Mardi 16 août, à 14 heures, au domaine Sainte-Cécile, une exploitation agricole située à Arles, le soleil darde ses rayons brûlants sur des prairies pourtant bien verdoyantes. Il n’y a rien de surprenant à la fraîcheur de cette toison verte exposée à des températures quasi caniculaires qui atteignent ce jour-là les 35 °C. La Camargue est gorgée d’eau, visible par endroits, formant çà et là des marais et des cours d’eau.
Le delta du Rhône
La Camargue doit sa naissance au delta du Rhône, à l’endroit où il se divise en deux bras pour se jeter dans la Méditerranée. Grâce au miracle de cette rencontre, formant comme une île, l’histoire de la riziculture à la française s’écrit et se raconte un peu partout dans le monde. L’eau douce, puisée dans le Rhône, est acheminée par une multitude de canaux qui maillent la zone entière.
Le riz camarguais est l’un des emblèmes de la région, au même titre qu’une manade conduite par un gardian ou les flamants roses du parc ornithologique de Pont de Gau, à quelques vols d’oiseaux de là.
L’or blanc est le fleuron de l’économie locale
Carte postale gustative, ce produit du terroir bénéficie d’une indication géographique protégée (IGP) depuis 2000, précieuse pour les agriculteurs du territoire.
La production annuelle s’élève à peu près à 70 000 tonnes [source l’interprofession qui rassemble tous les acteurs du secteur des semences et des plants, Semae].
L’or blanc fait vivre près de 160 riziculteurs et 27 opérateurs (organismes stockeurs, riziers/transformateurs et conditionneurs).
Riz biologique depuis 2011 au domaine de Saint-Cécile
« Ici, au domaine de Sainte-Cécile, nous possédons 170 hectares. Nous sommes riziculteurs depuis quatre générations. Nous nous sommes lancés dans l’agriculture 100 %biologique en 2011. » C’est le paysan Michel Mégias qui s’exprime, la voix vibrante de passion et l’accent chantant. Il gère la ferme avec sa femme Corinne.
Le couple est sur la même longueur d’onde. Il partage l’amour du territoire et celui du métier. L’année dernière, il a décidé de mettre ses pas dans ceux de Bertrand Poujol, le célèbre riziculteur, maintenant à la retraite, qui utilisait des canards pour désherber ses champs de riz, une méthode inspirée du Japon permettant de se passer de pesticide.
Le recours à des canards désherbeurs de rizières
« Ils sont capables de désherber et d’empêcher en même temps que des graines ne tombent au sol et n’y poussent, s’émerveille Michel Mégias. Ils font de la prévention pour les années futures. » La technique le laisse béat d’admiration. Elle respecte l’environnement et fait le bonheur des oiseaux aquatiques qui se gavent des mauvaises herbes comme le triangle ou la panisse, de hautes herbes envahissantes qui ne laissent aux plants de riz aucune chance de pousser pleinement et de donner le rendement tant attendu.
Une méthode encore en rodage
La méthode de Poujol ne porte pas encore ses fruits. Elle est en rodage. « Elle est difficile à appliquer et éprouvante, reconnaît Michel Mégias. Nous déplorons beaucoup de pertes, de problèmes comme les attaques de renards, la présence de sangliers. Le temps de surveillance est important. Mais écologiquement, elle est essentielle. C’est important pour nous et pour la Camargue, une terre extraordinaire. »
Michel Mégias, riziculteur à Arles :
« Nous pourrions produire 170 hectares de riz mais nous n’en faisons que 15 »
« Nous pourrions produire 170 hectares de riz mais nous n’en faisons que 15. C’est vraiment une volonté. C’est un leurre de croire qu’on peut en faire beaucoup. Nous désherbons avec le canard, avec ses complications et cette joie. Une de nos forces, ce sont les rotations. Nous faisons un an de riz sur 9 ans de rotation, 5 ans de luzerne qui nourrissent le sol en azote naturel. Nous produisons du blé tendre. Nous le vendons en direct au moulin à eau St-Joseph, l’un des derniers en France. Il fait l’effort de bien nous payer notre blé pour fabriquer du pain. Le blé passe en rotation. Ensuite on cultive des lentilles, du tournesol. Nous échappons au système de consommation des grandes surfaces. Tout ce qui est vendu en direct est une grande joie. La moisson du riz se fait naturellement. Il sèche d’abord sur pied. Puis il est récolté très sec sur champs car nous n’avons pas de séchoir à grain. C’est un choix. Les séchoirs artificiels au fioul ou au gaz en desséchant le riz le rendent stérile. Le grain ne peut être semé. Nous le gardons comme si nous conservions une semence. Cela préserve les amidons et le goût. Nous stockons la céréale dans des silos en bois. Nous en avons cinq qui peuvent contenir entre 20 et 25 tonnes. Ce matériel permet d’éviter la condensation. »
Les difficultés du couple sont aussi celles de toute la filière. Le riz français n’est pas à la fête. Depuis quelques années, la courbe de la production à la baisse suit celle du nombre de producteurs, en chute libre. Beaucoup n’y arrivent plus et jettent l’éponge ou optent pour la diversification pour ne pas mettre pas tous leurs œufs dans le même panier. Pareil pour Corinne et Michel. Dans la foulée du bio, ils ont diversifié leur production. Le riz n’en représente plus que 10 %. Il est cultivé sur de petites surfaces, en rotation avec d’autres cultures comme la luzerne, le blé tendre, les lentilles et le tournesol.
