La salle de conférence de la MSA Île-de-France, à Gentilly, arbore les affiches de la toute dernière campagne de prévention du service santé-sécurité au travail. On y trouve un homme travaillant en hauteur dans un arbre, tronçonneuse à la main. Ou encore une femme éreintée, un verre de bière à la main. « Besoin de se doper pour planer dans les arbres ? » « Besoin de lever le coude pour mieux travailler ? », interrogent-elles.

Besoin de se doper pour planer dans les arbres ?

Plus d’un tiers des fumeurs aurait augmenté leur tabagisme à cause de difficultés liées au travail

Source Additra

Ces affiches sont destinées aux employeurs et aux salariés du secteur jardins – espaces verts. Elles ont été réalisées par le groupe de travail addictions de la MSA Île-de-France, composé d’infirmières, de médecins du travail et de conseillers en prévention. Ils se mobilisent depuis un an pour sensibiliser les travailleurs au problème des addictions dans ce secteur accidentogène, où certains travaux demandent une concentration et des efforts physiques soutenus (utilisation d’outils mécaniques, de machines, travail en hauteur ou sur talus en pente, etc.)

Ces personnes se mettent en danger, ainsi que leurs collègues.

« Les employeurs, on le voit, sont face à des situations très compliquées en lien avec les addictions de certains de leurs salariés, souligne Véronique Azemar, médecin du travail et chef du service santé-sécurité au travail à la MSA. Il faut faire comprendre à ces personnes qu’elles se mettent en danger, ainsi que leurs collègues. »

Le service propose un suivi médical des salariés et les oriente vers une démarche de soins. « Nous avons créé un réseau de professionnels addictologues et nous avons aussi établi un partenariat avec un centre de soins spécialisé pour les personnes en situation de dépendance, explique Zora Rezzag, infirmière de santé au travail. Nous offrons également la possibilité aux chefs d’entreprise de faire appel à nous pour des sessions de sensibilisation de leurs salariés. Nous en avons déjà réalisé dans des grosses entreprises sur l’alcool et le cannabis. Les retours sont très bons. »

De gauche à droite : Raymond Bykoukous, Gladys Lutz, Michel Ledoux et Zora Rezzag entament la réflexion sur la problématique des addictions au travail.

En 2016, la caisse de MSA a signé une convention de partenariat avec l’Union nationale des entreprises du paysage (Unep) pour accompagner les entreprises du secteur en santé-sécurité au travail. « Sur le territoire francilien, chacune d’elles est accompagnée par trois interlocuteurs : médecin, infirmière du travail et conseiller en prévention. Nous intervenons à la demande et les accompagnons non seulement sur la question des addictions mais aussi de la qualité de vie au travail », rappelle Raymond Bykoukous, conseiller en prévention.

Susciter le dialogue entre salariés et entreprise

Les membres de l’équipe santé-sécurité au travail enregistrent beaucoup de témoignages de situations difficiles à gérer en entreprises avec des personnes en état d’ébriété ou consommant du cannabis, par exemple. La conception d’outils de prévention s’impose : « Le but de nos affiches est de susciter le dialogue avec les salariés ou entre salariés au sein de l’entreprise. Que la parole se libère et amène à des cheminements. Notre parti pris est de mettre en lumière la précarité dans laquelle peut conduire l’usage de stupéfiants à long terme en s’éloignant de la vision caricaturale habituelle », note Zora Rezzag.

L’organisation du forum « Addictions, qualité de vie au travail et performance en jardins – espaces verts », le 25 janvier 2018, est également le fruit du groupe de travail.

Préserver emplois et compétences

Une trentaine de directeurs d’entreprise d’espaces verts de la région sont venus écouter les différents intervenants et trouver des solutions. Car face aux problèmes d’addictions, ils sont souvent démunis et adoptent pour premier réflexe la sanction.

