Il y a plus de trente ans, lorsqu’il descend de sa Normandie natale en Nouvelle-Aquitaine, Jérôme Fréville ne peut s’imaginer qu’il récoltera à l’aube de la retraite, du CBD, une substance naturellement présente dans le chanvre. C’est pour des raisons professionnelles que ce fils d’éleveurs normands a quitté le pays du Neufchâtel et s’est rendu en Gironde. Il y rencontre celle qui deviendra sa femme, fille de viticulteurs, et démarre une nouvelle vie lorsqu’il reprend avec elle l’exploitation familiale, après avoir passé un diplôme d’ingénieur agricole à Bordeaux. Sa première transition.
Viticulteur avant tout
Durant trois décennies, ils exploitent jusqu’à 11 hectares de vigne. Ils revendent le raisin à une cave coopérative qui produit du vin rouge. Entretemps, leurs enfants grandissent. Et les crises climatiques (grêle en 2014, gel en 2017, 2019 et 2021), qui réduisent leur production à peau de chagrin, les font réfléchir.
Pendant sept ans ils prennent le temps d’étudier différentes pistes. « Nous étions à la recherche d’une activité secondaire rentable et qui nous plaise sur l’exploitation. L’objectif était de permettre à notre fils de venir travailler avec nous. » C’est par lui qu’émerge la nouvelle voie, en 2021, tandis qu’il passe son CAP maraîchage à Carcassonne. « Il est revenu avec l’idée loufoque de planter du CBD », relate son père qui, à ce moment-là, n’est pas des plus enthousiastes. « C’est l’aspect légal qui me tracassait. »
Du vin et du CBD
L’argumentation de son fils, des recherches plus poussées et l’ouverture de nombreux magasins de CBD sur le territoire font tomber les barrières. Six mois plus tard, il décide d’essayer à titre expérimental. Il se déclare alors à la gendarmerie et à la chambre d’agriculture. « Je ne connaissais pas du tout la filière, le technicien de la chambre m’a conseillé un fournisseur. Nous avons donc commencé en achetant des graines officielles dans une coopérative française. »
La culture se fait sur une centaine de mètres carrés au fond du jardin. « Au Maroc, ils le cultivent en plein champ, je ne voyais pas pourquoi ça n’aurait pas été possible ici. Et comme le CBD a besoin d’un arrosage minimal, ça résolvait les problèmes d’eau que nous connaissons. » Après la récolte, l’analyse du CBD par un laboratoire, recommandé par la chambre d’agriculture, confirme un taux légal (inférieur à 0,3 %) de THC (Delta-9-Tétrahydrocannabinol, principe actif du cannabis responsable des effets psychotropes). Tous les signaux sont au vert pour la seconde transition.
L’usage du CBD entre dans les mœurs
Peu d’investissements et d’arrosage, pas de traitement phytosanitaire, une activité que l’on peut mettre en sommeil, la culture du CBD révèle peu à peu ses avantages. C’est sur les marchés que Jérôme Fréville fait connaître sa nouvelle production. Mais les freins à la consommation subsistent, notamment en raison de l’amalgame avec le cannabis et ses effets psychoactifs (totalement absents avec le CBD).
Les années qui suivent, son usage et ses bienfaits commencent à entrer dans les mœurs. « Pour tester les effets du CBD, j’ai donné mon corps à la science, j’en ai consommé en tisane. Résultat : je n’avais plus mal nulle part, je dormais comme un bébé. » Convaincu par les bénéfices de son produit, il y dédie une surface de jardin plus importante (300 m2). En 2025, une petite partie du vignoble y est même consacrée.
En 2024, il croise ses deux productions en élaborant une recette de vin infusé au CBD. Le directeur commercial de la cave coopérative s’y intéresse rapidement et un partenariat entre l’exploitation et la cave se noue pour le produire. Peu ouverts au départ de son aventure, les autres viticulteurs voient bien désormais qu’il y a un intérêt des consommateurs pour ce genre de produits. « C’est d’autant plus le cas que le marché du vin est en berne et que les nouveautés se vendent bien. Pour moi, c’est une belle victoire car au départ, ce n’était pas du tout gagné. Les barrières tombent peu à peu mais il faut travailler ! », conclut Jérôme Fréville.