En tant que native et élue du Doubs, un département où la forêt occupe une place centrale dans le paysage et l’économie, en quoi cet ancrage influence-t-il votre vision et vos priorités ?
Annie Genevard : Je tenais beaucoup à ce que la forêt fasse partie de mes attributions au ministère de l’Agriculture. Dans mon département, le Doubs, la forêt est extrêmement présente. Elle est à la fois notre identité et une de nos richesses que nous tenons à préserver.
Quelle est votre vision de l’avenir des forêts françaises, à la fois en termes de protection de la biodiversité et d’exploitation économique ?
La diversité des forêts françaises est un véritable atout pour notre pays. Il est important de la préserver comme de promouvoir leur multifonctionnalité. La forêt est certes un réservoir de biodiversité, preuve de notre gestion vertueuse, mais elle est aussi le principal puits de carbone de notre pays. Les produits du bois sont des matériaux écologiques de substitution à d’autres produits polluants.
Elle est enfin un espace de nature apprécié de nos concitoyens qu’ils soient promeneurs ou chasseurs. Notre forêt doit s’inscrire dans une vision durable autour de trois piliers forts : économique, social et environnemental.
Le renouvellement des peuplements forestiers, essentiel à la résilience des forêts, est au cœur des préoccupations. Comment améliorer le suivi et le soutien de cette régénération, surtout face aux pressions climatiques croissantes ?
Les forêts françaises traversent une véritable tempête silencieuse. Le réchauffement climatique exerce déjà une pression terrible sur les massifs forestiers. Les sécheresses, mais aussi les excès d’eau et les tempêtes affaiblissent les arbres. Ils dépérissent et deviennent vulnérables face aux attaques parasitaires et au risque incendie. Il est donc urgent de nous adapter aux évolutions du climat.
Cela signifie renouveler au moins 10 % de nos forêts d’ici 10 ans. Un fonds pérenne d’aide au renouvellement forestier a été mis en place dans le cadre de France Nation Verte. Le guichet a ouvert le 5 novembre. Très attendu par la filière, il a vocation à prendre le relai de France Relance (46 600 hectares plantés et 203 M€ d’investissement), et de France 2030 en cours de déploiement.
En forêt publique, des expérimentations sont menées sur des « îlots d’avenir » par l’Office national des forêts (ONF) qui fait un travail formidable.
Quels sont vos objectifs pour soutenir la filière bois et réduire la dépendance aux importations ?
La désindustrialisation a durement frappé la filière. Nos arbres sont envoyés à l’étranger pour revenir transformés sur le marché français. Cette situation est aussi absurde qu’inacceptable, tant sur le plan économique qu’écologique. Nous devons valoriser le bois en France afin de créer des emplois et de la valeur ajoutée, tout en évitant des transports énergivores et émetteurs de gaz à effet de serre.
L’appel à projets « Industrialisation performante des produits du bois » (IPPB) lancé dans le cadre de la planification écologique, et doté de 150 M€, a été un véritable succès en 2024. Ce dispositif d’aide aux entreprises sera maintenu en 2025.
Quels sont les principaux objectifs du ministère pour favoriser un boisement équilibré et répondre aux besoins spécifiques de chaque région, notamment celles où la forêt est rare ?
La progression des forêts françaises se fait au détriment des terres agricoles. Cette croissance subie nuit au renouvellement des générations en agriculture et de notre souveraineté alimentaire. Nous devons donc à la fois favoriser la reprise des exploitations agricoles et enrichir les accrus forestiers1 existants pour optimiser le stockage carbone et s’assurer que les essences seront adaptées au futur climat.
Les métiers liés à l’exploitation et à la gestion des forêts sont reconnus pour leur dangerosité. Comment peut-on améliorer les conditions de travail, réduire les risques d’accidents et mieux protéger les professionnels ?
Les accidents restent trop nombreux. Je rappelle que les règles d’hygiène et de sécurité ont été précisées et renforcées en 2016. Il reste cependant des progrès à faire. Un décret imposera bientôt une qualification minimale aux nouveaux bûcherons. Le manque de formation est souvent un des facteurs décisifs des accidents.
Par ailleurs, la fragilisation des forêts n’est pas sans conséquence pour la sécurité des travailleurs forestiers. Nous devons prendre en compte un risque grandissant de chutes d’arbres ou de branches. Notre vision doit être prospective. Il faut également que les machines et les équipements de protection individuels mis sur le marché soient en conformité avec les règles de sécurité applicables. Il faut aussi favoriser l’émergence et la diffusion de nouvelles technologies qui permettent de réduire les risques.
Enfin, il me semble important de souligner que l’amélioration des conditions de travail est indispensable à l’attractivité de la filière auprès des jeunes.
Quelles initiatives le ministère envisage-t-il justement pour encourager le renouvellement des générations et rendre ces métiers, indispensables à la gestion durable des forêts, plus attractifs ?
Plus ces métiers et leurs débouchés seront connus, plus ils deviendront attractifs pour les jeunes car ils répondent à beaucoup de leurs aspirations. Mon ministère s’y emploie avec notamment la campagne de communication « l’aventure du vivant » destinée aux jeunes, aux familles et au grand public. Nous sommes également très présents, en lien avec les professionnels, sur les salons d’orientation et des métiers.
Le Pacte et loi d’orientation et d’avenir agricoles bientôt examiné au Sénat prévoit la création d’un programme national d’orientation et de découverte des métiers. Destiné aux élèves du primaire au lycée, il les sensibilisera à la diversité de ces métiers du vivant par des actions de découverte ou des stages.
La forêt représente un lieu de détente et de loisirs pour beaucoup de citoyens. Comment le ministère équilibre-t-il cet accès public tout en veillant à protéger les milieux forestiers sensibles ?
En France, 75 % de la forêt est privée et son accès soumis à autorisation du propriétaire, sauf s’il existe une servitude de passage. Les propriétaires préfèrent clôturer leur terrain car leur responsabilité peut être engagée en cas d’accident.
Le code forestier prévoit de rechercher le plus largement possible l’ouverture au public dans les bois et forêts publiques, en particulier les domaniales. Cela implique des mesures, d’une part, de protection des bois et forêts et des milieux naturels, notamment pour garantir la conservation des sites les plus fragiles et, d’autre part, des mesures nécessaires à la sécurité du public accueilli. L’ONF est le garant de ces dispositions. Il assure la surveillance des bois et forêts publiques qu’elles soient domaniales ou communales.
(1) Espace intermédiaire entre les friches issues de l’abandon de terres cultivées et la forêt proprement dite