Justine a 22 ans et habite à Saugues, joli village de 1 500 habitants niché au cœur du Gévaudan. Elle travaille comme couturière et vendeuse d’accessoires en laine aux Ateliers de la Bruyère, entreprise d’insertion. Elle se rend sur son lieu de travail à pied, en dix minutes à peine. Comme elle n’a pas le permis de conduire, lorsque Justine doit se déplacer au Puy-en-Velay, préfecture et principal centre urbain situé à 44 km, elle peut par exemple prendre le bus du jeudi à 6h30.

Mais si elle le rate, elle devra attendre très longtemps : le suivant passe quatre jours plus tard… En Haute-Loire, la petite vingtaine de lignes de bus peine à se frayer un chemin entre les monts du Velay et les collines du Livradois.

Un enjeu pour l’autonomie

Selon l’étude de l’association UFC-Que Choisir(1), 44 % de la population du département ne possède aucun arrêt de transport à moins de dix minutes à pied, 77 % est située à plus de dix minutes à vélo d’une gare.

Sans voiture individuelle, point de salut. Selon les données de l’Insee et du Centre d’études et d’expertise sur les risques(2), l’environnement, la mobilité et l’aménagement, 70 % des déplacements dans les « zones peu denses » sont effectués en voiture, 20 % à pied et à vélo, et moins de 5 % en transport collectif.

L’enjeu de la mobilité est primordial, en particulier pour les jeunes. Dans son rapport sur les conditions de vie des jeunes ruraux(3), l’Inspection générale des affaires sociales (Igas) souligne que l’absence de véhicule conditionne nombre d’aspects de la vie quotidienne et du futur. « L’éloignement et l’absence de solution de mobilité, notamment liée à la possession du permis de conduire et d’un véhicule personnel, limitent l’accès aux offres de formation, d’emploi et à la vie sociale, accentuent l’isolement et rendent difficile l’insertion professionnelle », expliquent les enquêtrices de l’Igas, Noor-Yasmin Djataou, Hélène Furnon – Petrescu et Carine Seiler.

En manque de transports publics

Dès lors, comment briser ce cercle vicieux ? Parmi les pistes, celle d’aller au contact des publics les plus empêchés de mobilité. « Les actions qui permettent d’accompagner les jeunes – et les moins jeunes – à franchir “les premières marches” vers l’autonomie et à acquérir une compétence à la mobilité sont primordiales », soulignent les auteures du rapport.

À une vingtaine de kilomètres au nord de Saugues, Langeac est une petite ville pourvue de commerces et d’une gare ferroviaire qui accueille principalement des trains de fret et des autocars. Justine a dû prendre un taxi pour s’y rendre. Elle y rejoint Tony, Ange, Joffrey, Moussa, Thomas et Faizeddine. Ils sont employés en maraîchage par les ateliers Labruyère, à Langeac. Âgés de 20 à 40 ans, ils viennent assister au programme « Explore » de la Maison de la mobilité solidaire 43 (MMS 43).

Depuis un an, cet atelier se tient tous les mois auprès de personnes orientées par des travailleurs sociaux (associations, MSA, CAF, département, missions locales). Julie Fraisse, conseillère mobilité, explique sa mission : « L’objectif est de montrer que, même dans des territoires isolés, des solutions alternatives à la voiture existent. »

Cas pratique

Après une phase d’échange sur les habitudes de déplacement et un exercice – pas facile – du code de la route, les sept usagers sont soumis à un cas pratique : préparer le trajet pour se rendre au lieu du rendez-vous du lendemain, à 9 heures, en banlieue du Puy-en-Velay, pour y tester des véhicules.

Pour arriver à l’heure, il n’y a que deux solutions : le car de 6h42 pour le Puy, puis un second bus urbain, ou le covoiturage, sous réserve qu’il existe des propositions de trajets. « Sinon, à pied, ça prend 11 heures », ajoute Thomas, rigolard. Tony, lui, « n’a pas envie de galérer ». Sa décision est prise : « Je n’irai pas. »

Le lendemain, le soleil brille sur Saint-Germain-Laprade. Un parking, un ensemble de grands entrepôts au bord d’une longue départementale à la sortie du Puy : nous sommes au « village des solutions » de l’Association pour la formation professionnelle des adultes. Sur la grande piste d’asphalte d’une centaine de mètres de long sont garés deux vélos électriques, un scooter et une voiture sans permis.

