Quatre bâtiments vides, plongés dans un silence assourdissant. À Neuvy-en-Mauges, dans le département de Maine-et-Loire, Benoit Lemaître, 35 ans, éleveur de futurs canards reproducteurs, doit se résoudre chaque matin à ne plus entendre aucun bruit provenir de son site. L’élevage est à l’arrêt complet depuis le 18 octobre 2022. Les 17 000 canards qui emplissent habituellement les lieux de leurs cris n’y cancanent plus.
Infectés par l’influenza aviaire hautement pathogène (H5N1), ils ont été euthanasiés après le passage des services vétérinaires et sanitaires. Une mesure qui suit le principe de précaution en vigueur sur le territoire, en zone de contrôle temporaire dès la fin du mois de septembre 2022 [cf. l’arrêté de la direction départementale de la protection des populations n° 20221061] après la survenue de cas de contamination dans les environs (voir infographie « Les mesures applicables en cas de foyers ».
Abattage des élevage au nom du principe de prévention
L’abattage est la seule solution mobilisée pour enrayer la diffusion en France du virus qui décime les élevages de volailles et de canards depuis le mois d’août dernier, avec un bilan qui dépasse aujourd’hui les 4,6 millions de bêtes abattues. Ni les confinements, ni la biosécurité (mise à l’abri obligatoire des volailles selon le niveau de risque du virus) déployés par les éleveurs pour faire échec à l’épizootie n’ont empêché quoi que ce soit.
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La faune sauvage n’est pas épargnée par le fléau. Comme dans le Sud-Ouest et en ce moment en Bretagne, le virus a déferlé en Pays-de-Loire, tel un rouleau compresseur, contaminant depuis l’automne les zones où se trouvent les principaux élevages avicoles. À la date du 22 février, la région concentre plus de la moitié des 306 foyers en élevage détectés sur tout le territoire national depuis le 1er août dernier.
L’espoir d’un vaccin
« Quand on voit les symptômes arriver, on est découragé et sidéré par la situation. On peut faire tout ce qu’on veut, on est impuissant contre ce virus. C’est démoralisant. » Le seul espoir de Benoit Lemaître, pris dans la spirale de l’épidémie pour la deuxième fois dans la même année, c’est la vaccination. Celle-ci est annoncée pour septembre, selon le calendrier du plan d’action destiné à la rendre opérationnelle, communiqué par le ministère de l’Agriculture.
Mais aucune certitude et aucune information n’est donnée sur son efficacité. À l’heure actuelle sa mise au point et sa mise sur le marché représentent pour les professionnels avicoles français comme pour le jeune Neuvillois la seule solution de s’en sortir et de sauver un secteur éreinté par une crise sanitaire qui dure depuis 2021 (voir encadré sur la course au vaccin).
« On sort toutes les larmes de son corps »
« Pendant l’abattage des animaux, confie le jeune homme, on sort toutes les larmes de son corps. Je n’y suis pour rien. Personne n’y peut rien… L’épidémie est mondiale. Beaucoup d’éleveurs sont touchés. Ne rien pouvoir faire est dur à supporter. On n’est pas éleveur pour voir ses animaux mourir ainsi mais pour les élever. On les aime. J’ai perdu mon métier et tout l’aspect financier qui va avec. On perd tout. Du jour au lendemain, le ciel vous tombe sur la tête. »
Après la contamination de mars 2022, il s’était psychologiquement préparé à ce risque au moment de relancer son activité en août dernier après cinq mois d’attente. « Je suis tout seul sur l’élevage. Le principal salaire de la maisonnée, c’est l’exploitation qui l’amène. Le revenu annexe du conjoint évite tout juste la casse. »
Installé à son compte depuis sept ans, Benoît Lemaître n’a pas fini de payer les bâtiments achetés pour faire de la reproduction pour l’accouveur Grimauld frère, entreprise spécialisée dans la génétique animale. « Ils m’amènent des animaux d’un jour. Je les prépare pour que les canes soient prêtes à pondre. Puis, l’intégrateur ou l’accouveur récupère ses animaux et les emmène chez un autre éleveur pour les faire pondre. »
La course au vaccin
Selon le plan d’action pour une stratégie vaccinale des volailles lancé en décembre par Marc Fesneau, le ministre de l’Agriculture et de la Souveraineté alimentaire, une première campagne de vaccination pourrait être lancée à compter de l’automne prochain « si toutes les conditions sont réunies ». Les résultats des expérimentations de deux vaccins menés depuis mai 2022 dans quatre départements du Sud-Ouest sur les canards mulards sont attendus en mars. Au même moment, l’agence nationale de sécurité sanitaire (Anses) donnera son avis sur les différents scénarios de vaccinations pertinents. D’autres pays européens sont aussi lancés dans la course au vaccin et les résultats devraient tomber à la même période. Aux Pays-Bas, les tests sont menés sur les poulets, en Italie sur les dindes, en Hongrie et en République tchèque sur les oies. La vaccination s’annonce comme une solution à l’échelle européenne, crise sanitaire internationale oblige. D’après l’autorité européenne de sécurité des aliments (Efsa), d’octobre 2021 à septembre 2022, 37 pays européens ont été touchés, entraînant « l’abattage de 50 millions d’oiseaux dans les établissements concernés. L’Europe a subi l’épidémie d’influenza aviaire hautement pathogène la plus dévastatrice, avec 2 520 foyers chez des producteurs de volailles, 227 foyers chez des oiseaux captifs et 3 867 détections de virus chez des oiseaux sauvages ».
Ouvrier à mi-temps chez l’intégrateur
Le manque à gagner, la nécessité de payer les charges de l’exploitation en plus des crédits l’obligent à travailler ailleurs en attendant de pouvoir relancer son activité. « J’ai toujours une dette envers la banque et des prêts qui courent. Le gouvernement doit nous verser des aides. On les attend toujours. La première crise s’est produite il y a un an. Pour l’instant, je n’ai rien touché. » Il a trouvé un poste chez l’intégrateur à mi-temps. « Cela me permet d’avoir un salaire pour la maison. Et ça occupe l’esprit », admet-il.
Il espère redémarrer l’activité au mois de mai. Il le fera « la boule au ventre. Le matin, quand j’irai voir mes animaux, je me demanderai toujours si le virus ne va pas encore revenir. J’aurai toujours cette épée de Damoclès au-dessus de la tête. » Pour le moment, il n’a d’autre choix que d’attendre l’autorisation de la préfecture de remettre des animaux dans les bâtiments. « Aujourd’hui, le gouvernement nous l’interdit. Mon site a été placé en zone de surveillance, je ne sais pas pour combien de temps. Pour la reprise, c’est l’inconnu. » Et de se désoler de la situation : « Au final, on ne sait jamais de quoi demain sera fait. »