Si la mer a des reflets d’argent, certaines huîtres Marennes-Oléron peuvent, elles, avoir une nuance émeraude unique. Dans leurs claires d’affinage, au sud de la Charente-Maritime, se forme la navicule bleue, une algue microscopique qui donne aux plus chanceuses cette teinte bleu-vert particulière. Uniques aussi car ce sont les seules huîtres françaises bénéficiant d’une indication géographique protégée pour l’une de leur star : la fine de claire verte. Dans ce bassin mais aussi dans tous les autres du département, les mollusques bivalves suscitent beaucoup d’attention pendant les trois ans et demi à quatre ans que dure leur production.
Et afin qu’elles parviennent jusqu’à nos assiettes pour les fêtes, une armée de bras se déploie dans les marais en novembre, alors que la saison de la récolte démarre. Il n’en faut pas moins dans ce métier où le corps est soumis à rude épreuve. « Les casiers que l’on porte pèsent entre 13 et 22 kg. Quand on est à la trémie [étape où les huîtres sont déposées pour aller au lavage], on peut faire 200 ou 300 casiers par jour chacun… J’ai régulièrement mal au dos », confie Bernard Moreau, salarié ostréicole à La Tremblade.
Troubles musculosquelettiques
« Il y a beaucoup de postures contraignantes, des gestes répétitifs, sans parler du travail en milieu salin, humide, de la météo… ils accumulent pas mal de choses !, confirme Gérald Fouga, conseiller en prévention à la MSA des Charentes, où sont affiliés les salariés qui ne sortent pas en mer. J’en vois beaucoup qui ont des problèmes d’épaules, de coudes, de canal carpien ou de dos liés aux ports de charges et aux positions debout statiques. Ce qui entraîne des inaptitudes dès 45 ans. S’ils ne font pas attention à eux, ils ne finissent pas leur carrière dans cette profession. »
Dans les clairs, l’ostréiculteur retourne lui-même un à un les paniers à la seule force des bras. Relire notre article sur le Roll’Oyster.
C’est pour cette raison que le service de santé-sécurité au travail de la MSA, de concert avec l’Établissement national des invalides de la marine (Enim), le régime social des marins et des exploitants en conchyliculture, s’attaque au problème. « C’est un secteur accidentogène, comprenant beaucoup de troubles musculosquelettiques (TMS), et pourtant, nombre d’accidents et maladies ne sont pas déclarés par manque de connaissances, déplore le conseiller, en charge de la filière. Ce n’est pas un milieu qui a une culture de prévention développée. Il y a tout à faire. »
Il y a un déficit de main-d’œuvre très important dans la filière conchylicole, comme dans tout secteur saisonnier. Beaucoup de cabanes ostréicoles arrêtent car elles n’ont pas trouvé de salariés pour la saison.
L’année dernière, alors que leurs huîtres étaient prêtes, certains exploitants n’avaient personne pour les ramasser dans les parcs. Ils ne les ont donc pas vendues. Après s’être échinés toute l’année pour ça, c’est triste. Pas une semaine ne passe sans qu’on ne me parle des difficultés de recrutement.
Il y a une réflexion à engager sur comment attirer les jeunes, rendre ce métier passionnant plus attractif, fidéliser les salariés. Et la fidélisation, ça passe aussi par l’amélioration des conditions de travail. Il y avait un deuxième enjeu pour moi dans l’organisation d’une journée de prévention : renforcer mon réseau et développer les partenariats. Sans ça, c’est plus difficile d’entrer dans les entreprises et d’entamer des relations de confiance… d’autant plus que notre service prévention est encore méconnu. Ensemble, avec tous les partenaires, nous ferons avancer la filière.
Gérald Fouga
Sensibiliser dès le plus jeune âge
Et pour initier cette culture, quoi de mieux que de se tourner vers la future génération ? Ni une, ni deux, Gérald Fouga et le comité régional de la conchyliculture (CRC) organisent le 20 septembre, pour la première fois, une grande journée dédiée à la prévention avec le lycée de la mer et du littoral de Bourcefranc-le-Chapus, l’un des principaux ports ostréicoles de France. Cet établissement de l’enseignement public général et technologique, créé en 1989, encadre plus de 450 élèves chaque année, dispose d’une section de formation professionnelle pour adultes ainsi que d’une exploitation ostréicole, lieu d’expérimentation pour la profession et l’Institut français de recherche pour l’exploitation de la mer (Ifremer).
