De plaine, de montagne ou de littoral, abritant 190 espèces d’arbres regroupées en 70 essences… la forêt française est diverse et regorge d’une grande biodiversité. Une richesse écologique, économique et sociale qui repose sur un écosystème fragile, où tout est lié.
Depuis 2015, sous l’effet de plusieurs stress climatiques et d’agressions biotiques1, cet équilibre est menacé. À la suite des sécheresses répétées, les arbres deviennent moins résistants aux bioagresseurs, comme les champignons, insectes ou bactéries souvent importés de l’étranger. Ces agressions favorisent les crises sanitaires, particulièrement dans le Nord-Est, où les taux d’arbres altérés sont les plus élevés.
Les sapins et les hêtres rougissent, les épicéas sont attaqués par des scolytes ravageurs, les châtaigniers atteints par la maladie de l’encre et le chancre, les frênes par la chalarose… Même le chêne, pourtant moins sensible aux variations, est concerné. La mortalité a ainsi doublé en une décennie. Conséquence directe de ce dépérissement : malgré sa progression, la forêt joue moins son rôle de puits de carbone. 39 millions de tonnes de CO2 ont été absorbées par an en moyenne par la forêt hexagonale entre 2014 et 2022, contre 63 millions entre 2005 et 2013. Sa capacité de séquestration du CO2 a ainsi été divisée par deux en 10 ans.
Diversifier les ressources génétiques
Les équipes du département santé des forêts du ministère de l’Agriculture et les forestiers de l’ONF sont mobilisés pour surveiller son état de santé et prélever au plus vite les arbres malades. Depuis des années, de nombreuses actions sont lancées pour adapter la forêt à ces bouleversements, telles que le renouvellement des essences, via notamment des travaux de recherche menés en collaboration avec des partenaires comme l’Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement.
« Nous avons la chance de bénéficier d’une grande diversité d’essences, dont certaines espèces méridionales pouvant être replantées plus au nord pour mieux s’adapter au climat, explique Régine Touffait, secrétaire générale de la direction forêts et risques naturels de l’ONF. Nous menons par ailleurs un travail à l’international auprès de collègues forestiers afin d’étudier la possibilité d’introduire de nouvelles essences sur notre territoire. »
Pépinières expérimentales
C’est le but des pépinières expérimentales et des îlots d’avenir de l’ONF. À la pépinière de Guémené-Penfao, en Loire-Atlantique, une expérience de migration assistée a été initiée en 2011. Des graines sélectionnées dans le sud de la France y germent et subissent différents tests avant de partir en forêt de Verdun. Principales cibles : le hêtre et le chêne sessile, menacés par le changement climatique mais adaptables au climat meusien. En 2015, plus de 7 000 spécimens y ont été plantés, dont l’évolution est suivie de près.
Ces parcelles d’expérimentation en pleine forêt, appelées « îlots d’avenir », sont rattachées au projet de recherche RENEssences (Réseau national d’évaluation de nouvelles essences). On en dénombre aujourd’hui 525, représentant 922 hectares. La forêt domaniale de Haye, en Meurthe-et-Moselle, fait partie des premiers espaces-tests. Pour remplacer le hêtre et le chêne pédonculé, sensibles à la hausse des températures, trois essences ont été sélectionnées : le chêne pubescent, le sapin de Turquie et le cèdre blanc de Californie. Aujourd’hui, en Alsace, il est possible de croiser des espèces telles que le cèdre du Liban ou le sapin de Bornmüller turc, particulièrement adaptées pour résister au stress hydrique.
Forêts mosaïques
Pour anticiper l’avenir, l’ONF adapte également ses pratiques de sylviculture. L’heure est à l’accélération de la diversification avec le concept de forêt mosaïque, où se côtoient différents peuplements et méthodes de gestion. Essences multiples, futaies régulières et irrégulières, zones de libre évolution, vieux bois, réserves biologiques… une quinzaine d’espèces peuvent ainsi prospérer au sein d’une même forêt. La densité des peuplements est ajustée pour réduire le stress hydrique.
