Quelles sont les particularités des personnes qui appellent Agri’Écoute ?
Elles ne nous parlent pas forcément de leurs difficultés professionnelles, mais de difficultés tout court. Il n’y a pas réellement la notion de métier, puisque finalement leur vie professionnelle, c’est leur vie, c’est la même chose. Il n’existe pas cette segmentation qu’on peut faire plus aisément dans d’autres secteurs, ce qui engendre une confusion entre toutes les problématiques. Les agriculteurs ne transmettent pas simplement un métier mais toute une vie, ils vivent et travaillent au même endroit, avec un héritage familial au-dessus de leurs épaules. Les personnes qui nous sollicitent vont invoquer en première intention des problématiques qui nous semblent être personnelles, des dégradations de la vie conjugale, de la santé physique, car c’est plus facile d’en parler que de la santé psychologique.
Mais très vite, quand on reconstruit l’histoire pour comprendre comment la personne en est arrivée là, au début, il y a quelque chose de l’ordre de l’activité professionnelle, qui déborde et embarque le reste de la vie personnelle, familiale. Mais ça peut toucher tout le monde, il n’y a pas de profil type à la détresse psychologique. Les trajectoires de vie font que les épreuves peuvent s’accumuler. Les solutions pour les surmonter s’amenuisent tant et si bien qu’à un moment donné, il n’y a plus de solution visible pour la personne prise dans ce tourment. La seule qui lui semble encore réalisable est le passage à l’acte. C’est ce qu’on appelle des idéations suicidaires. Il n’y a pas un vrai désir de mourir mais de faire taire la douleur, l’épreuve qui est vécue.
Le numéro est-il également ouvert aux proches qui s’inquiètent ?
Oui, ça peut être un voisin, un ami. Nous avons aussi régulièrement des conseillers bancaires inquiets pour leur client. Ils peuvent se sentir démunis, non outillés pour savoir comment faire, et c’est tout à fait normal. C’est pour cela qu’il existe des dispositifs d’accompagnement comme Agri’Écoute.
Nous leur conseillons souvent de parler de ce numéro, ce qui ne veut pas dire forcément obtenir immédiatement une adhésion à le composer, et de proposer de faire ce premier pas avec la personne, pour l’aider à passer le cap ; lui dire : « Je suis là, si tu veux on compose ce numéro ensemble, je démarre la conversation et ensuite je te passe le téléphone. » Et ça fonctionne, c’est un premier tremplin, le début d’une autre solution.
Comment se déroule le suivi ?
Sur accord, il peut avoir lieu sur plusieurs échanges avec le même psychologue qui a traité le premier appel, avec lequel généralement la relation de confiance est établie. Ces personnes traversent un moment de vie où elles ont besoin de ce que j’appelle des facilitateurs, non pas pour faire à leur place mais avec. À ce moment-là, nous leur parlons de l’existence des cellules pluridisciplinaires de prévention et nous leur expliquons que si elles en ont le désir, nous pouvons faciliter la mise en lien avec celle de leur territoire. Souvent, elles acceptent alors de nous donner leur identité et leurs coordonnées. Pour nous, l’existence de ces cellules est une opportunité puisqu’en leur sein, il y a d’autres compétences.
Pourquoi avoir participé à la rencontre sur le mal-être organisée par la MSA à Troyes ?
Mon devoir en tant que responsable de cette équipe de psychologues est de leur permettre de disposer de toute cette connaissance fine qui va les rapprocher le plus possible des problématiques que les personnes vont leur exposer. Pour Agri’Écoute, c’est vraiment très précieux que de pouvoir, en continu, s’acculturer aux réalités du monde agricole, même si on ne l’est jamais assez. La MSA joue un rôle de caisse de résonance capable de capter ce que sont ces situations et, de fait, proposer des pistes de solutions et rassembler les divers partenaires compétents.