« Donner un poisson à quelqu’un, c’est le nourrir pour un jour, lui apprendre à pêcher, c’est le nourrir pour la vie. » Tel est l’objectif affiché par le Peps Eurêka qui, pour cette initiation à la pêche façon proverbe chinois, arrime le programme de prévention, consistant à prendre en main sa mémoire ainsi que sa santé, à l’utilisation de la tablette tactile, faisant office de canne à pêche.
La mémoire n’existe pas…
Mais des préambules sont nécessaires pour que l’apprentissage, dispensé tout au long des dix séances hebdomadaires de 2 heures, soit efficace. Il faut d’abord battre en brèche les idées toutes faites sur la mémoire. Elle n’existe pas et ce n’est pas une entité calée dans un coin du cerveau qu’il suffirait d’activer à coup de petites astuces mnémotechniques.
Cet enseignement, l’animateur Saïd Bellakhdar tente de le donner aux participants lors d’un entretien individuel, au moment de la constitution du groupe. « Les personnes souhaitent savoir où elles en sont de leur mémoire et apprendre comment entretenir cette capacité », raconte l’intervenant, qui, à Esbly, une commune de Seine-et-Marne, s’occupe jusqu’au 1er juillet de l’atelier mémoire Peps Eurêka, autour d’un groupe, composé de 11 personnes.
Une fonction cognitive en interaction
Une fois écartées les idées toutes faites, il s’agit d’emmener les personnes via les exercices du Peps à une approche de la mémoire en phase avec la connaissance qu’on en a aujourd’hui et, partant de là, à adopter les bonnes attitudes en faveur de la santé cognitive. « La mémoire est une fonction cognitive en interaction avec d’autres fonctions cognitives. » Ce socle de connaissance est posé à la première séance permettant de dérouler lors de la deuxième, les 7 stratégies de mémorisation à acquérir : l’indiçage, l’association, les couples de mots à reconstituer, la répétition, la classification-catégorisation, la distinction, la mise et remise en contexte. Lors des 8 autres rendez-vous, est évoquée une situation difficile où l’on est confronté à un oubli ou à un trou de mémoire.
Stratégies de mémorisation
Le 3 juin dernier, comme chaque lundi depuis le 9 avril, à 14 h, salle Camille-David, à Esbly, la séance 7 du Peps Eurêka s’est tenue en présence de l’adjointe au maire, Thérèse Roche, venue voir l’atelier avec tablette. Elle connaît le Peps pour avoir participé elle-même à une session précédente. Le manque de temps l’empêche de le faire cette année aussi. Elle le regrette. Thème du jour : « Mémoire des mots courants… Comment appelle-t-on cela ? J’ai le mot sur le bout de la langue… » Le cap est mis sur le langage et le stock de vocabulaire, que chacun constitue tout au long de sa vie. Les jeux, comme les mots fléchés, les textes à trous, les recherches de synonymes et d’antonymes ou la signification des expressions à trouver, figurent dans la version papier du Peps, et ont été adaptés à la tablette avec la volonté d’y rester fidèle.
En quoi ces jeux aident-ils à l’agilité cognitive ? Saïd Bellakhdar répond : « C’est la mémoire des mots. On part de confusions comme trublion/troublion… C’est une manière en marge de dire que ce n’est pas qu’un problème de mémoire. On peut confondre. Ces exercices permettent de passer du lexique à la sémantique (le sens). C’est passer d’un registre à un autre. C’est rendre plus agiles ses compétences cognitives. »
Peps version tablette
Pour les exercices, les participants disposent chacun d’une tablette et d’un stylet, remis par l’intervenant en début de séance. Une façon de les inviter à prendre le train des mutations technologiques. L’utilisation de la tablette enrichit le travail sur la santé cognitive avec un renforcement des aptitudes à s’adapter au monde en train d’évoluer. Elle offre aussi la possibilité de profiter de leur apport, à commencer par la connexion avec des proches éloignés géographiquement. « Ils peuvent échanger avec leur famille, petits-enfants. Cela permet de lever l’isolement social », explique l’animateur. Autre fonctionnalité du Peps numérique, « la tablette mobilise la mémoire de travail » qui consiste « à se souvenir de comment quelque chose fonctionne. »
Si certains tâtonnent sur le moment, cherchant à maîtriser cet outil, sélectionnant les mots tantôt à la main tantôt au stylet, rien de grave. L’adaptation est en marche pour cette version tablette du Peps, en phase de test. Jean, l’un des participants, confirme : « Pour la tablette, il faut pratiquer. » La difficulté n’est pas technique. Elle vient, selon lui, de certains exercices plutôt « compliqués ». Et de confier : « Il y a des mots que je ne connaissais pas. Les mots contraires, par exemple. Je ne les emploie pas. Ce n’est pas dans mon vocabulaire. » Les jeux sont l’occasion d’en découvrir le sens.