« Mais il existe des solutions pour améliorer les conditions de travail et préserver les emplois et les compétences, expose Gladys Lutz, ergonome-chercheur au centre de recherche sur le travail et le développement du Cnam et présidente de l’association Additra pour la prévention des mésusages de substances psychoactives en milieu professionnel. Il faut d’abord se poser les bonnes questions : pourquoi les salariés ressentent le besoin de consommer des substances pendant le travail ? Quelles sont ces conditions de travail qui entraînent ce besoin de consommation ? »

En pratique

L’équipe SST de la MSA Île-de-France est à disposition pour le suivi médical des salariés (visite à la demande du salarié ou de l’employeur, suivi individuel renforcé), l’orientation vers une démarche de soins (médecin traitant et/ou addictologue, structures de soins spécialisées…), le maintien dans l’emploi (aménagement, adaptation des horaires), l’orientation vers le service social.

D’après l’Additra, le tabac, l’alcool, les médicaments psychotropes, les drogues illicites… sont, pour certains actifs, un moyen de faire face à des problèmes liés à leur travail. Ils y trouvent un soulagement physique, psychique, une stimulation… qui leur permet de « tenir ». Plus d’un tiers des fumeurs aurait augmenté leur tabagisme à cause de ces difficultés. De même pour 9 % des consommateurs d’alcool et 13 % des consommateurs de cannabis.

Un laboratoire d’idées

Le groupe de travail addictions de la MSA Île-de-France est un laboratoire d’idées. Son but est de faire bouger les lignes sur le terrain, de mener des actions de prévention, par exemple, en intervenant en entreprises à la demande sur des situations de consommations de substances psychoactives à risque.

Le forum du 25 janvier 2018 est une étape sur un parcours en construction pour offrir et ajuster des services adaptés à la réalité du terrain. D’autres actions sont à venir pour améliorer les conditions de travail en lien avec le recours aux dopants.


Gladys Lutz
ergonome-chercheur

Le point commun entre cannabis, alcool, tabac et médicaments psychotropes :

ils modifient la perception de l’environnement et la manière d’y réagir. Par exemple, si j’ai le vertige, sous l’effet de l’alcool je n’aurai plus peur de travailler en hauteur. Cette modification de l’état de conscience n’est donc pas strictement une perte (de réflexion, de qualité de concentration, une mise en danger, etc.), c’est aussi un gain (éviter de dormir, calmer des angoisses, garder du tonus, etc.)
Aujourd’hui, la recherche de performance produit des tensions chez le travailleur et il doit sans cesse s’adapter et rester dans un état émotionnel et physique d’égal niveau du matin au soir, tous les jours de la semaine. Ce qui n’est pas dans notre nature. D’où le besoin de consommer des substances psychoactives.
On doit adapter le travail à la vulnérabilité humaine, adapter les conditions au travailleur tel qu’il est et non tel qu’on voudrait qu’il soit. Concrètement, en entreprise, c’est créer des temps d’échange sur les conditions de travail pour transformer les manières de faire.

Sur le sujet de l’addiction et du travail, la loi ne dit pas grand-chose.

Depuis 2002, l’employeur est tenu à une obligation de sécurité de résultats. Les juges regardent désormais à la loupe la qualité de la prévention et scrutent le document unique, qui doit être bien rempli. L’employeur doit être clair avec ses salariés et les règles doivent être connues de tout le monde. Cette transparence est concrétisée par le règlement intérieur, qui doit être affiché et contenir des clauses relatives aux addictions. Si le code du travail autorise la consommation de certains alcools sur le lieu de travail, on peut préciser les conditions de consommation (à quelles occasions, quelles quantités, etc.) ou même l’interdire pour les postes liés à la sécurité ou les travaux en hauteur, par exemple. L’employeur peut prévoir aussi, dans le règlement intérieur, les modalités de contrôle d’usages de produits psychoactifs : éthylotest, test salivaire.

Michel Ledoux
avocat spécialisé en droit social et de la Sécurité sociale
Photos : © Eve Dusaussoy/Le Bimsa