Elles s’appellent Karine, Aurore, Murielle, Marie, Mireille, Dominique, les deux Céline, Chantal, Mailys, Alexandra et Laura. Douze femmes, éleveuses, entrepreneuses, mères, en Charente limousine qui rencontrent les mêmes problématiques dans leur métier. Pas prises au sérieux, peu rémunérées, mises de côté, voire isolées… elles ont décidé de s’unir pour se soutenir, échanger et prendre du temps pour elles.
Avec les services de l’action sanitaire et sociale et de la prévention des risques professionnels de la MSA, elles ont créé il y a un an le collectif d’un autre genre #agricultricesavanttout.
Le 19 octobre dernier, un temps fort a été organisé à la Maison familiale et rurale (MFR) de La Péruse autour du vernissage des 12 portraits photos réalisés durant l’été, et la découverte de leur quotidien en vidéo. À cette occasion, elles ont partagé leur expérience dans un podcast, enregistré en direct sur radio ZaïZaï. Elles y parlent de leurs liens et de ce que le groupe leur apporte.
Pour cette émission, elles ont également invité de jeunes élèves de la MFR, interviewé un vétérinaire, ainsi que l’une des créatrices de la bande-dessinée Il est où le patron ?. Bref, elles s’investissent à leur niveau pour que leur travail soit reconnu et pour faire entendre leur voix.












Agricultrices : « On est là, on existe ! »
C’est un cri du cœur commun à toutes ces femmes : « On est là, on existe ! » Alors que dans les fermes, une personne sur trois est une agricultrice, elles font toutes le même constat, celui d’être invisibilisées en tant qu’exploitantes. « Quand on nous rencontre sur l’exploitation, on nous demande toujours où est le chef », se désespère Alexandra, éleveuse de chèvres à Exideuil-sur-Vienne. « J’en fais autant que mon compagnon, j’aimerais bien qu’on le reconnaisse », ajoute Aurore, éleveuse de poules à Ansac-sur-Vienne.
« Nous sommes considérées agricultrices quand on a un mari, un père, un frère, continue Dominique, éleveuse de brebis à Massignac. Si ce n’est pas le cas, nous ne sommes pas reconnues. Je veux qu’on me respecte ; on est agricultrices avant tout ! » Un sexisme ambiant quotidien qu’elles ont chacune vécu et qu’elles dénoncent.
« On se heurte aux stéréotypes, complète Dominique. Quand j’ai repris l’exploitation de ma mère en 2003, on m’a bien fait comprendre qu’être une femme éleveuse, qui plus est en brebis dans une région majoritairement orientée bovins, était mal vu. » Ce collectif est un moyen pour elles de réfléchir à la meilleure façon de valoriser leur métier en tant que professionnelles.
« Les femmes ont toujours été présentes sur les fermes, rappelle Maylis, éleveuse de moutons à Saulgond. Elles étaient femmes ou filles d’agriculteurs, n’avaient pas de statut, mais elles étaient là. Il faut que ça change et que les femmes soient visibles !»
Prendre du temps pour soi
Pour elles, le collectif permet d’échanger sur ces difficultés, mais aussi de prendre du temps pour soi. Des ateliers bien-être sont proposés tout au long de l’année. Six rencontres ont déjà été organisées par Aurélie Ferré, Ségolène Concher et Laurie Simonet de la MSA dans des communes de Charente limousine. Des thèmes tels que la charge mentale et la gestion des émotions ont été abordés. Yoga, rencontres, massages… des rendez-vous qui ouvrent une parenthèse bienvenue dans un quotidien physique et difficile.
« Ce sont des moments formidables, conviviaux. De belles rencontres qui nous font partager beaucoup de choses. Et puis ça nous fait sortir de nos exploitations », confie Marie, éleveuse en bovins viande à Massignac. Ces rendez-vous créent du lien et par la même occasion une dynamique de territoire entre les agricultrices. « C’est compliqué de prendre du temps pour nous et de discuter avec des personnes en dehors du monde agricole, explique Laura, éleveuse de moutons à Oradour-Fanais. Ça fait du bien. »
Pour Chantal, c’est une forme de reconnexion sociale. « Je suis solitaire, je parle à mes animaux. Jusqu’à maintenant, je pensais que personne ne pensait à moi. Je suis finalement sortie de mon mutisme et je suis émerveillée de nos échanges. Aujourd’hui, je me sens mieux : je suis une femme agricultrice qu’on n’a pas oubliée. »
Une sororité agricole qui fait du bien et qui n’est pas près de s’arrêter car d’autres aventures sont prévues.
Il est où le patron ?

Lors de leur première rencontre, les agricultrices ont échangé sur la bande-dessinée Il est où le patron ?, écrite par cinq agricultrices du collectif Les paysannes en polaire et dessinée par Maud Bénézit et publié aux éditions Marabulles, inspirée de faits réellement vécus. Pour le podcast, les éleveuses #agricultricesavanttout se sont prêtées au jeu de l’interview en faisant témoigner Céline Berthier, elle-même membre du collectif.
Comment est née l’idée de cette BD ?
En 2014, je me suis installée en élevage de chèvres avec deux associés. J’avais une amie qui vivait la même chose au même moment dans une autre région et on comparait nos anecdotes autour de l’installation. On s’est dit que ce serait rigolo que les chèvres parlent de nous, avec un regard anarchiste et féministe. L’histoire est tombée aux oubliettes jusqu’en 2017, quand je suis arrivée en Ardèche.
J’ai assisté à un théâtre forum sur le sexisme dans le milieu agricole. J’ai évoqué l’idée de faire une BD avec les filles qui jouaient sur scène ce jour-là. On a constitué un groupe, puis j’ai rencontré Maud qui quittait son métier pour réaliser son rêve : devenir dessinatrice. Trois ans plus tard, le livre est sorti.
Le scénario relève-t-il de la fiction ou est-il inspiré de la réalité ?
Les trois personnages sont inventés. On en avait besoin pour prendre du recul. C’est un peu de nous toutes, mais pas seulement. Toutes les anecdotes sont du vécu. On s’est inspirées d’une masse importante de témoignages sur le sexisme. Pour nous, il était important que les scènes soient réelles parce que ça en faisait un message non démontable.
Est-ce que le regard des autres sur votre métier a changé et qu’est-ce que le livre vous a apporté ?
Personnellement, j’ai la chance d’être associée avec une femme. Donc au sein de mon Gaec, on ne subit pas la contrainte genrée au niveau de la répartition des tâches par exemple. En ce qui concerne la BD, elle a bien circulé en Ardèche. Au début, je craignais que tout le monde me voie comme quelqu’un de “badass”, qui n’a peur de rien et donne l’exemple pour les femmes. Un jour, un média a diffusé un post sur le sujet qui a fait 2millions de vues. J’avais envie de disparaître dans un petit trou avec les chèvres, mais en fait j’ai été projetée sur un petit nuage. Ça m’a donné encore plus de fierté à faire ce métier. Je ne me demande plus si je suis légitime. Et c’est grâce à la force du collectif. Nous avons d’autres projets, on réfléchit notamment à se former avec le planning familial pour créer une Brigade d’action féministe en faveur de l’égalité (Baffe) pour aider les paysannes qui subissent des violences physiques et sexuelles dans leur ferme.