C’est le fruit d’un travail hors norme qui a donné le jour à une formation unique en son genre : @agripilote. Un accouchement de plus d’un an qui a réuni tant de monde et d’expertises pour offrir aux jeunes pousses de l’agriculture le nec plus ultra en termes d’apprentissage. Toutes les familles éducatives de la région, réunissant le conseil national de l’enseignement agricole privé (Cneap), l’union nationale rurale d’éducation promotion (Unrep), les maisons familiales rurales (MFR) et les lycées publics et privés (avec notamment les établissements La Touche de Ploërmel, Kerlebost de Saint-Thuriau et Le Gros Chêne de Pontivy) ont contribué à l’élaboration du projet, mis en musique par Sandrine de Sadeleer, responsable ­cellule ingénierie formation aux chambres d’agriculture de ­Bretagne. Un partenariat fécond qui a abouti au lancement officiel de cette formation le 15 octobre 2018, au centre de Kérel, à Crédin, dans le Morbihan.

« Il n’y avait rien. Nous avons tout construit. Nous avons bâti le référentiel, tous les contenus », se souvient ­Sandrine de Sadeleer, satisfaite et impressionnée du chemin parcouru, en cette veille de rentrée de la 3e promo, le 2 novembre prochain. @agripilote est dispensée cette année dans le lycée Kerlebost [cf. Interview de son directeur Alain Le Gall].
Encore en expérimentation, elle est ouverte aux titulaires d’un certificat de spécialisation (CS) en production ou aux candidats à la validation des acquis de l’expérience.

Le 18 septembre dernier, des portes ouvertes ont renseigné les étudiants désireux de s’y inscrire. Ils sont 8 pour le moment à s’engager pour cette session. Titulaires d’un CS, ils vont bénéficier d’un parcours aménagé qui compte 14 semaines en centre et 13 semaines en entreprise. Les inscriptions ne sont pas encore terminées.

Courant février-mars, une nouvelle étape sera franchie avec le dépôt de demande de certification auprès de France compétences. Avec l’espoir au bout d’une requalification de la formation en diplôme de niveau BTS, de quoi ouvrir « les champs des possibles », s’enthousiasme la responsable. « Cela nous donnera la possibilité de recruter un public beaucoup plus large. On pourra intégrer des bac agricoles, des BTS déçus de leur première année. On va pouvoir la proposer pour l’apprentissage. »


Une formation originale

Avant de commencer le long chantier d’@gripilote, il a fallu vérifier que l’offre de formation ne soit pas proposée ailleurs en Bretagne. « On ne voulait pas qu’il y ait télescopage avec des enseignements existants, explique Sandrine de Sadeleer, ni que cela empiète sur un BTS ou un diplôme équivalent. » Derrière la précaution, il y a aussi la volonté de répondre à la problématique rencontrée sur le terrain : les agriculteurs peinent à trouver la perle rare capable de les épauler dans la gestion de l’entreprise. Une difficulté due à l’évolution du monde agricole traversé par de multiples chamboulements comme l’essor du salariat dans les exploitations ou la révolution numérique. Méthodes, outils, organisation ont changé et appellent de nouvelles aptitudes, connaissances voire pratiques. Le souci des recruteurs est de trouver les talents rodés à ces changements. Ils cherchent des collaborateurs ­opérationnels, sur qui s’appuyer sur le plan des ressources humaines comme sur le plan technique. L’ambition d’@gripilote est de former les professionnels à ces nouvelles compétences.

