Le 21 septembre 2022, vingt-cinq petits curieux débarquent dans la chèvrerie de Jérôme Rivasseau, les sens en éveil : « Ça sent fort ! », « Elles sont trop mignonnes ! ». Pendant que certains donnent à manger aux animaux, d’autres suivent avec fascination le robot de la ferme qui entame sa tournée de distribution de grains.
Alors que l’éleveur explique au groupe comment il produit les céréales qui vont nourrir ses animaux – « Ah oui il y a plusieurs sortes de grains, c’est pour ça qu’il y a des chèvres blanches et marron ? » – et fabrique ses propres fromages, au détour d’une allée… surprise, ils assistent à une naissance, imprévue, en direct ! Ça commence fort.
Sensibiliser les futurs consommateurs
Cette rencontre atypique a pu avoir lieu grâce aux délégués MSA du territoire. Lorsque le régime agricole annonce le lancement d’une grande action nationale sur le thème de l’alimentation à l’automne 2022, les élus du comité La Rochelle-Océan entament leur réflexion. « Nous avons tout de suite pensé aux enfants, car ce sont les consommateurs de demain. Mais on s’est dit qu’une seule journée, ce n’était pas suffisant », explique Christine Bouin, présidente du comité local.
Démarre alors un projet qui va prendre de l’ampleur, en collaboration avec l’association Plaine d’Aunis pleine de jeunes (PAPJ), gestionnaire des centres de loisirs de Saint-Médard-d’Aunis, Vérines et Croix-Chapeau.
Objectif : sensibiliser les enfants de 6-7 ans à une alimentation équilibrée et responsable « de la fourche à la fourchette ». Visites à la ferme chez deux exploitants, animations sur la nutrition et ateliers cuisine avec une nutritionniste… En tout, les élus et une trentaine d’enfants ont vécu neuf journées, entre septembre et mars, riches de découvertes.
Le 19 octobre, Camille Gravouil, nutritionniste, a mené plusieurs exercices avec les consommateurs en herbe : « Nous avons abordé à la fois l’équilibre alimentaire, comment se faire plaisir en faisant attention à ce qu’on mange, et l’alimentation responsable, comme le gaspillage ou la gestion des déchets. Nous avons testé un jeu que j’ai créé, sorte de Cluedo® du parfait petit-déjeuner. On a également vu comment composer un goûter, en regardant et comprenant bien les emballages afin d’être plus autonome. Les enfants étaient très intéressés. Ils arrivent à se rendre compte qu’ils n’ont pas tous le même rythme alimentaire et comprennent tout à fait l’impact sur leur bien-être : si je ne mange pas le matin, je suis fatigué dans la matinée et moins à l’écoute en classe. »
30 enfants de trois centres de loisirs et 10 élus MSA ont participé aux visites et ateliers
Ce qui nous a motivés, c’est l’aspect éducation à l’alimentation par le biais du terrain, montrer concrètement aux enfants comment sont produits les légumes. C’est bien plus parlant pour eux qu’un cours théorique. On avait envie de ramener de l’humain dans tout ça. D’autant que nous entendons de plus en plus parler de troubles alimentaires chez les enfants. Cela permet d’aborder ce sujet de façon positive. Nous avions déjà visité des fermes pédagogiques mais la MSA nous a aidés à ouvrir des portes car ce n’est pas toujours facile de trouver une ferme qui accepte d’accueillir des groupes de bambins.
Un lien s’est créé avec l’éleveur, on a pu entrer dans la réalité des coulisses. Le but des ateliers cuisine était également de ramener des idées à la maison, un moment partagé en famille où l’on peut discuter, transmettre, manipuler (en travaillant la motricité fine), compter. D’où notre idée de faire un livre de recettes afin de boucler la boucle. Je pense que tous ont pris plaisir à être plus proches de la nature, d’avoir cette forme de liberté. Sans parler du fait qu’il y a eu un échange intergénérationnel important avec les bénévoles de la MSA. On a ouvert une petite porte qui permettra peut-être à certains de voir les choses avec plus de curiosité.
Céline Espiot, directrice de l’association Plaine d’Aunis pleine de jeunes (PAPJ), gérant plusieurs accueils enfance et jeunesse.
Des enfants bluffants et bluffés
Forts de leurs nouvelles connaissances, au début du mois de novembre, c’est chez Pierre Bouteiller, maraîcher et apiculteur bio à La Jarne, que la troupe se retrouve. Au programme : découverte des légumes de saison, des différents types de choux, céleris, fenouils, asperges, artichauts, visite du potager et des serres ainsi que de la basse-cour, du verger et bien sûr des ruches.