La curiosité se cultive
Certains participants n’ont pas fait beaucoup d’études, ce qui ne les empêche pas de s’intéresser à beaucoup de choses. Une disposition d’esprit qu’encourage la revue de presse réalisée au début des séances. « Il faut être curieux, attentif, signale l’animateur. La connaissance, ça s’acquiert même à cet âge-là. » Savoir pêcher ne suffit donc pas, il faut aussi apprendre à aller taquiner le poisson un peu partout.
Cap sur le numérique
Camille Mairesse,
responsable au Prif, présente cette nouvelle modalité du Peps Eurêka pilotée la CCMSA.
Comment avez-vous abordé cette refonte ?
Depuis 2 ans et demi, on se posait la question de savoir comment allier l’entretien de la mémoire et l’appropriation des nouveaux outils numériques. La société se transforme et on a de plus en plus besoin de savoir s’en servir. Ça nous semble important que les personnes, via des ateliers qu’elles aiment bien, puissent avoir accès à ces outils et en apprendre l’utilisation. L’autre raison est essayer d’être plus économe en papier.
Avez-vous travaillé avec des experts ?
On a commencé à réfléchir en regardant ce que faisaient plusieurs entreprises sur l’utilisation des tablettes. On a retenu l’entreprise Dynseo qui a déjà travaillé sur Peps Eurêka. L’idée, c’est de rester proche de ce qui se faisait sur papier. Ce n’était pas de changer mais de permettre de réaliser ces ateliers avec des tablettes. C’est la solution trouvée pour ne pas dénaturer le programme car il a été validé scientifiquement. Il est très élaboré. On voulait en garder à la fois l’esprit et la qualité tout en l’adaptant aux nouvelles technologies. Ce sont donc les mêmes exercices.
Vous testez encore le projet ?
On a commencé en fin d’année 2018. Plusieurs ateliers ont eu lieu. Déjà quatre ateliers mémoire ont été réalisés en intégralité, 3 sont en cours. Il devrait y en avoir en tout une dizaine cette année, probablement plus.
À quand le déploiement ?
Notre phase test nous permet de confirmer que l’outil a été bien conçu, de faire les adaptations nécessaires et de corriger les bugs qui doivent l’être. C’est en cours. On va probablement tirer cet été un premier bilan sur les groupes qui ont eu lieu pour voir si les personnes ont appris les mêmes choses, ont appris autant de choses et si on relève les mêmes impacts. Sur les ateliers habituels, on constate que près de 80 % des personnes disent qu’elles arrivent à mieux se concentrer ou à retenir au bout des 11 semaines d’ateliers. On va essayer de voir ce qui se passe avec une tablette.
Quels sont les premiers résultats ?
L’analyse est en cours. Ce que nous avons observé est très positif : les participants sont soit amusés ou intrigués, soit méfiants ou distants par rapport à la tablette ; mais au fil des séances, ils se servent de l’outil et pour certains se prennent au jeu voire, disent souhaiter s’équiper. Les difficultés qu’ils peuvent rencontrer, notamment lorsqu’il faut écrire, sont largement compensées par l’apprentissage de l’usage d’un nouvel outil qui se fait, progressivement, tout au long de l’atelier.