Conduite et supervision technique, pilotage technico-économique, coordination de l’équipe, gestion stratégique de l’atelier de production ou de l’entreprise agricole… Par les différents modules qu’elle propose, @gripilote entend répondre aux attentes exprimées par les agriculteurs. Pierre Decherf, enseignant et agriculteur, en suit la mise en œuvre et l’organisation au sein du lycée Kerlebost. Il en rappelle le socle : « Elle repose sur la connaissance approfondie du monde de l’entreprise, donc des exploitations agricoles. Les jeunes viennent chez nous pour se professionnaliser et être complètement adaptables et adaptés au besoin de l’entreprise dès la sortie du cursus. Le maître-mot ­d’@gripilote est un axe professionnalisant hyper pointu. »

Autre axe majeur : l’acquisition de l’agilité numérique. Elle passe par l’initiation aux outils bureautiques, ­l’utilisation d’Internet à des fins professionnelles et la maîtrise des logiciels connectés. « Le numérique a énormément évolué ces dernières années, rappelle Pierre Decherf. Nous sommes envahis d’outils d’aide à la décision dans tous les aspects de la production. L’idée est de montrer aux élèves que ceux-ci sont utiles parce qu’ils apportent des gains de temps substantiels et permettent des économies par exemple dans les charges liées aux intrants. Mais il faut apprendre à en faire le tri et en avoir une bonne utilisation. Cela fait partie des savoirs que nous apportons. »

Signe qui ne trompe pas, les stagiaires passés jusqu’à présent par cet enseignement sont tous en poste. « Ils n’ont eu aucune difficulté. Le patron avait un besoin et cela a matché entre eux. Ceux qui ne sont pas restés ont assez rapidement trouvé un emploi », précise Alain Le Gall. Le retour est également positif chez les exploitants qui ont accueilli des lycéens. Ils en redemandent. Cela vaut toutes les reconnaissances du monde.

La primauté du terrain

Enfin, cerise sur le gâteau, @gripilote prépare le terrain pour tous ceux qui espèrent un jour se lancer à leur compte. « Demain, lorsqu’ils seront chef d’entreprise, ils auront un canevas », assure Pierre Decherf qui cite le retour d’un étudiant satisfait sur ce point : « J’ai appris des choses incroyables sur le fonctionnement administratif d’une entreprise. Ce volet-là ne m’intéressait pas plus que ça. J’étais trop concentré sur la technique. Demain si je m’installe, mon parcours d’installation va être beaucoup plus simple grâce à ces connaissances. »

Pas étonnant de la part d’une formation née du terrain et faite pour y retourner. Ce lien ombilical avec le monde réel est inscrit dans son ADN. « Chaque année, nous effectuons un bilan. Nous essayons de nous caler aux nouvelles attentes des entreprises. Nous retravaillons nos programmes. Il y a des parties que nous abandonnons. Et à l’inverse, depuis l’année dernière, les volets agro-­écologique et environnemental sont plus marqués. Nous essayons d’intégrer des notions qui collent aux besoins et à la réalité du terrain. La réforme se fait à chaque fin de session. » Une capacité à se réinventer d’année en année qui représente selon l’enseignant : « la clé de la réussite. Nous devons former de bons professionnels. Bien sûr, ce sont des têtes bien faites mais ce sont aussi des jeunes qui sont dans la réalisation. C’est je fais pour apprendre. C’était d’ailleurs le credo de Kérel. Et après je deviens par la force des choses un bon professionnel. Je suis convaincu qu’@gripilote va former aussi nos futurs responsables professionnels agricoles à l’avenir. Et cela va avoir du sens dans la mesure où ils vont acquérir cette hauteur de vue. Ils auront la compétence de comprendre le monde qui les entoure et ils sauront évoluer. » N’en doutez pas, les ­paysans du futur arrivent.

@gripilote, mode d’emploi

Sous réserve que l’enregistrement de cette formation au répertoire national des certifications professionnelles soit validé, @gripilote accueillera les détenteurs d’un bac. Elle est construite sur 18 mois : 12 mois correspondant à un CS production et 6 mois centrés sur des modules pluridisciplinaires, coordination d’équipe, gestion stratégique de l’entreprise, analyse des données collectées… Les modules de la formation sont d’ores et déjà accessibles à la carte. La première promotion comptait 7 stagiaires : 3 en production laitière et 4 en porcs. En 2019, ils sont 17 : 12 en lait et 5 en porcs. Les recrutements pour 2020-2021 sont en cours.

