« Un malaise lié à la transmission, à l’arrêt du travail… »

« Le constat est connu, il y a dans le monde agricole 30 % de suicides supplémentaires par rapport à d’autres professions, lance Christiane Lambert, présidente du Conseil de l’agriculture française (CAF), en ouverture de la conférence de presse organisée le 30 juin afin de donner plus de visibilité aux dispositifs existants pour la prévention du mal-être et du risque suicidaire dans un secteur qui paie un lourd tribut, et de faire des propositions concrètes pour être plus efficaces au regard des enseignements du rapport du député Olivier Damaisin, présent lors de cette rencontre. Les plus vulnérables sont les plus âgés : « 60 % des agriculteurs qui se suicident ont entre 55 et 70 ans. Cela veut dire qu’il y a un malaise lié à la transmission, à l’arrêt du travail, un sentiment d’inutilité qui appelle une réaction quant aux solutions que nous allons apporter », précise-t-elle.

Le sujet est donc aussi abordé sous le prisme de l’enjeu du renouvellement des générations : « La question du mal-être doit être discutée sans tabous, entendue, pour ouvrir aux jeunes un métier porteur, positif. Pour qu’ils fassent le choix de l’agriculture, il faut qu’on apporte des réponses fortes au mal-être dans nos campagnes, insiste Samuel Vandaele, président des Jeunes agriculteurs (JA). C’est une opportunité pour mieux transmettre son outil. »

Des cellules d’accompagnement insuffisamment connues

Les difficultés éprouvées par certains exploitants ébranlent et mobilisent depuis plusieurs années le secteur agricole, qui est à l’origine déjà de nombreuses initiatives : cellules d’accompagnement présentes et actives dans toutes les chambres d’agriculture « avec des points communs et invariants, explique Sébastien Windsor, président des chambres d’agriculture. Elles réunissent les membres du CAF – les acteurs syndicaux, ceux du monde économique et la MSA – pour que chacun amène sa pierre à l’édifice, et elles opèrent toutes dans un niveau de discrétion extrêmement fort. Elles s’appuient aussi sur un diagnostic pour faire un point de situation psychologique, technique, financier, technico-économique. » Pour autant, elles ne sont pas suffisamment connues et identifiées (carte disponible sur le site Internet agricollectif.fr).

« L’aide au répit, un outil extrêmement pertinent »

Du côté du régime de protection sociale agricole, Jean-François Fruttero, président de la MSA Dordogne, Lot et Garonne, administrateur de la CCMSA, a mis en exergue certaines des actions déployées (voir ici) dont la ligne « Agri’écoute (09 69 39 29 19), accessible 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7, tenue par des professionnels, psychologues cliniciens, à l’écoute et en capacité de répondre à une situation d’urgence » ; les cellules pluridisciplinaires présentes dans chaque caisse – « elles embarquent l’ensemble des métiers de la protection sociale : action sanitaire et sociale, santé-sécurité au travail, prévention des risques professionnels, contrôle médical, relation de service, mis en commun pour apporter le meilleur retour à la situation ; les réseaux de sentinelles formés afin d’appréhender les situations le plus en amont possible, toujours en accord avec l’assuré. Ils sont constitués de gens en prise avec leur territoire (élus MSA et intervenants du métier agricole) ; l’aide au répit, outil extrêmement pertinent pour permettre une prise de recul, un repositionnement dans sa vie professionnelle et familiale, et repartir dans les meilleures conditions possibles. »

Accompagner les agriculteurs vers la cessation d’activité

Pointant que « les agriculteurs en fin de carrière, à la veille de leur retraite, sont les plus touchés par le suicide », Julien Rougier, des JA, a présenté le projet d’un dispositif qui ferait le lien entre activité et retraite. Ce «Passage de relais» serait assorti d’une aide transitoire à partir de 57 ans pour accompagner progressivement les agriculteurs vers la cessation d’activité et serait conditionné à l’installation aidée d’un jeune. Il a insisté sur le fait qu’« il est important de pouvoir accompagner, sensibiliser les porteurs de projets à la prise de fonction de gestion d’une entreprise – ce n’est pas quelque chose qui s’improvise, on a besoin d’être formé, d’avoir conscience des enjeux et des responsabilités. Dans cette lignée, on souhaite pouvoir développer le tutorat, le mentorat en s’inspirant de belles initiatives existant sur le territoire. »

Des mesures qui peuvent être prises rapidement

Les membres du CAF veulent aussi que le dispositif d’aide à la relance des exploitations soit plus utilisé (suggérant la prise en charge totale des diagnostics réalisés et un accompagnement dans les procédures administratives), que la possibilité soit donnée aux agriculteurs de prendre réellement l’air en étoffant l’aide au répit, ou encore que l’aide à la reconversion soit professionnalisée.

Revenant sur son rapport remis en décembre dernier au gouvernement, le député de Lot-et-Garonne, Olivier Damaisin, a quant à lui rappelé que les mesures qu’il propose sont simples, peuvent être prises rapidement et qu’il ne faut pas perdre de temps à faire un projet de loi. Il a outre indiqué que le ministre de l’Agriculture et de l’Alimentation présentera son plan d’actions contre le mal-être en agriculture à la rentrée.

Un plan d’action très attendu

Le plan interministériel sur l’identification et l’accompagnement des populations agricoles en difficulté et la prévention du suicide annoncé pour la rentrée croise les attentes des différentes composantes du conseil d’administration de la CCMSA (CFE-CGC, FGA-CFDT, FNAF-CGT, FNSEA, FO et Unaf) et « témoigne, selon leur déclaration commune rendue publique le 30 juin, de la prise en compte par les pouvoirs publics de l’importance du mal-être agricole, qui concerne à la fois les non-salariés et les salariés. Elles partagent de nombreuses préconisations des rapports du député Olivier Damaisin, des sénateurs Françoise Férat et Henri Cabanel qui visent à renforcer les actions et les moyens financiers et humains associés de la MSA en matière de prévention et d’accompagnement du mal-être. »

Les organisations patronales, syndicales et familiales soulignent également « la mobilisation de longue date de la MSA sur cet enjeu majeur en termes de santé publique, qui a conduit l’État à lui confier en 2011 le pilotage du plan suicide dans le secteur agricole ». C’est pourquoi elles proposent « que la mise en œuvre du futur plan interministériel ainsi que la coordination des dispositifs départementaux de prévention du mal-être agricole soient dévolues à la MSA, qui dispose pour ce faire de plusieurs atouts majeurs » : sa gestion multibranches lui permettant d’intervenir sur l’ensemble du champ de la prévention du mal-être ; son guichet unique, qui associe notamment le recouvrement des cotisations et les volets santé-social et prévention au travail, utile pour un meilleur repérage des personnes en difficulté ; sa compétence pour les salariés et les non-salariés, et leurs familles ; sa légitimité, en tant qu’organisme en charge de l’assurance-maladie, pour interagir avec la direction générale de la santé et les agences régionales de santé (ARS) ; son réseau de 35 caisses pour faire le lien avec tous les acteurs locaux, en s’appuyant notamment sur ses élus.

« Le rôle de coordination confié à la MSA s’effectuerait en lien avec les services de l’État, les acteurs du secteur agricole et, en premier lieu, les chambres d’agriculture pour leur intervention sur le soutien et le redressement économique des exploitations, le monde économique, les collectivités territoriales, les professionnels médicaux et paramédicaux et les associations intervenant dans l’accompagnement des populations agricoles en difficulté », concluent les signataires de la déclaration.