Quelles sont les caractéristiques de votre territoire de vie ?
Je vis en plein cœur du pays de Caux, une région de polyculture élevage qui se distingue également par une industrialisation très marquée. Avec une forte densité de population, toujours en croissance. Au niveau agricole, elle accueille des sols où la couche de limon est la plus profonde de France, ce qui contribue à leur fertilité. La terre est riche, avec de nombreuses cultures : blé, pomme de terre, lin, céréales, colza… Le département produit un lin de qualité. Je suis arrivée ici en 1974. Le milieu associatif y est fort et dynamique : 36 associations pour la seule commune de Bréauté où je réside, qui compte 1 300 habitants.
Il y a deux écoles, un pôle médical, des transports avec une gare SNCF sur la ligne Paris-Le Havre. La Poste a fermé, le centre des impôts aussi. Tout se fait par Internet mais cela ne se substituera jamais au contact physique : la digitalisation ne doit pas remplacer l’humain, mais être à son service. Le territoire est également confronté à la désertification médicale, c’est une véritable catastrophe.
Dans nos sociétés, on a oublié l’essentiel et on a travaillé sur l’éphémère, le superficiel. La crise sanitaire nous fait revenir à des valeurs simples, des produits sains, naturels. Elle va nous permettre une rupture heuristique parce que les gens y sont contraints – besoins essentiels, sensibilité à ne pas gaspiller, recyclage…
Quel est votre parcours ?
Mes parents étaient agriculteurs, je suis la cinquième d’une famille de neuf enfants. Et un pur produit des maisons familiales rurales (MFR). J’y suis entrée à l’âge de 14 ans et j’y ai passé trois ans. Puis départ au Mans pour une formation et réussite de deux concours, l’un pour enseigner, l’autre pour devenir assistante sociale. J’ai choisi le premier et suis allée pour cela à Dijon pendant un an. J’ai ensuite enseigné à la MFR de Criquetot-L’Esneval à partir de 1974, année où je suis arrivée sur l’exploitation de mon époux située à une douzaine de kilomètres. L’établissement se consacre essentiellement aux métiers du sanitaire et social, de la petite enfance et accueille majoritairement des filles. J’en ai assuré la direction et je suis restée en activité jusqu’en 2014. Un métier passionnant, avec une réelle liberté d’initiative, fait de dialogue et de relations humaines. C’est formidable de pouvoir donner des possibles aux jeunes. Les messages que je reçois encore d’anciennes élèves sont mes plus beaux cadeaux.
J’ai également obtenu un diplôme universitaire d’études de la pratique sociale et suivi une formation de conseillère conjugale et familiale. J’ai assuré des vacations au centre de planification et d’éducation familiale de l’hôpital de Lillebonne. Le maintien de son ouverture était conditionné par la présence d’un conseiller conjugal et familial, et cette prise de poste a permis la sauvegarde de la structure.
Comment a eu lieu votre rencontre avec la MSA ?
Mon parcours et celui de mon époux ont fait que nous l’avons toujours connue. La MSA est une structure à dimension humaine, une chance pour le milieu agricole. Il faut se battre pour la conserver. Les délégués y ont pleinement leur place et sont des relais sur le terrain pour aiguiller les adhérents vers la personne ressource, faire remonter l’information ou la transmettre, agir auprès de la population agricole et rurale.
J’ai été élue à la chambre d’agriculture ; je dispose d’un solide réseau du fait de mon activité professionnelle, et je suis impliquée sur le territoire au sein d’activités associatives. Je suis également membre du centre communal d’action sociale. Bien identifiée en tant que déléguée MSA, je peux diffuser l’information et être sollicitée. Pas question pour moi d’être un pot de fleurs. Aux dernières élections, j’ai été élue présidente de l’échelon local. En raison de la pandémie, il est pour l’instant difficile de le faire vivre. Pour assurer cette fonction, j’ai suivi une formation à Évreux – avec des ateliers sur les techniques d’animation, des travaux de groupe, de l’expression individuelle. Cela permet aussi un échange et une connaissance entre présidents des différents territoires.
Comment exercez-vous votre mandat ?
Dans la proximité et par des actions simples et une attention aux autres qui ne coûtent rien de plus que le temps qu’on a à offrir. Par exemple, une dame âgée, avec son fils ouvrier agricole, habite pas très loin de chez moi. Après un retour d’hospitalisation, cette personne est restée deux ans sans médecin traitant, sans infirmière. Heureusement qu’il y avait un relais familial robuste et une solidarité forte. Nous avons pris des contacts pour trouver un médecin et une infirmière d’un autre canton est venue pour les soins. Le lien social et le soutien fourni pour obtenir une issue favorable ont permis à cette personne de rester chez elle.
Autre illustration, à la suite de la dernière assemblée générale de la MSA Haute-Normandie. Pendant le déjeuner pris en commun, certaines personnes étaient absentes. Avec mon voisin de table, pour ne pas que ces repas soient perdus, nous sommes allés voir le traiteur afin qu’il nous fasse un paquet pour une action de solidarité. Ce qu’il a fait très volontiers. Pour ma part, au retour de la réunion, j’en ai remis un à une famille ouvrière agricole en difficulté et à une autre avec trois enfants, dans une situation de grand dénuement. C’est une action modeste, mais le rôle de délégué prend tout son sens à travers elle. J’ai renouvelé l’opération quelques jours plus tard après une rencontre dans un autre cadre. Je n’oublierai jamais les regards des deux enfants, auxquels j’amenais quelque chose de précieux, et les mains de leur mère sur son paquet. Il faut qu’on ouvre les yeux, il y a de la misère autour de nous. Et oser aller vers les gens, car on est trop réservé. Je l’ai fait pour eux et pour ma conscience, ça fait aussi du bien à soi de faire du bien aux autres.
Nous sommes régulièrement en lien avec les assistantes sociales de la MSA qui font un travail important. Lorsque j’étais en activité à la MFR, une des élèves, âgée de 14 ans, n’avait plus de dents. Je voulais une solution pour elle. Elle a pu être trouvée dans le cadre de l’action sanitaire et sociale pour que l’adolescente puisse bénéficier de soins et d’une nouvelle denture.
Un autre souvenir marquant ?
Un séjour répit proposé par la MSA Haute-Normandie auquel un jeune agriculteur a participé. Pour lui, il a été facteur de déclenchement pour sa reconversion. Le mal-être en agriculture, nous y sommes confrontés sur le territoire, avec des situations qu’on ne voit pas venir. Personnellement, j’ai aussi été touchée dans ma famille – trois de mes frères et sœurs se sont suicidés, dont deux agriculteurs.
Je pense que l’isolement professionnel et social est le facteur premier, avant les difficultés financières. Il y a un réel travail à faire pour la prévention du mal-être : favoriser le départ de gens jamais partis en vacances, susciter dès la formation un meilleur cloisonnement entre vie familiale et professionnelle, envisager des modules sur les relations humaines, notamment dans le cadre de l’agriculture en groupe… Il faut apprendre à regarder, refaire une place à la personne, oser aller vers l’autre, être dans l’empathie et la congruence. Il y a plein de potentialités en chacun, à découvrir en prenant le temps de dialoguer. La différence est un plus et les parcours de vie doivent être source de développement personnel.
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