Grâce au miroir placé judicieusement en face de la fenêtre du salon de coiffure installé au cœur de sa ferme, Dominique peut, entre deux coups de peigne, jeter un œil discret à ses vaches.

Avoir réuni en un seul lieu ses deux activités professionnelles, la coiffure et l’élevage bovin, est la bonne idée de cette Ardennaise à l’énergie communicative. Une originalité à l’échelle de tout le pays dont elle s’enorgueillit et un vrai plus pour les habitants du secteur qui vivent dans un environnement déserté par les magasins. À Vendresse, village de 477 habitants, l’activité commerciale se résume à un dépôt de pain et au salon de Dominique Rihoux-Sellier.

Comme à la maison

Mercredi 18 janvier, il est aux environs de 10 heures lorsqu’elle met la dernière touche à la coiffure de Myriam, cliente depuis dix ans, devenue au fil des années une amie. Elle a pris rendez-vous quelques jours avant pour son CCB (coupe, couleur, brushing) mensuel. La sexagénaire, qui a repris une activité d’agent immobilier depuis sa retraite, se doit d’être toujours impeccable. Elle habite Villers-le-Tilleul, la commune d’à côté. « Je n’aime pas les salons en ville. Je ne suis pas fan de ce qui s‘y dit. Je suis issue du milieu agricole alors je me sens particulièrement bien ici. C’est un peu comme à la maison. Dominique est à l’écoute et accessible. Elle sait mettre les gens à l’aise. »

La patronne regarde la concurrence avec sérénité, mais surtout de loin. Le premier bac à shampoing se trouve à 15 km, à Poix-Terron, à Le Chesne ou dans la galerie marchande de l’hypermarché situé à l’entrée de Charleville-Mézières, la grande ville la plus proche. Aucun n’est installé comme le sien dans une ferme en fonctionnement, avec de vraies vaches, des parthenaises et des charolaises, qui meuglent pour accueillir les clients. Son troupeau s’est agrandi le matin-même avec une naissance, sous le regard attendri de la propriétaire des lieux qui fait sonner son réveil toutes les nuits à 2h30 pour surveiller les vêlages, à un moment où le reste du pays est profondément endormi.

Un salon tendance

Hormis la localisation, rien ne différencie le salon de Dominique d’un commerce de ville. Installé dans l’ancien fournil de la ferme, rénové avec goût, il arbore une décoration sobre et élégante digne d’un coiffeur haut de gamme. Un grand écart parfaitement assumé avec l’étable située juste en face, où la paille règne en maître et où les naseaux fumant des animaux rappellent la vocation première du lieu.

Dominique Sellier-Rihoux coiffeuse eleveuse Ardennes Alain Lantreibecq


Dominique est agricultrice à 60 %, coiffeuse à 40 % et ardennaise à 100 %. Elle est née il y a 64 ans à quelques mètres de son salon, dans l’une des pièces de la bâtisse principale de la ferme.

Le maquillage impeccable, les ongles manucurés, les Doc Martens et le pantalon en cuir annoncent la couleur.

Le client ne débarque pas dans le salon de mamie mais dans un endroit bien de son époque. « Pour rester au goût du jour, je m’intéresse à tout, je lis, je sors beaucoup, j’observe les nouvelles tendances dans la rue et sur les réseaux sociaux », confie la coiffeuse aux yeux bleus rieurs.

Le mercredi, le vendredi et le samedi au salon et le reste du temps auprès des bêtes, sa vie professionnelle est bien remplie. Elle ne reçoit que sur rendez-vous, et son agenda est plein toute l’année. « Privilège de l’âge, j’ai cette liberté de travailler lorsque j’en ai envie », souligne-t-elle. À l’extérieur point d’enseigne, elle n’en a pas besoin. Son numéro de téléphone circule par le bouche-à-oreille. Elle consacre le reste de son temps au golf, sa passion, et à Margaux sa petite-fille, son grand bonheur, bientôt rejointe par un petit frère.

Un retour aux racines

Dominique a tenu son propre salon en ville de 1985 à 2004 dans une commune voisine. Elle employait alors deux salariés. Aujourd’hui, son unique employé lui donne un coup de main à la ferme.