Ce jour-là, jeunes, professionnels et préventeurs se sont retrouvés avec de nombreux partenaires pour parler santé au travail. « L’idée est de toucher les futurs ostréiculteurs en espérant qu’ils appliquent les conseils plus tard, et que pendant leurs études, ils transmettent aussi le message à leur maître de stage voire à leurs parents, car il y a aussi pas mal d’enfants d’exploitants. »
Quiz sur les TMS et les addictions, gestes de premiers secours, équipement de protection des travailleurs isolés avec Présence Verte, vêtements chauffants et bottes coquées de PB Sécurité, préparation physique avec Lauriane Lamperim, kinésithérapeute, tests des exosquelettes d’HBR Innovation, démonstrations des sauveteurs en mer avec la Société nationale de sauvetage en mer (SNSM) de La Tremblade, de vêtement de flottabilité intégrée avec l’Institut maritime de prévention, sécurité routière avec la gendarmerie et crash test en direct avec Drag Auto… sans oublier une conférence sur les accidents vasculaires cérébraux (AVC) avec le centre hospitalier de La Rochelle, les élèves en ont eu pour tous les goûts !
« Ça nous a permis d’en apprendre plus sur des choses qu’on n’a pas l’habitude de voir, comme avec les sauveteurs en mer ou les exosquelettes, témoigne Louis, 16 ans, élève en 1e aquaculture. La sécurité au travail, les gestes de premiers secours, les AVC… Ça sert pour toute la vie. »
Outre la prévention des TMS, la MSA intervient sur l’utilisation des outils de travail en sécurité. Après cette journée, elle a organisé quatre sessions de formation de conduite de chariot élévateur et télescopique fin octobre, au lycée, pour les salariés de l’une des entreprises présentes. Les autorisations de conduite validées via le médecin et une formation en interne donnée par l’employeur sont en effet souvent insuffisantes. Si elles ne remplacent pas le certificat d’aptitude à la conduite en sécurité (Caces), les formation de la MSA ont l’avantage d’être complètes et d’assurer une meilleure prévention.
Le bilan est donc positif sur tous les plans pour cette rencontre, qui fait entrer un peu plus la prévention dans les réflexions et les organisations. Un travail collectif sur le long terme qui participe également à l’attractivité du métier.
Le lycée peut être là pour accompagner la profession à travers les jeunes qu’on forme.
Depuis deux ans, nous nous sommes attelés avec les élèves à la rédaction du document unique d’évaluation des risques professionnels. Le but est qu’il soit abordable pour eux, il ne faut pas vouloir être exhaustif tout de suite sinon on les noie et on les effraie. En début d’année scolaire, toutes les classes font le tour des machines, des tâches et listent les dangers. Ils en découvrent parfois auxquels même nous ou les inspecteurs du travail n’aurions pas pensé. L’idée est de conscientiser le risque, et ça marche.
Ce sont les mains qui sont les plus touchées. C’est pour cela qu’on porte des gants spécifiques contre le perçage. Les huîtres sont souvent abrasives et on ne s’en rend pas forcément compte tout de suite en les manipulant, mais ça peut aller jusqu’au sang. Les pieds sont également exposés. Les chaussures de sécurité sont obligatoires et il faut également qu’elles soient étanches voire chaudes et respirantes. Nous avons aussi besoin de semelles antiperforation, car les anciennes installations ostréicoles s’émoussent avec la corrosion et forment des pics pointus très peu visibles dans le sable ou la vase. Chaque année, beaucoup se retrouvent aux urgences à cause de ça.
Arnaud Lefèvre et Laurent Chaboussie, respectivement responsable et salarié de l’exploitation ostréicole du lycée de la mer et du littoral.