Finalement, Tony est là. « J’ai suivi les autres qui ont organisé le trajet », sourit-il. À 39 ans, il a bourlingué aux quatre coins de la France, entre galères et aventures, dont une lui fit perdre l’usage d’un œil. Il aimerait passer le permis mais pense que ce handicap est rédhibitoire. « Pas du tout, lui assure le moniteur. Il faut juste avoir au moins 5/10e à l’œil valide. » Une information qui change tout pour Tony. Quelques jours après l’atelier, il nous confie : « Posséder une voiture me permettrait de trouver un travail plus loin. Je pourrais aussi prendre un véhicule sans permis en attendant. En tout cas, l’atelier a enclenché un processus. »

Tony écoute les instructions du moniteur avent de tester le scooter électrique
Tony écoute les instructions du moniteur avent de tester le scooter électrique.

En route !

Sur la piste d’essai, Justine s’installe au volant de la voiture sans permis. Il y a quelques années, elle a subi deux accidents de voiture qui l’ont choquée et l’ont rendue très émotive à l’idée de reprendre le volant un jour. À peine installée, elle sent poindre la panique. Michel, le moniteur, la rassure. D’abord, elle ne s’occupera que des pédales. Ensuite, uniquement du volant.

Une demi-heure plus tard, elle dirige le véhicule presque sans appréhension. « Jusqu’à ce jour, j’avais essayé de conduire mais je n’étais jamais allée au-delà de quelques mètres, confie-t-elle, ravie. Avoir été mise en confiance m’a beaucoup aidée. » Justine a pour idée de suivre une formation en secrétariat, à Brioude. La commune située à 48 km de Saugues est desservie par un bus hebdomadaire. Pour mener à bien ce projet, le permis sera indispensable.

Plus de distance parcourue

Aux dires des animateurs de la MMS 43, les alternatives à la voiture, comme le vélo, fonctionnent surtout pour des trajets courts. Or, plus de la moitié des distances parcourues par les habitants des communes rurales, soit un tiers de la population française, concerne des déplacements de 10 à 100 km(4). De plus, avec la concentration des emplois dans les zones urbaines, la distance médiane parcourue par les ruraux pour se rendre au travail a augmenté de 50 % en vingt ans, selon l’Insee(5). Pragmatique, la MMS 43 propose donc également un accompagnement au passage du permis de conduire.

(1) : Accès aux transports en commun : “L’UFC-Que Choisir dévoile les zones blanches”, UFC-Que choisir, 2024.
(2) : “Mobilités dans les territoires peu denses, un enjeu de cohésion territoriale”, Centre d’études et d’expertise sur les risques, l’environnement, la mobilité et l’aménagement, Les essentiels, 2024.
(3) : “Pauvreté et conditions de vie des jeunes dans le monde rural : Comment adapter les réponses institutionnelles ?”, Inspection générale des affaires sociales, 2025.
(4) : “Les pratiques de mobilité des Français varient selon la densité des territoires”, Données et études statistiques pour le changement climatique, l’énergie, l’environnement, le logement, et les transports des ministères Aménagement du territoire –Transition écologique.
(5) : “Le trajet médian domicile-travail augmente de moitié en vingt ans pour les habitants du rural”, Institut national de la statistique et des études économiques, 2023

Des projets citoyens soutenus par la MSA

À l’instar de la Maison de la mobilité solidaire 43, qu’elle soutient via l’appel à projets Grandir en milieu rural, la MSA accompagne partout sur le territoire des initiatives facilitant les déplacements. Comme l’association Mob’In Bourgogne-Franche-Comté, dans l’Yonne, qui rassemble des écoles de conduite associatives et des garages solidaires.

Autre service, cette fois créé par la MSA, le Réseau social d’aides à la personne (Reso’Ap). Créé en Mayenne, dans l’Orne et la Sarthe, il permet aux personnes isolées – ou non véhiculées – de réserver des trajets du quotidien (courses, médecin, etc.), assurés par des chauffeurs volontaires à un tarif raisonnable. Un système qu’on retrouve notamment dans le Calvados et la Manche sous le nom de « solidarité transport » ou encore en Loire-Atlantique avec les « déplacements solidaires ».

La MSA propose également à ses adhérents des aides financières directes pour le paiement des transports collectifs, pour passer le permis de conduire ou pour l’achat d’une voiture. Plus d’infos auprès des caisses locales.