Quand on arrive en ville
Ils sont partis de leur commune de l’Indre à 6 h 30. Ils arrivent en file indienne le long des trottoirs du 20e arrondissement parisien à 11 h 30.
Pénétrer le cœur de la capitale en bus leur « a pris autant de temps que parcourir les quelques 110 kilomètres séparant notre point de départ de Romorantin-Lanthenay », précise amusée Patricia Keller, présidente de l’échelon local Brenne – Val de l’Indre de la MSA Berry-Touraine.
Un ralentissement dû à quelques supporters du PSG agacés de voir le car, floqué aux couleurs de la Berrichonne et emprunté pour l’occasion, pénétrer leur territoire ? Non, juste le trafic d’un mardi comme les autres à Paris. Mais ils sont là, au milieu des bâtiments de la rue Stendhal qui semblent hésiter entre façades haussmanniennes et architecture contemporaine. Sac sur le dos, casquettes ou chapeaux vissés sur la tête, baignée d’un magnifique soleil à la chaleur estivale, la ribambelle d’enfants à peine dissipée arrive à bon port. L’ambiance fleure bon le voyage scolaire et son esprit détente.
Alimentation et territoire
Ils, ce sont les élèves de CM de l’école de Migné, une commune rurale de la région Centre-Val de Loire, accompagnés de parents, de leur maître d’école, d’élus locaux et d’Étienne Buchmann, chargé d’animation vie mutualiste à la MSA Berry-Touraine. Ce dernier est l’un des principaux artisans du projet « Du champ à l’assiette » dont l’enjeu est d’« accompagner les dynamiques de défense d’une alimentation de qualité et durable pour tous. Libérer l’imagination pour réinventer les rapports à l’alimentation et à la qualité des modes de vies. »
Pour réaliser ce défi, les petits plats ont été mis dans les grands, excusez du peu : 45 écoliers de la maternelle au primaire concernés, mobilisation d’un territoire, la Brenne, initiative s’étendant à l’année scolaire et mêlant à son programme, participation et initiations artistiques et, même, privatisation d’une rue du 1er arrondissement de Paris !
L’agriculture capitale
La première étape de leur parcours parisien est une microferme urbaine agroécologique enclavée entre le cimetière du Père-Lachaise et la porte de Bagnolet : Le paysan urbain. Un oxymore pour nos Mignons (le gentilé de Migné).
Et l’on pourrait se demander si parler agriculture urbaine à des gamins dont 25 % sont issus directement de familles agricoles et dont plus de 90 % vivent sur le territoire rural du parc naturel régional (PNR) de la Brenne, ne revient pas à expliquer à un technicien de formule 1 comment fonctionne un monocylindre.
Évidemment, le but n’est pas de leur montrer qu’une salade ne pousse pas directement dans un sachet mais « que la ferme n’est pas forcément installée que chez nous, précise Étienne Buchmann. Ils ont vu que l’on pouvait l’inscrire dans la ville. Et surtout, c’est un exemple de circuit court ! ». Le circuit court, l’un des piliers de la démarche « Du champ à l’assiette » qui s’inscrit dans une réflexion autour de la souveraineté alimentaire et de la dynamique de territoire. Depuis 2017, la Brenne a initié sa propre politique d’approvisionnement de produits agricoles en local pour alimenter les cantines scolaires. Et en mai, lors de l’animation « J’invite papi ou mamie à la cantine », les élèves n’étaient pas peu fiers de partager un repas 100 % local avec leurs grands-parents.
L’œuf et la poule
Poursuivant leur visite guidée par Ariane Gaumont, la coordinatrice pédagogique, les enfants arrivent devant le poulailler. Citadins ou ruraux, techniciens de formule 1 ou pas, les enfants restent des enfants. Et les animaux, surtout ceux de la ferme, exercent toujours le même attrait sur eux.
« Nous avons installé un poulailler dans leur école, explique Sébastien Garnier, un élu du PNR. Ils leur donnent les déchets de la cantine et elles pondent des œufs qui les nourrissent. Ils ont compris ainsi que les déchets de notre nourriture en amont nous ravissent les papilles en aval ».
Une parfaite démonstration de circuit court mais également de lutte contre le gaspillage. Un autre des thèmes majeurs de ce projet. La prise de conscience se fait par l’expérience. Pour preuve, suite à l’installation du poulailler et à l’approche du week-end, l’une des préoccupations dans les classes était de savoir qui allait s’occuper des poules.
