l’huile qui nagent la brasse, avec ses copains les pickles d’oignon rouge, dans une émulsion de patate fumée sous l’œil attendri de chips de pommes de terre bleues maîtrenageuses ; cassoulet pressenti comme « un truc de dingue » avec des vrais lingots du Nord dedans (riche !) ; dessert à la poire du verger d’à côté au potimarron et à la butternut.
Du bien-être dans l’assiette
« De la terre à l’assiette, et de l’assiette au bien vieillir », entonne Cédric Briche, qui se reconnaît également dans les paroles de la chanson La Petite valse interprétée par Gérard Lenorman : « Moi j’donne du rêve à tous les gens qui traînent des souvenirs cassés. » Comme souvent, l’histoire de cette aventure débute par une rencontre. Celle d’un chef joufflu de la panse et altruiste, toqué du désir de transmettre sa passion, avec un directeur de structures au taquet, hyper inventif et altruiste itou, toujours en quête de ce qui peut renforcer le bien-être de ses résidents et de ses salariés.
Un soir, après être allé dîner chez Maxime, Cédric regagne ses pénates avec une idée dans la tête : avant de se lover dans les bras de Morphée, il écrit sur des post-it son projet. Et si le maître queux venait former les salariés des Marpa de Locon et Richebourg à la cuisine gastronomique pour servir aux résidents un repas hors du commun ! Et si, en retour, les salariés rejoignaient la brigade du chef dans son restaurant, à Béthune, pour servir aux résidents invités en salle une excursion culinaire dont Maxime a le secret ! Et si, cerise sur le waterzooï, ces quatre sessions en tout étaient déclinées sur le rythme des quatre saisons, avec des produits locaux… Bingo !
Partage et transmission
« Quand on arrive à un certain âge, les plaisirs sont plus restreints, estime Maxime. Notre boulot, c’est de faire plaisir aux gens. » Et sa façon à lui de le faire passe par la transmission : c’est ainsi qu’il reçoit ses clients dans son établissement, à l’angle du boulevard Kitchener – qui signifie « cuisinier » en anglais – et de la rue Anatole France, en leur proposant un partage singulier en coulisse. Là, il emmène ses convives à la découverte des producteurs locaux – « qui il est, comment il travaille, pourquoi son produit a été sélectionné » – et il en arrive, par exemple, comme un œnologue, à faire goûter les différents cépages de la betterave, à comprendre ce qui se passe au niveau de la graine classique non hybride de ce végétal et « Pourquoi ce psychopathe de maraîcher n’arrose pas ses légumes ! ». « Je fais du stand up avec les assiettes », explique le chef-performeur.
À la Marpa de Locon, en cuisine, Catherine et Camille ont la patate. Ces deux salariées polyvalentes de la structure finissent de sertir un chariot porte-assiettes. « Nous ne sommes pas cuisinières de formation, témoignent-elles. Maxime nous a appris plein de petits trucs qui nous serviront dans la préparation de nos repas, désormais. Avec lui, c’est zéro déchet : les os de poulet, on les passe au four et ils finissent en base liquide de type fond de veau ; même traitement avec les arrêtes de hareng : elles se transforment en sauce ! C’est très enrichissant. »
À l’instar de l’émission diffusée sur M6, Cauchemar en cuisine, dans laquelle le chef Philippe Etchebest intervient auprès de restaurateurs en difficulté, Maxime Leplat est venu leur parler. « Je leur ai dit : vous pouvez y arriver ! Elles ont bu mes paroles. Puis on s’est mis au travail de façon intelligente, en se répartissant les tâches, comme avec ma propre brigade. Nous avons listé les producteurs locaux et nous avons proposé à la direction deux menus. Puis nous avons rédigé les bons de commande, les fiches techniques et nous sommes entrés dans le vif du sujet. Elles étaient à fond : elles m’envoyaient même des SMS pour me demander conseil. Cette expérience les a reboostées, je crois. » Avant de conclure : « Si nous ne voulons pas voir s’appauvrir la cuisine française, nous avons l’obligation, nous les chefs, de passer l’information. La cuisine, c’est 50 % de boulot, le reste, c’est de la découverte ! »
Un repas étoilé
Alors le jour J, c’est découverte et ravissement de tous les sens. Sur la pelouse de la Marpa, les machines d’exercice physique attendent les résidents. Mais ce sera pour plus tard, peut-être, après le repas. Dans la salle de vie collective, les tables sont dressées. En cuisine, les quatre salariées de la Marpa de Locon s’activent autour du chef pour les derniers préparatifs. En salle, deux salariées de la Marpa de Richebourg sont venues prêter main-forte au service. Après les discours d’usage, dont celui de Dominique Vermeulen, président de la MSA Nord-Pas de Calais et de la fédération des Marpa du secteur, sonne le début de l’agape (il était temps, les ventres criaient famine en ch’ti !).
Et d’ailleurs, pour parler autant à la « panche » qu’à la « tiête », Cédric Briche a convié l’humoriste patoisant Bernard Cocq à ponctuer de courts intermèdes l’événement. Hilarant ! Qui dira encore qu’on se ne « Marpa » ? Sur son compte Facebook, le comédien rappelle une vérité première en écrivant que « Si ché dins l’journal, ché qu’cha do êt’ vraimint bien ! » L’auteur de cet article ne comprend pas le ch’ti mais il est bien d’accord.