Qu’est-ce qu’être jeune en ruralité aujourd’hui ? Pour répondre à cette question, la MSA Nord-Pas de Calais, en partenariat avec le cabinet Exaeco, a commandé une étude qui ne vise pas seulement à faire l’état des lieux de cette jeunesse. Elle doit surtout permettre de mieux appréhender les enjeux quotidiens auxquels elle fait face afin d’ajuster et d’enrichir l’offre sanitaire et sociale de la MSA dans son accompagnement et l’animation des territoires ruraux.
La méthodologie ? Des entretiens d’environ une heure et demie avec une cinquantaine de jeunes résidant dans dix communautés de communes du Nord – Pas-de-Calais ainsi que trois ateliers collectifs avec eux et un avec les partenaires.
Un mal national
Le 5 décembre 2023, la restitution des résultats de la première phase par le cabinet d’études a permis d’esquisser les reliefs de cette jeunesse. Comme l’actualité nous le prouve régulièrement, la première thématique qui surgit lors de ces entretiens n’est pas spécifique au milieu rural. C’est un mal national : le harcèlement. 40 % des jeunes interrogés racontent avoir vécu du harcèlement scolaire à un moment de leur parcours.
Il s’inscrit dans un temps long, pouvant se poursuivre de l’école primaire au lycée, et sur plusieurs établissements comme l’explique Anne, 24 ans : « J’ai été harcelée toute ma scolarité. En primaire c’était le pire. On me frappait, on riait de mon prénom et de mon poids. Et en arrivant au collège, les mêmes personnes étaient encore là, donc ça ne s’est pas arrêté. » Pour y échapper, certains partent en internat.
Une mobilité contrariée
Partir, bouger, se déplacer. La mobilité, en milieu rural, se révèle particulièrement difficile et chronophage. « Pour aller au lycée, témoigne Virginie, 18 ans, je prenais le bus à 6 heures le matin pour 1 h 30 de trajet et je rentrais à 20 heures tous les soirs pendant deux ans. J’avais l’impression de ne plus vraiment vivre. » Une problématique qui s’étend à la vie sociale comme le décrit Elliot, 15 ans : « Je prends le bus pour aller voir mes potes à Arras. Il n’y en a pas beaucoup. Si je le loupe, c’est foutu pour ma journée. Je n’ai pas encore le permis mais j’ai passé mon brevet de sécurité routière (BSR). »
Cette solution pour se déplacer, le scooter, est partagée par l’ensemble des garçons rencontrés. Ils ont soit en projet, soit obtenu le BSR et/ou le permis de conduire. Chez les filles, aucune n’a le fameux sésame. « Mes parents trouvent ça trop dangereux » ou « Je n’en ai pas besoin puisque mon copain me conduit partout », sont les principales raisons invoquées. Ce qui implique une dépendance très jeune à leur conjoint pour se déplacer.
Les problèmes de mobilité ont également une conséquence forte sur les activités extra-scolaires. L’étude montre qu’une fois entrés au collège, les jeunes ruraux n’en pratiquent quasiment plus, ce qu’explique Margot, 17 ans : « Je pratiquais la danse quand j’étais plus jeune, de 6 à 15 ans. Aujourd’hui, l’activité n’existe plus à proximité et je n’ai plus le temps d’en avoir une autre à cause des transports et de l’école. »
Un gâchis de compétences
La baisse du nombre de jeunes pratiquants a un impact direct sur la diversité des activités proposées. C’est un cercle vicieux qui a pour conséquence de priver les adolescents d’une soupape de décompression : « La danse me manque énormément car je n’ai plus ces moments où je peux abandonner mes petits problèmes d’ados, poursuit-elle. Je n’ai pas de moments pour moi ».
S’ajoute le constat que pour ces jeunes, l’orientation scolaire se fait souvent en fonction du territoire, non des envies. « Ma formation est à Lille, du coup ça va faire loin et pour le logement ça sera compliqué. Je vais essayer de trouver autre chose », confie Madeleine, 16 ans. Un choix par dépit qui peut conduire à un gâchis de compétences et de grosses déceptions comme l’exprime Antonin, 23 ans : « Au moment de choisir mon orientation, je rêvais de faire carrière dans le théâtre. Mes parents m’en ont découragé. C’était cher, loin et selon eux, il n’y avait pas de débouchés. C’est un vrai regret ».
Ancrés dans leur territoire un avenir professionnel souvent tout tracé, les enfants d’agriculteurs semblent appréhender plus sereinement l’éloignement lié aux études : « J’aimerais bien découvrir les États-Unis, pour voir autre chose pendant que je peux le faire parce que je n’ai pas encore de ferme, et voir comment ils pratiquent là-bas », confie Alban, 21 ans.
Attachant territoire
Voyager mais pour mieux revenir. Car l’attachement au territoire est bien là. Chez 38 % des jeunes interrogés, il se caractérise par un engagement dans une association ou par la réalisation d’actions bénévoles, le plus souvent dans les structures d’animation jeunesse ou de liens intergénérationnels.
Un taux de participation encore plus élevé chez les enfants d’agriculteurs qui restent néanmoins attachés à la thématique agricole, comme Alban : « Je suis dans l’association des Jeunes agriculteurs (JA) pour faire connaître ce milieu. Nous intervenons dans les écoles pour sensibiliser les élèves. Parfois, nous allons devant les supermarchés faire de la pédagogie à destination des consommateurs. »
Les préconisations de l’étude
› Améliorer l’accompagnement des victimes de violences et les aider dans leur reconstruction
› Lutter contre la reproduction des inégalités de genre
› Développer la prévention des troubles de la santé mentale
› Requestionner la problématique de la mobilité
› Créer de nouveaux cadres d’ouverture sur le monde
› Sortir des contraintes pour former selon les envies
› Lutter contre la passivité face aux écrans
› Encourager l’émergence de nouvelles offres culturelles