« En complément, nous élaborons des guides techniques sylvicoles, ajoute Régine Touffait. De même, jusqu’à présent, nos documents de gestion durable des aménagements forestiers étaient établis pour 20 ans. Face à l’évolution rapide, nous réfléchissons aujourd’hui à un nouveau concept de plan de gestion durable plus souple, qui permettra au technicien de terrain d’adapter ses décisions. »
Drones et télédétection
Pour mener à bien ces projets, l’Office s’appuie sur plusieurs outils d’aide à la décision. Le site ClimEssences, qui répertorie 140 fiches espèces, permet de réaliser des simulation et modélisations dans le temps afin de tester la compatibilité des essence et d’établir des scenarios climatiques futures. « On peut par exemple visualiser l’évolution de la répartition d’une essence en France évolue en 2070. »
Atouts précieux pour les forestiers, les technologies de télédétection telles que les drones ou les satellites, aident notamment à la cartographie et la surveillance des massifs en temps réel. Elles sont devenues indispensables pour améliorer l’efficacité des équipes de terrain, vérifier la sensibilité des sols, détecter tout changement de couleur ou chutes brutales de feuilles afin d’agir au plus vite contre les maladies. Le Lidar, ou Laser imaging detection and ranging, un scanner embarqué dans un avion, permet d’obtenir des données en 3D avec une description très précise du sol et de la végétation.
Parallèlement, les équipes de l’ONF veillent à la préservation de la biodiversité via un réseau de 260 forestiers naturalistes qui réalisent des inventaires et des actions tels que la mise en place d’arbres-habitats pour la faune ou encore de trames de vieux bois au sol.
Multiplication des risques
Parmi les conséquences du réchauffement, le risque incendie est prégnant. « Avec la sécheresse, les végétations au sol deviennent plus combustibles, les arbres sont plus sensibles et favorisent la propagation du feu, rappelle Régine Touffait. Après les grands incendies de 2022, un constat s’est imposé : le risque s’étend vers le nord. L’État a alors renforcé sa politique de prévention et nous a accordé des moyens supplémentaires. »
L’ONF, dont toutes les directions territoriales sont désormais pourvues d’équipes dédiées à la défense contre les incendies, met en place plusieurs mesures : pistes pour faciliter l’accès des secours, citernes d’eau installées dans les massifs forestiers, gestion de la végétation ou encore pare feux sous forme de coupures dans la végétation.
Moins connu, l’équilibre avec les animaux sauvages est également touché. « C’est un enjeu majeur pour nous, assure l’ingénieure forestière. Plus de 50 % des surfaces de nos forêts domaniales sont en déséquilibre face à l’augmentation des grands ongulés, particulièrement des chevreuils, cerfs et sangliers, dont le nombre a été multiplié par six en 30 ans pour ces derniers. Cette surpopulation gêne le renouvellement de la forêt et sa diversité, s’attaquant aux jeunes pousses et laissant les espèces les moins appétissantes. »
L’ONF signe un protocole d’accord avec la fédération nationale des chasseurs pour tenter de la réguler. Certaines parcelles de renouvellement sont clôturées, « mais cela pose des problèmes de circulation des animaux, de paysage, et multiplie le coût des plantations. Ce n’est pas une solution pérenne. »
Renforcer le dialogue avec le public
Au-delà de sa fonction climatique, l’apport sociétal de la forêt est crucial. « Nos forêts sont ouvertes, chacun peut s’y ressourcer et on souhaite que cela continue. Mais elles ne sont pas immuables, et avec le dépérissement de certaines zones les paysages changent. Nous devons renforcer le dialogue entre les forestiers et la société. Nous collaborons étroitement avec les collectivités locales et les habitants, notamment via le label Forêt d’exception, lancé en 2007.
Et j’encourage vivement les visiteurs à aller échanger avec les forestiers et à participer à toutes les opérations ouvertes au public comme “Tous en forêt”. C’est important de montrer et d’expliquer notre travail. Nos forêts sont en train de changer de visage, il faut s’y préparer. »
(1) Désigne une atteinte portée à un organisme vivant, comme un arbre ou une plante, par un autre organisme vivant.
L’Office national des forêts
La forêt publique gérée par l’ONF représente un quart des forêts de l’Hexagone. Elle se répartit entre les forêts domaniales(1,55 million d’hectares) et les autres forêts publiques (2,8 millions d’hectares), essentiellement communales ; à cela s’ajoutent 6,4 millions d’hectares en Outre-mer. Le code forestier vise à cadrer la gestion et assurer la conservation de l’ensemble de ce patrimoine.
Au-delà de la gestion, l’ONF assure des missions d’intérêt général telles que la prévention des risques naturels (montagne, submersion marine, incendies) et l’accueil du public. Elle effectue également des travaux forestiers et commercialise près de 35 % des volumes de bois du marché français. Ses 8 200 professionnels veillent au quotidien à l’entretien et au renouvellement de cette ressource indispensable.
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