Un spectacle de désolations attend le promeneur aux abords des forêts de pins maritimes de Landiras après les incendies de 2022 qui ont embrasé le massif des Landes de Gascogne, en Gironde. Les arbres brûlés sont encore légion. En juillet dernier, 33 000 hectares de ces résineux sont partis en fumée dans ce qui est devenu le plus grand feu de la région après celui de 1949, encore vivace dans toutes les mémoires. Il avait causé la mort de 82 personnes. Le souvenir de cette blessure se transmet de génération en génération, tel un appel à la vigilance face à un risque qui semble être amené à se répéter plus fréquemment.
La plus grande forêt artificielle d’Europe occidentale est confrontée chaque année à des départs de feu au printemps comme en été. Jusqu’en 2022, ceux-ci ont été maitrisés par les pompiers de secours de Cabanac-et-Villagrains, aidés par les collègues des communes des secteurs voisins. Avec un incendie qui a mobilisé les pompiers sur le flanc Ouest, à La Teste-de-Buch, dès le 12 juillet 2022, et quelques minutes après celui de Landiras, à l’intérieur des terres, vers le Sud, tout près des Landes, qui a manqué de bras, la question de la lutte contre les feux de forêt prend une nouvelle dimension, bouscule les métiers, et appelle à la mise en place en amont de stratégies de prévention et d’équipements dernier cri.
L’incendie a été celui de tous les superlatifs : canicule (40 °C et plus), sécheresse extrême, hydrométrie très basse. Avec le réchauffement climatique, les pinèdes et toutes les essences qu’elles exsudent sont une boîte d’allumette qu’un mégot peut enflammer ou qu’un pyromane peut allumer. Un combustible parfait.
Mobilisation du service départemental d’incendie et de secours
Au centre du service départemental d’incendie et de secours (SDIS) de Cabanac et Villagrains, on connaît le risque. Tout est prêt depuis quelques mois pour y faire face. « Le nerf de la guerre, c’est l’eau et la communication, avertit le lieutenant Michel Dufourcq, 60 ans, qui connaît la Gironde comme sa poche. Si on n’a pas d’eau, on ne peut pas éteindre les incendies. La motopompe remorquable est un véhicule qui permet d’activer les points d’eau. La difficulté qu’on rencontre, c’est l’absence de points d’eau à proximité qui soient utilisables. On est alors obligé d’aller en chercher à 2, 3, 4, 5, 6 km. Or plus les rotations entre le feu et le point d’eau sont longues et moins on est efficace. Ces va-et-vient représentent une perte de temps préjudiciable. Pendant que les équipes se rechargent en eau, elles ne sont pas à la lutte. »
Des équipements performants
Autre fierté du lieutenant les véhicules d’intervention : deux camions citernes feu de forêt et un véhicule de liaison, capables de rouler sur n’importe quel terrain. « Pour attaquer le feu, on va au contact, au plus proche. On entre au cœur du massif, en traversant des terrains accidentés où le véhicule se déforme. La technologie a évolué. On a des châssis qui peuvent se couper en deux, l’avant du camion part dans un sens et l’arrière dans un autre pour passer un fossé, une difficulté ou un dénivelé quelconque sur le chantier. »
L’autre innovation annoncée pour l’année 2024 concerne le tour de guet. Aujourd’hui un pylône de plus 40 mètres de hauteur permet aux pompiers d’observer quotidiennement le massif forestier qui s’étend à perte de vue. Sur ce perchoir, des jumelles et des alidades, un cadran gradué, l’aident à analyser la zone de départ du feu. Selon les indices, il se met aussitôt en contact avec son homologue du secteur concerné. De cette façon, le lieu d’intervention est circonscrit. « L’année prochaine, on passe à des systèmes numériques : ce sera des caméras. Là on a des guetteurs. C’est comme les Indiens (sic), on guette, c’est basique mais ça marche. »
Ce 21 juin, c’est le chef-adjudant Gadiel Fauviot, responsable de garde, qui effectue la visite de secteur pour déterminer le niveau de risque, alors faible. « La forêt est bien verte. Ça fait un mois qu’il pleut. Tout juin, il a plu, avec des orages. » À tel point que le lac de Troupins, situé tout près de Guillos, a retrouvé des couleurs. « Il n’y avait plus d’eau. Avec les pluies, il a atteint un niveau plus haut que l’année dernière. »
Sur la route qui mène de Cabanac à Landiras et qui passe par Guillos, les arbres pris d’assaut par les flammes n’ont pas tous été abattus. De grandes ombres filiformes hautes de 15 mètres environ sont encore debout, enracinées dans la terre. Ces arbres n’ont pas été arrachés et coupés par les sylviculteurs qui en sont les propriétaires. « Ils sont morts, explique l’adjudant-chef Fauviot. Ce sont de petits pins. Ils ne sont pas récupérables. » Ceux qui étaient exploitables ont été coupés et vendus.