Le premier pas vers la citoyenneté
« Le rapport à l’animal responsabilise, c’est un premier pas vers la citoyenneté. L’objectif est de faire comprendre aux enfants qu’ils sont les futurs citoyens de leur territoire. Ils peuvent changer les choses par leur manière de vivre, de consommer, de manger. »
En parlant de manger… Quelques ventres commencent à gargouiller et des yeux à fixer les aiguilles de la montre. « À l’école, nous serions déjà à la cantine ».
Il est temps de laisser les terres agricoles parisiennes pour reprendre le bus. Direction la Villette où les attendent la Cité des sciences et de l’industrie ainsi que son exposition Banquet. Au menu : un parcours immersif, imaginé par le chef Thierry Marx, qui explore les sciences se cachant derrière la confection, la dégustation et le partage d’un repas d’exception.
Mais avant, le casse-croûte ! Les papiers d’aluminium se froissent, les cellophanes se fendent et les paquets de chips craquent. Stéphane, l’instituteur, fait le tour des popotes, s’enquérant de la provenance des produits qui composent les sandwichs. « Quoi ? Ce n’est pas du fromage de chez nous ?! Privés de récré jeudi ! ». Sourire des enfants. Pour lui, c’est filet de brochet fumé. « Je l’ai pêché ce week-end dans le cours d’eau qui traverse mon terrain ». Question circuit court et ancrage dans le territoire, c’est un maître pour ses élèves.
Il est 15 heures rue Française
Au numéro 3, ça s’active. En haut, de charmantes personnes aux tenues étranges fourmillent au milieu d’objets ou de concepts tout aussi baroques. En bas, Patricia Keller tartine. Entre les deux, Étienne se débat avec un barnum, des affiches et des kakémonos au milieu de sa rue privatisée. Pas de temps à perdre. Il lui faut décorer les 120 mètres de la voie, désormais piétonne, aux couleurs de la Brenne, de la MSA et des partenaires avant que les enfants n’arrivent.
Déjà retentissent leurs pas et leurs exclamations de joie. Ils ont adoré l’exposition mais c’est surtout la vue de Bonnie, les attendant sur le pas de la porte, qui déclenche leur enthousiasme. La petite silhouette qui affiche un large sourire disparaît soudain sous un déluge d’affection.
Bonnie Tchien Hwen-Ying, artiste performeuse, créatrice de la galerie rue Française, a découvert la Brenne en s’y baladant. Elle y a établi sa résidence secondaire et investi l’ancienne boucherie de Migné qui devient Boucherie, un centre d’art performatif.
« Notre présence à Paris est liée à la connexion entre rue Française et Boucherie, explique Étienne. Nous avons souhaité développer un axe santé-culture afin d’initier un changement de comportement en matière d’alimentation. En début d’année nous avons demandé à Bonnie si elle voulait travailler avec nous sur les ateliers. Elle a proposé de monter une exposition dans l’esprit de Marcel Duchamps à partir d’objets liés à l’alimentation. Les élèves ont ainsi pu s’exprimer au niveau artistique et ils ont animé le vernissage en présence des habitants du territoire. »
La boucle est bouclée
« Nous avons fait le vernissage à Migné, maintenant nous vous proposons de connecter le rural avec Paris » suggère alors Bonnie. Et durant deux heures, dans une galerie et une petite rue parisienne, deux mondes vont se rencontrer : le concret et l’abstrait. Des enfants et des performeurs.
Chez une des artistes, le salé et le sucré deviennent des élastiques colorés dont les enfants, dans une chorégraphie savamment orchestrée, tirent les ficelles. Pour deux autres, les aliments prennent voix et s’offrent en représentation aux gamins parfois un peu perdus mais toujours attentifs. Aussi attentifs que le sont les spectateurs lorsque la petite chorale de Mignons entonne un chant composé pour l’occasion. « Ce sont eux qui ont écrit les paroles, je ne suis pas intervenu », introduit leur maître d’école. Il y est question d’aliments sains, d’environnement, de solidarité, d’égalité, de fraternité.
« Nous voulons faire de nos enfants des citoyens éclairés, l’alimentation c’est presque un prétexte », souffle un parent.
Un prétexte qui reste un enjeu de santé publique majeur mais aussi créateur de moments de convivialité. Comme celui que vont initier les élèves en passant du chant à l’assiette, fiers de faire déguster les deux cocktails végétaux qu’ils ont élaborés lors d’un atelier mais aussi le Valençay et le Pouligny Saint-Pierre, un vin et un fromage de chèvre AOP. Ils mettent ainsi à l’honneur leur travail, celui des producteurs et celui de toute la Brenne mobilisée autour de ses enfants pour qu’ils deviennent acteurs de leur alimentation, de leur territoire et de leur vie. Un cercle vertueux en somme.