Gestion de production de A à Z
« La seule solution qu’on a trouvée pour arriver à vivre de notre ferme, c’est la vente directe »
Corinne Mégias, la rizicultrice installée en bio avec son mari à Arles.
Depuis trois ans, le couple a repris en main sa production de A à Z en se lançant dans la vente en direct. « En 2020, nous n’arrivions plus à vivre de notre agriculture. Nous ne nous occupions pas de sa commercialisation, de sa distribution. Nous faisions appel à des opérateurs. À ce moment-là, nous ne réalisions pas de profit parce que nous n’atteignions pas les rendements suffisants. La solution que nous avions trouvée pour changer la situation, c’est de basculer dans la valorisation. Aujourd’hui, nous nous chargeons nous-mêmes de vendre nos produits. Nous cultivons, nous stockons, nous usinons. Nous prenons en charge aussi la logistique. C’est-à-dire que nous nous occupons de livrer. »
Ce contrôle n’a pas de prix à leurs yeux. Il en va de la viabilité économique de leur ferme. Et de leur liberté de paysans ainsi qu’ils aiment à se présenter. Mais tout se paye en fatigue. Les journées de travail sont bien longues. « C’est difficile parce qu’on ne fait que deux tonnes par hectare. La valorisation reste compliquée, avoue Corinne. Nous pensions qu’avec les canards, ce serait plus facile mais ce n’est pas le cas. Peut-être faudrait-il encore faire preuve de patience. On espérait une amélioration avec notre marque Canard des rizières. »
Le choix d’être des paysans libres
Malgré les changements initiés, ils n’ont pas encore atteint leur objectif de vivre de leur production. Ils s’accrochent mais ils pensent que le pire est derrière eux. « Avant on faisait 170 hectares de riz. Les charges fixes ne diminuaient pas. Son prix de vente baissait alors que nos charges fixes (les impôts, les intrants, engrais, semences…) suivaient le chemin inverse. Travailler en conventionnel était de plus en plus cher et de moins en moins rentable. » Au moins maintenant ont-ils un peu plus le choix. Surtout ils ne dépendent plus de personne.
En cet après-midi estival, Corinne et Michel sont partis en moto profiter de la beauté du pays. Cela fait cinq mois qu’ils n’ont pas quitté la ferme. « On n’a que ce plaisir : un petit tour en moto. »
Bertrand Mazel, riziculteur à Saintes-Maries-de-la-Mer : « En tant qu’agriculteur, nous nous adaptons tous les jours »
« En tant qu’agriculteur, nous nous adaptons tous les jours. Au Centre français du riz, nous avons dix agriculteurs qui travaillent jour et nuit pour trouver des solutions à la question des adventices invasives et aux maladies, à chercher à innover. Nous le faisons scientifiquement et en menant un travail de terrain. Nous avons lancé de nombreux projets intéressants. Nous avons semé du colza dans du riz à l’aide de drones. Nous réussissons faire deux cultures la même année grâce à cette technologie. La culture du colza est rentable. En combinant les deux cultures, nous effectuons la rotation pour le riz qu’on cherchait. Ceci est un exemple concret des idées qui marchent très bien. Au total 3 000 hectares en Camargue expérimentent cette technique. Nous travaillons aussi sur l’agriculture de conservation. Nous ne cultivons plus les terres. Nous mettons des intercultures de légumes au milieu des céréales. Cela permet de faire des rotations naturelles. Nous travaillons aussi sur la mise au point d’un robot désherbeur qui sera bientôt présenté. On va l’appeler le “canard mécanique”. Il trie la panisse et fonctionne de façon d’autonome. Il est au stade expérimental. Ce prototype a été financé par les collectivités territoriales et l’État. »