Le sujet de votre nouveau documentaire s’inscrit dans la continuité de votre filmographie qui, après avoir évoqué les hommes, fait place aux femmes ?
Édouard Bergeon : Je raconte le monde agricole quasiment depuis que je suis né. Dans mes reportages de journaliste depuis 2005, avec le grand documentaire Les Fils de la terre en 2012 qui a changé beaucoup de choses, au cinéma avec la sortie de mon film Au nom de la terre qui a comptabilisé 2 millions d’entrées, dans lequel je racontais l’histoire de mon père, de ma famille et de ma mère. Et maintenant, ce film documentaire qui présente ces femmes extraordinaires invisibilisées, qui longtemps n’ont pas eu de statut et qui cochaient la case « sans profession » dans l’ombre de leur mari, alors qu’elles étaient quand même caution solidaire des emprunts signés à la banque. C’est un hommage à toutes les femmes de la terre et bien sûr à ma mère, mes grands‑mères, mes arrière‑grands‑mères. Dans le documentaire, on me voit sillonner la France et montrer les photos de ma mère et de mes grands‑mères.
Vous faites un tour de France en voiture pour brosser ces portraits ?
Je suis allé voir des grandes dames qui ont été des combattantes – elles le sont toutes – mais celles‑ci se sont battues pour leurs droits et le statut de l’agricultrice, comme Jeannette Gros, 81 ans, dans le Doubs, première femme présidente de la MSA, Anne‑Marie Crolais, 72 ans, dans les Côtes‑d’Armor, première femme présidente d’un centre départemental des jeunes agriculteurs (CDJA)* et Christiane Lambert [en photo], patronne du centre national des Jeunes agriculteurs (CNJA) puis de la Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles (FNSEA). Cette génération de pionnières permet de retracer l’histoire des agricultrices en partant de la Seconde Guerre mondiale.
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Cette épopée mène jusqu’à aujourd’hui ?
Le récit de 70 ans de combat conduit jusqu’à nos jours, avec les témoignages de jeunes femmes qui incarnent l’avenir de l’agriculture comme Claire Gervais [en photo], maman de 29 ans, qui sur son compte Instagram aligne plus de 15 000 abonnés et qui en a créé un autre baptisé La place de la femme dans l’agriculture. Cette éleveuse de vaches laitières dans la Manche est associée en groupement agricole d’exploitation en commun (Gaec) avec son frère et ses parents. Lucie Mainard, 36 ans, alias Les Jolies Rousses sur les réseaux, élève des poules pondeuses bio en Vendée. Cette ancienne enseignante communique sur sa chaîne YouTube et ailleurs sur les réseaux sociaux. Elle a créé un collectif de femmes, les Bottées, pour se souder, construire de la sororité et prendre des responsabilités dans les organisations professionnelles agricoles (OPA) et dans les coopératives. Anne‑Cécile Suzanne, 33 ans, consultante et éleveuse, a repris la ferme au décès de son père. Elle revient sur son parcours dans son livre Les Sillons que l’on trace ( parution le 24 janvier aux éditions Fayard). Elle intervient régulièrement publiquement pour évoquer son statut de femme, le métier et les enjeux à venir.
Comment avez-vous structuré votre film ?
L’épine dorsale du documentaire, c’est la famille Picard qui vit dans la Meuse. Je les ai rencontrés au mois de juin dernier. Les grands‑parents Marie‑Claude et Claude [en photo], 80 ans tous les deux, ont eu trois enfants : Estelle (54 ans), Claire (52 ans) et Guillaume (45 ans). Chacun exploite sa ferme et tous ont des enfants. Deux des petites‑filles, Angélique (12 ans) et Marion (17 ans), veulent reprendre l’exploitation de leurs parents.
Les agricultrices rencontrent-elles des difficultés ?
Oui, il y en a. Elles sont toujours moins rémunérées que les hommes. Sur le plan du travail, il n’y a pas de problème physique. Elles affirment toutes qu’elles sont l’égale d’un homme mais qu’il vaut mieux exercer son activité de façon intelligente plutôt que de le faire n’importe comment et se retrouver à 50 ans, avec un dos trop abîmé pour continuer. Elles peuvent tout faire et l’évolution du machinisme les y aide.
Comment décririez-vous cette génération ?
Ce sont des battantes. Elles représentent un quart des chefs d’exploitation aujourd’hui ; sur les bancs des écoles d’ingénieurs elles sont 68 %. Elles font bouger les choses. Elles sont actrices de la transition agro éco logique. Elles sont très fortes et souvent meilleures dans l’élevage des animaux. Dans leur parcours professionnel, elles sont parfois allées voir ailleurs. Elles accumulent déjà une expérience de vie avant de reprendre la ferme et ou mènent de front une autre activité. Elles possèdent une vision plus ouverte. Elles créent et prennent la parole dans les nouveaux médias. On les voit de plus en plus et elles ont des choses à dire, même si certaines pionnières comme Anne‑Marie Crolais ou Christiane Lambert l’avaient déjà fait depuis un moment.
Soirée spéciale sur France 2, le 27 février
Le documentaire Les Femmes de la terre de 1 h 30 propose 70 ans d’histoire de l’agriculture racontée et vécue par les femmes, de la Seconde Guerre mondiale à nos jours. Tout en suivant trois générations d’une même famille d’éleveurs et d’éleveuses passionnées, les Picard, le réalisateur fait place aux témoignages de pionnières de la conquête des droits des agricultrices comme aux nouvelles générations, rodées à la communication, aguerries aux réseaux sociaux et fières de leur métier. Les Femmes de la terre d’Édouard Bergeon est à retrouver le 27 février, sur France 2, à l’occasion d’une soirée spéciale qui réunira sur le plateau les principales protagonistes. La diffusion du film sera suivie d’un débat sur la situation en direct du SIA.
Le réalisateur et les participantes au documentaire interviendront le matin sur le plateau de MSA TV. Grâce à un partenariat signé entre la production et la MSA, des projections et différentes initiatives sont prévues tout au long de l’année au sein du réseau MSA.