Renseignements sur www.lyceekerlebost.fr ou par téléphone au 02 97 28 99 66.


3 questions à…

Alain Le Gall, directeur du lycée Kerlebost, à Saint-Thuriau

Kerlebost accueille la 3e année de la formation @gripilote d’atelier ou d’entreprise, initiée en 2018 par la chambre d’agriculture de Bretagne. Elle a été élaborée à partir du recensement des besoins des professionnels agricoles de la région. S’agit-il d’un partenariat ? 

La formation @gripilote a été mise en place par la chambre régionale d’agriculture de Bretagne et l’Union nationale rurale ­d’éducation et promotion (UNREP). Démarrée il y a trois ans, elle apporte toutes les compétences requises pour exercer la ­fonction de responsable d’atelier ou celle de chef d’exploitation agricole. L’année 2020-2021 est celle de la demande de la certification. Sandrine De ­Sadeleer, responsable cellule ingénierie ­formation aux chambres d’agriculture de Bretagne, va nous accompagner sur celle-ci. Nous sommes opérateurs, avec un cahier des charges et un programme. Nous nous chargeons de recruter les personnes et d’assurer le parcours de stagiaire jusqu’à la fin, en partenariat bien sûr.

 « Nous n’avons pas tout rédigé ensemble mais nous avons travaillé énormément les modules pour savoir ce qu’il fallait dire et faire. C’est la première fois dans ma carrière que j’ai travaillé ainsi. C’était extrêmement productif et riche. »

En quoi cette formation est-elle innovante ?

Dans sa conception même. Cela fait des années que je suis dans l’enseignement, jamais je n’ai vu ni contribué à une telle conception collaborative. C’est parti de la chambre d’agriculture de Bretagne qui a travaillé avec les professionnels : ce n’est pas un slogan, c’est réel ! Ils ont fait remonter les besoins en compétences, les observations de leurs salariés. Derrière, Sandrine De Sadeleer a pris la main, a fait venir les centres de formation du Morbihan dans l’agriculture, dont le lycée La Touche de ­Ploërmel, le lycée Kerlebost de Saint-Thuriau et le lycée Le Gros Chêne de Pontivy, publics et privés, pour demander à ce que nous soyons tous présents dans la salle à l’écriture des modules. Des spécialistes de la chambre étaient là aussi. Nous n’avons pas tout rédigé ensemble mais nous avons travaillé énormément les modules pour savoir ce qu’il fallait dire et faire. C’est la première fois dans ma carrière que j’ai travaillé comme ça. J’ai trouvé ça ­extrêmement productif et riche. J’ai appris beaucoup en côtoyant les autres. Moi aussi, j’ai apporté ma petite pierre à l’édifice. Et c’est très agréable. Cela nous a pris un an. 

Comment se présente ce titre ? 

Il y a deux niveaux. Sur un plan scolaire et académique, nous permet­tons à des jeunes qui ne sont pas forcément scolaires à la base de monter à un niveau V, donc l’équivalent d’un brevet de technicien supérieur (BTS). C’est important pour eux, pour leur futur. Sur le volet professionnel, c’est un échelon très opérationnel.
Dans l’enseignement agricole, il y a les BTS. Mais ces cursus sont beaucoup plus conceptuels et requièrent une adaptation pour entrer sur le marché du travail. Or les personnes qui sortent de l’@gripilote sont opérationnelles tout de suite. C’est un point impor­tant par rapport à la profession qui exprime une attente très forte. Elles peuvent endosser le rôle d’un second d’exploitation ou de bras droit du chef d’exploitation de très haut niveau.
Nous savons former des chefs d’exploitation et nous savons qu’on demande de plus en plus qua­siment un niveau d’ingénieur tant l’exploitation est aujourd’hui assimilable à une entreprise. Les agriculteurs ont besoin d’un bras droit très opérationnel mais aussi très terrain. @gripilote permet de diplômer ces gens-là et de les former tout court.

Photo : © Franck Beloncle/CCMSA Image