« Lors des ateliers cuisine que nous organisons régulièrement, ils ont des réflexions parfois étonnantes, comme le fait que les pommes de terre poussent dans le supermarché, témoigne Christelle Moinard, responsable de l’accueil des P’tites marmottes, à Croix-Chapeau. Il nous semblait donc intéressant de leur montrer la réalité, d’autant qu’à cet âge ils sont curieux et apprennent beaucoup. »
« C’est un tomatier ? » ; « La choucroute, c’est du chou avec de la croûte ? » Les remarques pleines de candeur confirment ce que pensait l’équipe de PAPJ, mais d’autres, au contraire, les surprennent. « Certains enfants avaient une connaissance très fine des différentes variétés de choux, ça m’a bluffé !, continue l’animatrice. Ça met en évidence l’écart de connaissances qu’il peut y avoir entre eux. » En fin de visite, Pierre Bouteiller leur montre comment faire des carottes lactofermentées. Chacun repart avec son petit pot.
Fin novembre, puis fin mars, retour chez Jérôme Rivasseau pour rencontrer les chevreaux nés au cours du mois. Un moment attendu avec impatience. « La chèvre est un animal très proche de l’homme, et les miennes sont habituées à voir beaucoup de monde, souligne l’éleveur de 500 chèvres laitières, qui ouvre sa ferme à tous les curieux. Je veux que les gens puissent voir comment ça se passe dans mon élevage. J’aime expliquer mon métier et donner à voir une autre image de l’agriculture que celle de la télévision. Le contact avec l’animal réveille quelque chose en eux. J’ai pu le constater avec certains groupes de visiteurs en situation de handicap, autistes. Les accompagnateurs étaient étonnés d’en voir certains parler, caresser les animaux. Ce contact avec l’animal intéresse beaucoup les enfants, mais les adultes ne sont pas en reste ! »
Ce n’est pas la dizaine d’élus MSA, qui a accompagné les enfants du début à la fin du projet, qui dira le contraire. « Tout le monde était enthousiaste, confirme Christine Bouin. J’ai moi‑même participé à toutes les sorties et ateliers. »
Se réapproprier les saveurs
Après la découverte des coulisses du monde agricole, il était temps de passer à la pratique gustative !
Fin janvier et début février, Camille Gravouil a animé trois ateliers cuisine dans chaque centre de loisirs, autour des produits vus lors de leurs visites.
Au menu : mille-feuille de légumes de saison au fromage frais de chèvre, energy balls veggies (petites boules faciles à transporter), pancakes au légumes et fromage frais.
Faire soi-même la cuisine, comprendre que ce n’est pas si difficile ni trop long, découvrir ou redécouvrir de nouvelles saveurs, sont de bons moyens de se réapproprier la façon de voir la nourriture de manière amusante, et en famille.
« Certains qui n’aimaient pas les épinards, par exemple, ont tout de même bien voulu goûter ce qu’ils avaient préparé et se sont rendu compte qu’ils aimaient bien la version fraîche de ce légume qui a mauvaise réputation dans les cantines, se remémore Céline Espiot, directrice de PAPJ. Cela permet de leur montrer que quelque chose qu’ils n’aiment pas dans un certain cadre, ils peuvent l’apprécier autrement. »
Début mars, les bénévoles MSA ont également réalisé une animation sur la fabrication du fromage de chèvre à partir de faisselle achetée chez Jérôme Rivasseau, avant une dégustation, accompagné du miel de Pierre Bouteiller, bien sûr, venu parler des abeilles pour l’occasion.
Les nouveaux petits chefs repartent avec de beaux souvenirs, des tabliers ainsi que des toques au logo de l’action et un livre de recettes distribués lors d’une journée de clôture festive organisée avec les familles et tous les partenaires le 14 juin.
L’action nationale sur l’alimentation de la CCMSA a été l’amorce du projet « De la fourche à la fourchette » que le comité La Rochelle-Océan a voulu inscrire dans la durée. Les délégués du territoire ont choisi de sensibiliser les enfants à la promotion de la santé par l’alimentation mais aussi par l’agriculture locale et sa saisonnalité et faire découvrir les produits fermiers. Une philosophie partagée avec l’association Plaine d’Aunis pleine de jeunes.
Les visites et les échanges avec les deux exploitants agricoles, Jérôme Rivasseau et Pierre Bouteiller, ont été d’une grande richesse. Lors des ateliers culinaires, les enfants ont (re)découvert des légumes de saison via la réalisation de recettes de cuisine variées, équilibrées et faciles à reproduire en famille. C’était aussi une manière de valoriser nos actions de proximité, de renforcer, affirmer notre place sur les territoires sous le prisme de la santé et l’action sociale tout en se détachant de cette étiquette MSA liée au recouvrement des cotisations sociales. La régularité des rencontres a contribué à créer du lien entre les enfants et les élus bénévoles, très impliqués du début à la fin, et a permis de très beaux moments de partage qui ont contribué au succès du projet.
Carine Piot, animatrice de territoires à la MSA des Charentes.