« Il est impossible pour moi de dire lequel de mes deux métiers me plaît le plus. J’ai choisi la coiffure. Ce n’est pas le cas de l’agriculture. Jeune, lorsque je suis partie de la maison pour m’installer à Nice avec mon mari, je n’aurais jamais pensé revenir ici pour reprendre la ferme de mes parents quelques années plus tard. Ce sont les hasards de la vie qui m’ont ramenée à l’endroit où je suis née, mais aussi un divorce. La rencontre avec mon second époux, agriculteur, m’a conduite à reprendre la suite de mes parents. Je ne regrette rien. Je suis très attachée à cet endroit. J’y ai mes racines. » Dominique a d’abord été conjointe collaboratrice avant de devenir exploitante en 2012, lorsque son mari a cessé son activité. Elle est depuis lors double active.

Mais la vocation première de l’Ardennaise, qui a perdu son mari il y a huit ans, n’est ni l’agriculture, ni la coiffure mais la psychologie. « J’ai loupé mon bac et je n’ai pas voulu recommencer. Je me suis alors inscrite dans une école de coiffure. Ce métier m’a tout de suite beaucoup plu. »

Dominique Sellier-Rihoux coiffeuse eleveuse Ardennes Alain Lantreibecq 2

Pourtant la jeune Dominique se voyait plutôt soigner les âmes. Quand on a été élevée dans une commune isolée, dans une ferme elle-même située à l’extérieur du village, il peut naître alors un besoin impérieux d’échanger avec ses contemporains.

« Les cheveux disent énormément des gens, ­explique-t-elle. Si une personne ne va pas bien, cela se voit sur sa tête. En les coiffant, en les lavant, on entre dans l’intime. » Elle ose le parallèle entre la coiffure et la psychologie. « Il faut sentir ce que les clients ont envie de donner ou pas. L’avantage de mon salon est que l’on se retrouve isolé dans un endroit serein qui appelle à la discussion. Ce n’est pas la course car je prends peu de clients, ce qu’on peut dire ici ne sera jamais répété. Nombre d’entre eux sont devenus mes amis. Chez moi, on se tutoie, on prend des nouvelles des enfants, des naissances, des maladies… »

Mais lorsque Dominique reçoit une alerte sur son smartphone pour un cas d’urgence à la ferme, elle quitte l’ambiance feutrée et chic du salon. En un clin d’œil, elle enfile ses bottes et se transforme en agricultrice. « Un bon éleveur c’est quelqu’un qui aime ses animaux. C’est un métier qu’on ne peut exercer que par passion. Être agriculteur s’apparente à un sacerdoce car nos vaches mangent tous les jours de la semaine, 365 jours par an. » Coiffeuse et éleveuse, Dominique assume parfaitement cette double vie devenue triple depuis qu’elle s’est engagée en 2020 comme élue MSA du canton de Nouvion-sur-Meuse, à l’échelon local Cœur Ardennes, un intitulé qui lui va comme un gant.

Dominique Sellier-Rihoux coiffeuse éleveuse Ardennes Alain Lantreibecq

Élue bénévole pour le monde agricole

« C’est mon premier mandat en tant que déléguée MSA. J’ai beaucoup réfléchi avant d’accepter car je suis quelqu’un d’indépendant. Aujourd’hui je ne regrette pas ce choix, car il me permet de venir en aide aux adhérents en faisant remonter leurs problèmes à la caisse. En tant que déléguée, je suis aussi confrontée à la détresse.

Le problème est que les actifs agricoles qui ont des ennuis savent très bien le cacher car ils sont fiers. Quand ils ont hérité, ils ont peur d’échouer là où leurs aînés ont réussi. J’aimerais que la MSA propose une séance chez le coiffeur ou chez l’esthéticienne aux exploitants qui se cachent au fond de leur ferme parce qu’ils ne vont pas bien. Ils retrouveraient un peu de bien-être et d’estime de soi.

Ma pluriactivité me donne un avantage, elle permet de comparer ce qui se fait en dehors de l’agriculture. Pendant longtemps, mon métier de coiffeuse rapportait plus d’argent que la ferme, alors que les investissements financiers et en temps sont beaucoup plus importants dans l’activité agricole. Mon parcours montre aussi que ce n’est pas tout rose non plus dans les autres métiers. Les chefs d’entreprises sont confrontés à la même paperasse et à la même complexité administrative.

L’évolution du métier d’agriculteur m’inquiète car il faut de plus en plus d’investissements en matériel pour pallier le manque de main-d’œuvre. La difficulté de trouver des salariés agricoles fait que beaucoup d’agriculteurs se retrouvent seuls dans leur ferme. Est-ce que les jeunes vont avoir envie de sacrifier leur vie pour l’agriculture ? La question reste ouverte. Je peux leur répondre que c’est un emploi difficile et chronophage mais c’est un très beau métier dont on peut vivre décemment. »

Photos : © Alain Lantreibecq/MSA Marne Ardennes Meuse