Serait-ce un révolutionnaire qui s’ignore ? La question se pose en écoutant François-Régis Lenoir raconter d’une voix posée et sereine ses nombreux métiers, guère étonné par l’originalité de son parcours et encore moins par ses multiples titres : philosophe, docteur en psychologie sociale, psycho­logue spécialisé dans le mal-être agricole, chef d’entreprise à la tête de la société Puzzle concept, cabinet de formation et de prévention des risques psychosociaux, agriculteur ayant repris l’exploitation familiale de 170 hectares en polyculture (céréales, betterave, colza, luzerne), longtemps après avoir commencé ses études en psychologie.

Un père agriculteur

« Comme j’avais cette opportunité-là et un père agriculteur qui allait partir à la retraite quelques années après, explique-t-il, je trouvais que ce n’était pas mal de jouer la courroie de transmission. » De l’humour ou de l’autodérision qui peinent à dissimuler la singularité des casquettes cumulées. Lorsqu’il joue à la « courroie de transmission », il est tout jeune psychologue. Est-ce son tempérament d’intellectuel qui l’aide à transformer l’« opportunité » en expérience philosophique ?

Passer des sujets psychologiques à la ferme synonyme de « réalité physique, météorologique, comptable… » lui apporte un équilibre qui le nourrit. « L’aller-retour entre le champ de l’agriculture et le champ de la psychologie était pour moi riche. » A l’entendre, la psychologie, la philosophie et l’agriculture se complètent au point de forger sa vision du monde et d’imprégner ses méthodes de travail.

Terre et être humain fonctionnent de même façon

Pour lui, une parcelle de terre et un être humain fonctionnent de la même façon. L’une puise son équilibre de la réunion d’un certain nombre d’éléments comme le « complexe argilo-humique » (association d’argile et de humus qui fondent la richesse du sol) et d’autres caractéristiques de même nature, l’autre s’épanouit à la faveur d’un environnement social, économique et professionnel respectueux. « Ces déterminants vont permettre que la personne ait des feuilles, des fleurs, voire des fruits qui amènent à maturité et feront qu’elle dévorera la vie de manière positive », soutient François-Régis Lenoir.

Avec cette analogie arboricole que ne renierait pas tout bon paysan qui se respecte, le psychologue, philosophe et consultant en risques psychosociaux pose simplement sa conception et son approche : que l’on parle d’un individu ou de la terre, on est devant un même champ, qu’il faut apprendre à analyser de la même façon, dans son milieu.

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Comprendre la métaphore aide à comprendre sa méthode de travail, l’analyse des systèmes par la psychologie sociale, sa spécialité. Pour l’illustrer, en bon pédagogue, il cite le mal-être agricole, un sujet qu’il connaît bien puisqu’il a été référent pour accompagner la MSA Marne Ardennes Meuse dans l’application du plan de prévention suicide de 2011 : « Si vous centrez le mal-être agricole comme lié à des compétences individuelles, vous faites une grande erreur épistémologique, d’analyse et de méthode. On peut soigner les gens qui ne vont pas bien pendant des années mais si on ne réfléchit pas au système dans lequel ils vivent, si on le ne modifie pas, on ne s’attaque pas aux causes du problème. On court le risque d’avoir des crises à répétition. »

Le monde décortiqué selon les systèmes qui le travaillent et le structurent est la bonne voie pour faire émerger les solutions les plus adaptées aux maux générés. « Pourquoi, demande-t-il, dans certains secteurs d’activité du monde agricole avez-vous un taux de suicide bas et dans d’autres un taux très élevé ? Parce que le système et l’analyse des choses qui amènent au fond les gens à mal vivre ou à bien vivre ne sont pas les mêmes. » Les réponses à mettre en place doivent se hisser à cette hauteur de vue. « Il peut y avoir des causes individuelles mais quand on est devant des groupes de population qui vont mal, c’est le système qu’il faut questionner. »

Autre exemple édifiant : « Quand nos jeunes aujourd’hui ne vont pas bien et ont du mal à trouver de l’emploi… ce n’est pas parce qu’ils sont devenus fainéants. Notre système ne remplit plus sa mission de transmettre, de préparer, d’accompagner. » Dit autrement : il s’agit de l’échec collectif de nos sociétés depuis des siècles.

L’enjeu de la transmission

« Comme on peut l’avoir dans le monde agricole actuellement, concernant la transmission, signale François-Régis Lenoir. L’investissement dans la transmission n’est pas suffisant et la preuve en est que nous en sommes encore à une réduction progressive du nombre des exploitants et des exploitations agricoles en France parce qu’on n’a pas su transmettre. »

François-Régis Lenoir, 53 ans, travaille sur la notion de violence. Pour lui : « C’est le fléau de l’histoire humaine, hérité des temps anciens. » 
La violence individuelle et collective n’est pas naturelle et n’est plus justifiable. 
Preuve que l'homme est à l'aise 
dans tous les milieux, il a préparé 
et codirigé la sélection des astronautes européens 
en 2022.

François-Régis Lenoir, 53 ans, travaille sur la notion de violence. Pour lui : « C’est le fléau de l’histoire humaine, hérité des temps anciens. »
La violence individuelle et collective n’est pas naturelle et n’est plus justifiable.
Preuve que l’homme est à l’aise
dans tous les milieux, il a préparé
et codirigé la sélection des astronautes européens
en 2022.

C’est sur cette violence qu’il travaille et contre laquelle il lutte. « C’est le fléau de l’histoire humaine, hérité des temps anciens. » L’homme ne se leurre pas. « Les personnes qui travaillent comme moi sur cette question partent de très loin. On est dans un monde archaïque. On a l’impression d’être élaboré, développé. Ce n’est pas le cas. »

Ce qu’il s’active à changer à petit pas. « Quand on fait prendre conscience à une personne qu’elle peut, à son échelle de manager d’entreprise, de collaborateur, être moins brutale, plus attentive, on marque quelques points d’humanité. » Une révolution silencieuse en faveur de « notre humanité en construction ».

Photos : © Captation émission Champagne-Ardenne du 11 décembre 2014.