La nature reprend le dessus
Bienvenue au centre de Cabanac
Le centre de secours de Cabanac est mixte. Il est composé de 12 pompiers professionnels et d’environ 35 pompiers volontaires. L’activité a frôlé l’année dernière les 1 000 interventions. Grosso modo, les pompiers professionnels travaillent en journée du lundi au dimanche de 7 heures à 19 heures. Ils sont en garde postée. Ils sont renforcés pour assurer un effectif minimum par des pompiers volontaires en garde postés également. La nuit, ce sont des pompiers volontaires qui eux, assurent les missions depuis leur domicile équipé d’un bip ou un sélectif qui permet de les alerter en cas d’urgence. Ils se rendent au centre de secours, ils prennent les camions et partent en intervention. Pompier professionnel et volontaires suivent des formations similaires ou quasi similaires. Ils remplissent les mêmes missions.
Pour devenir pompier, à en croire le capitaine Mathieu Soudy, chef de deux casernes (centre de Cabanac et la Brède) : « Il faut clairement avoir la vocation. N’importe qui ne peut pas dire : “Je deviens pompier.” Dans l’absolu, il pourrait l’affirmer mais il doit se préparer à faire face à un incendie comme celui de l’été dernier. Ce n’est pas à la portée de tout le monde. Ce sont des moments forts, durs, dangereux aussi. Il y a une prise de risque par rapport à ce métier-là. Pareil pour le secours à la personne. C’est une activité qui nous emmène dans l’intimité des gens. Les situations que nous voyons tous les jours sont difficiles. Parfois on tombe sur des accidents de circulation très violents. Il faut de la technicité et une solide gestion du stress pour pouvoir mener à bien l’opération de secours. Cela se pose aussi en termes de formes physiques, il faut présenter une bonne condition physique pour être pompier. Une journée de garde commence de 7 h à 19 h à Cabanac. L’adjudant-chef Fauviot donne les piquets [les fonctions du jour]. Selon les consignes, les gars partent dans les remises faire la vérification de tout le matériel. La vérification est quotidienne. Une fois l’inventaire terminé, ils partent sur une séance de sport, collective ou individuelle. Après, place à une manœuvre, un entrainement physique. Il faut aussi renouveler ses acquis. Ce n’est pas parce qu’on a fait une formation initiale, sur une telle ou telle compétence, que derrière il ne faut pas la maintenir. Donc tous les jours il y a une exercice. N’importe quel thème peut être abordé. S’il y a intervention, ce planning est change. »
En bordure de chemin et à l’intérieur des parcelles, des grumes ou bois abattus sont visibles, prêts à la vente. Par endroit, apparaissent des troncs et des souches couleur cendre, enfoncés dans une terre creusée par l’eau. Les pluies des derniers jours donnent à l’endroit l’allure de marais. À côté des arbres arrachés ou des branches jonchant le sol, la nature reprend allègrement le dessus. Les fougères et de l’herbe d’un vert éclatant poussent vaille que vaille.
Gestion privée des forêts en Gironde
Peut-être que ces fantômes d’arbres seront abattus dans les prochains mois et remplacés par d’autres. Cela représente un coût pour les propriétaires. Il est d’autant plus élevé que les surfaces sont parfois importantes. Et peut-être pas car la gestion de ces forêts reste de leur responsabilité. Les trois quarts des forêts métropolitaines sont détenues par près de 3,5 millions de propriétaires privés. Le département n’échappe pas à la règle. Rien ne les oblige à nettoyer ou entretenir les lieux, pas même pas l’association Défense des forêts contre les incendies (DFCI) qui les représente, créée justement après l’incendie de 1949 pour aménager des pistes et s’en occuper.
Mathieu Soudy, le capitaine de Cabanac :
« La doctrine des feux de forêt : c’est l’attaque massive »
Michel Dufourcq et Mathieu Soudy,
capitaine, chef de deux casernes
(centre de Cabanac et la Brède).
« La doctrine des feux de forêt, c’est l’attaque massive des feux naissants par une détection précoce. On était déjà dans ces dispositions-là, l’année dernière, au moment des feux de forêt. On veut monter d’un cran et être meilleur dès cette année. La nouveauté aujourd’hui, ce sont les gars casernés, en attente opérationnelle pour un feu de forêt l’après-midi. La plage de risque se situe de 13 h à 19 h. Elle peut évoluer en fonction des montées de température, du vent. Là j’ai une ambulance qui est en intervention. Le problème pour Cabanac aujourd’hui va être l’effectif. L’équipe qui compose l’unité feu de forêt ne pourra pas partir en intervention du centre de secours de Cabanac s’il y a un feu dans le secteur. La situation est problématique. Mais on a un maillage territorial tellement dense qu’en fait, même si Cabanac ne peut pas partir, d’autres centres peuvent prendre le relais. La Brède n’est pas loin tout comme Cadillac ou Saint-Symphorien. On est sur cette stratégie là depuis des années. Pour cette année, c’est qu’en plus des personnes qui sont en garde, on a ce qu’on appelle des groupes d’intervention feux (gif) de forêt. Le massif des Landes de Gascogne a été découpé en 7 secteurs. A partir du niveau de risque modéré, un gif est prépositionné dans le massif pendant cette plage de risque tendue de l’après-midi. Le groupe d’intervention comprend une véhicule de liaison tout terrain et 2 camions feu de forêt. Le niveau de risque est établi chaque jour par le responsable de garde part après sa visite de secteur. »