Dans la cour du grossiste en céréales, le Merlo décrit des arabesques. Au volant du chariot télescopique, Nicolas, salarié, ne connaît pas de temps mort. Avec vélocité et précision, il plonge tour à tour le godet de son engin dans la luzerne, la drêche de blé, l’orge ou le maïs AOC, qui entre dans la composition des rations des chèvres de races alpine et saanen. C’est avec le lait de ces dernières que l’on fabrique le rocamadour.

La scène se déroule dans l’une des filiales des Fermes de Figeac, à Latronquière dans le Lot. Ce matin du 31 octobre, le ballet de l’homme et de la machine requiert l’attention d’un spectateur attentif. Aux premières loges, Pierre Pisani, conseiller en prévention des risques professionnels à la MSA Midi-Pyrénées Nord, ergonome de formation. Il observe les allées et venues. Nicolas prépare une commande de… huit tonnes !

L’homme et la machine

Mais son rôle ne se cantonne pas à jouer du godet. Il doit régulièrement quitter l’habitacle du Merlo pour compléter le mélange par des pelletées, piochées dans des big-bags, ou en déversant à la main le contenu de sacs de 25 kilos. Huile de colza, sel, bicarbonate de soude, carbonate, deltamine, stimulant de rumen… « Ce qui représente environ deux tonnes par jour et par personne », évalue-t-il.

Pierre Pisani n’en perd pas une miette. Il se livre ainsi à la première phase dite exploratoire du diagnostic ergonomique : l’observation puis l’analyse du travail réel (lire l’encadré). Avec en ligne de mire, une question : quelles solutions matérielles et/ou organisationnelles envisager pour améliorer les conditions de travail ?

Pierre Pisani n’intervient pas de son propre chef. Dans ce cas, c’est l’entreprise qui le lui demande. « Nous considérons la MSA Midi-Pyrénées Nord comme un partenaire : nous faisons appel à elle chaque fois que des axes d’amélioration sont nécessaires », indique Caroline Marty, responsable qualité-sécurité-développement durable des Fermes de Figeac. L’établissement, une coopérative agricole, compte 650 agriculteurs adhérents et 155 salariés. Six magasins et cinq filiales lui sont rattachés, dans un souci constant de recherche d’autonomie et de valorisation de l’environnement local.

Depuis 2008, les Fermes de Figeac jouent la carte de la diversification énergétique en équipant six hectares de toitures de bâtiments agricoles de panneaux photovoltaïques, produisant la même quantité d’électricité que celle consommée par les quelque 10 000 habitants de Figeac. Dernière réussite : le premier parc éolien du Lot, projet en partie mené à bien grâce au financement participatif de 174 citoyens.

Des études exploratoires

Le dynamisme de la structure doit beaucoup à sa volonté de poursuivre un management innovant. « C’est inscrit dans notre culture d’entreprise, explique Caroline Marty. Rien n’est verrouillé, nous veillons à régulièrement interroger nos pratiques et à mettre en œuvre une prévention de qualité. » C’est pourquoi, notamment, les conseillers en prévention des risques professionnels de la MSA y sont les bienvenus.

« Il y a trois ans, dans le cadre d’un contrat d’accompagnement, nous avons eu l’occasion de mener une première étude ergonomique auprès de la Cuma [coopérative d’utilisation de matériel agricole] Lot Environnement lors de la mise en service d’un pulvérisateur automoteur », confirme Pierre Pisani. Comment gérer l’organisation du travail si le chauffeur est absent ? Si la machine tombe en panne ? « Bannir le “on verra” », souffle l’ergonome.

D’autres interventions avaient également conduit à équiper la scierie d’une caméra, la rampe d’affalage de la boucherie de barrières de sécurité, d’un éclairage adapté, de tapis antifatigues et de sièges assis-debout, ou de préconiser une mise aux normes sur une désileuse automotrice. Par ailleurs, une démarche de sensibilisation aux risques psychosociaux, menée par le service de prévention des risques professionnels de la MSA Midi-Pyrénées Nord, a été suivie par la mise en place de groupes de travail.

En route vers 2020

Certaines difficultés sont remontées. Elles font l’objet d’une volonté d’amélioration formalisée dans l’axe organisation interne de stratégie 2020, la feuille de route de la coopérative pour les années à venir. Parmi les points d’évolution : une communication plus transversale, une connaissance du rôle de chacun, la reconnaissance du travail accompli, la fixation des règles de bénévolat ou la possibilité de prendre contact avec le médecin du travail en cas de difficulté.

L’après-midi de ce même mercredi, Pierre Pisani se rend dans la scierie, sise à Aynac. Rebelote : observations et entretiens exploratoires. Quelles solutions émergeront de cette analyse du travail des scieurs ? Il pourra éventuellement les modéliser en 3D sur un logiciel dédié comme il avait notamment pu le proposer à Vinovalie (l’union des caves coopératives des côtes d’Olt), lors de la conception d’un chai ou aux agriculteurs du secteur.


Philippe Millet, responsable de la prévention des risques professionnels de la MSA Midi-Pyrénées Nord.


Outre ses missions “régaliennes” (accidents mortels, fautes inexcusables, accidents et maladies professionnelles) et le partenariat avec les filières agricoles, le service de la prévention des risques professionnels de la MSA Midi-Pyrénées Nord répond aux demandes collectives de formation (manipulations des bovins, utilisations de la tronçonneuse, conduite du quad…) et aux demandes individuelles des entreprises. Parmi celles-ci, l’aide à la conception et/ou à l’aménagement des bâtiments agricoles et des postes de travail.
Le conseil d’administration de la MSA Midi-Pyrénées Nord a souhaité proposer aux agriculteurs et aux employeurs un dispositif qui puisse intégrer ces considérations le plus en amont possible des installations. Depuis 2010, nous avons signé pas moins de 400 contrats d’accompagnement humain et financier. La plupart s’adressent à des exploitations agricoles ou à des entreprises de moins de 10 salariés. Ce dispositif peut se combiner avec l’aide financière simplifiée agricole et l’aide financière simplifiée exploitant. Mais il présente l’avantage d’accompagner les agriculteurs ou les entreprises sur une plus longue durée, comme lorsqu’il s’agit de concevoir des bâtiments entiers, une salle de traite par exemple. En contrepartie, nous demandons aux bénéficiaires d’accueillir les agriculteurs du secteur qui souhaitent prendre connaissance des aménagements.

Mode d’emploi d’un diagnostic

Les différentes étapes du diagnostic ergonomique sont :

• Demande de l’entreprise, du comité social et économique (CSE), du médecin du travail, de l’assistante sociale…

Reformulation de la demande formalisée à travers une proposition d’intervention qui cadre, entre autres, l’intervention, le nombre de jours, les étapes, l’engagement nécessaire.

Démarche exploratoire (analyse du travail réel) : entretiens, observations exploratoires et éventuellement questionnaires.

Prédiagnostic : étape de validation formalisée qui détermine les points de situation du travail à aller analyser dans le détail (hypothèses de travail à valider ou non).

• Démarche systématique d’analyse du travail réel : entretiens, observations ciblées, simulations…

• Diagnostic : validation des éléments de l’analyse ergonomique.

Plan d’action : mise en place de groupes de travail pour l’élaboration d’un plan d’action.

Suivi à 6 mois, 1 an, voire plus.

Un comité de pilotage est généralement mis en place pour suivre et valider les différentes étapes de l’intervention.