« La chute, c’est le métier qui rentre. Pas besoin de s’échauffer. Le sportif, ce n’est pas le cavalier, c’est le cheval. De vieux clichés à laisser définitivement au box », estime Karim Laghouag, champion olympique de concours complet par équipe à Rio en 2016. « Il suffit de mesurer la fréquence cardiaque d’un cavalier qui peut monter à 180 battements par minute, comparable à celle d’un coureur de demi-fond, et on se rend vite compte que c’est une activité physique exigeante. » Quand c’est un médaillé d’or qui vous le dit, le message a forcément plus d’impact. Aujourd’hui, avant d’enfiler ses bottes, l’athlète chausse systématiquement ses baskets pour une séance d’échauffement. « Il faut préparer le corps à l’effort. »

« Le temps des John Wayne est révolu »

Au début, quand il a commencé à courir, à faire des flexions, des étirements, ça a fait un peu sourire autour de lui. « Les gens ont fini par s’y habituer et j’espère même en avoir converti certains. » Il partage volontiers sa vision de l’avenir du secteur équin. « Bien sûr, un bon vétérinaire et un bon maréchal-ferrant seront toujours indispensables au bien-être du cheval. On nous annonce l’écurie intelligente qui va améliorer la qualité de vie des chevaux et faciliter celle des cavaliers, mais il ne faut pas oublier l’essentiel : être observateur, à l’écoute de sa monture et avoir du bon sens. Les mentalités sont en train de bouger. Le temps des John Wayne est révolu. Avant, face à un cheval récalcitrant, on disait, c’est un bon cavalier, il s’est battu. Maintenant, c’est l’inverse. On dit : si le cheval est facile à monter, c’est que c’est un bon cavalier.»

Sa position sur la sécurité ? « Les protections comme l’airbag sont un vrai plus. Je sais que ces équipements ont un coût élevé mais je les conseille. Ils m’ont sauvé la peau quand j’ai fait une grosse chute en 2009. » Rappelons qu’un jockey chute en moyenne une fois toutes les sept courses.

Dans le public, ce n’est pas Camille, 16 ans, qui a déjà souffert d’un trauma crânien qui dira le contraire. Blanche, 17 ans, s’est fêlé une côte et souffre d’une scoliose. Lou, 17 ans, est tombée quelques jours avant. Élèves en formation BPJEPS mention équitation au lycée Saint-Antoine, à Bois, en Charente-Maritime, elles écoutent avec attention les conseils du champion. Inès confirme : « En plus des chutes, on a plus ou moins toutes mal au dos à cause du curage des boxes. »

Réduire les accidents par la pratique du judo

Un peu plus loin, leurs professeurs veillent. Daniel, qui enseigne l’hippologie et l’équitation, et Alexis, responsable formation, expliquent : « Cette journée est une belle opportunité pour eux de rencontrer les différents acteurs de la filière. Ils seront, en tant que futurs moniteurs d’équitation, en première ligne et garants de la sécurité des personnes qu’ils seront amenés à former à leur tour. » Ce diplôme permet d’enseigner et d’animer l’équitation jusqu’aux premiers niveaux de compétition.

Les élèves en formation BPJEPS mention équitation au lycée Saint-Antoine, à Bois, en Charente-Maritime, écoutent les conseils prodigués lors de cette journée. © Alexandre Roger/Le Bimsa
Les élèves en formation BPJEPS mention équitation au lycée Saint-Antoine, à Bois, en Charente-Maritime, écoutent les conseils prodigués lors de cette journée. © Alexandre Roger/Le Bimsa

Camille veut devenir gendarme à cheval, Clémence, tout comme Marine, lorgne du côté du monitorat et Blanche veut travailler dans l’équithérapie, pour soigner les enfants au contact des chevaux. De belles ambitions…à condition que le corps suive pendant toute la carrière. Elles ont bénéficié cette année d’un programme expérimental en partenariat avec la MSA des Charentes et l’institut français du cheval et de l’équitation (IFCE), qui vise à réduire les accidents professionnels par la pratique du judo. « C’est une très bonne école. On n’apprend pas à tomber du cheval mais à chuter de manière générale », poursuit Daniel. « Avec le judo, on devient acteur de sa chute », confirme Blanche.

Rappelons que le secteur hippique est la deuxième filière la plus à risque en termes de fréquence d’accidents du travail. La majorité des accidents ont lieu au contact du cheval et mettent en cause une réaction de l’animal.

D’abord rassemblés au siège de la MSA des Charentes pour la théorie, les pros et les futurs pro de la filière ont galopé jusqu’au Haras national de Saintes pour la pratique. Les élèves ont particulièrement apprécié l’exposé des recherches de Léa Lansade, chercheuse Inra/IFCE. Il répondait parfaitement à l’objectif de la journée qui visait à donner aux pros et aux futurs pros des outils pour améliorer le bien-être de l’homme et de l’animal pour travailler mieux et plus longtemps. « Ça nous fait réfléchir sur notre façon de pratiquer le pansage au quotidien », commente Blanche.

Olivier Puls, écuyer du Cadre Noir/IFCE :« Il faut avant toute chose établir une relation de confiance si l’on veut rentrer dans une communication respectueuse avec sa monture ». © Alexandre Roger/Le Bimsa

Le pansage, qui consiste à l’entretien du cheval par diverses actions de brossage et de nettoyage, est une pratique de base mais à laquelle les cavaliers sont peu sensibilisés. « Cette activité est loin d’être anodine, que ce soit pour la sécurité du cavalier, comme pour le bien-être du cheval », explique Léa Lansade. Son conseil : « Mettre son gilet et sa bombe dès l’arrivée au club hippique, car un traumatisme crânien sur deux a lieu alors que le cavalier est à pied. »

Les résultats de ses recherches sont consultables en ligne sur Equipedia, le wikipedia de l’équitation (fiche pansage). « Une première étude a consisté à faire un état des lieux des pratiques sur le terrain sur 69 cavaliers. Tous les cavaliers ont présenté au moins une fois un comportement dangereux et neuf incidents (les dents ou les sabots sont passés à moins de dix centimètres de la tête du cavalier) ont été relevés. À noter que les comportements imprudents se retrouvent autant chez le cavalier confirmé que chez le débutant.» La seconde étude a permis de proposer des solutions d’amélioration, en préconisant une pratique plus adaptée, qui a des effets positifs et concrets sur le comportement et la physiologie du cheval.

Un toucher plus subtil

« Nous ne sommes pas suffisamment attentifs aux signaux que l’animal nous renvoie et qui sont pourtant nombreux », explique Martine Hausberger, directrice de recherche au CNRS de Rennes. « Une position de queue, d’encolure ou d’oreilles particulière doit nous alerter. Les étapes qui mènent à la morsure sont pourtant connues et identifiées, indique la chercheuse, diaporama à l’appui. Les chevaux ont un toucher plus subtil et perçoivent une plus grande gamme de sons et d’odeurs que nous. Ils peuvent réagir à un véhicule ou un vêtement marqué par l’odeur d’un congénère stressé. Le cheval présente également une grande sensibilité tactile sur toute la surface de sa peau. Il est capable de détecter une mouche qui se pose à n’importe quel endroit de son corps. » Derrière ces monstres de muscle se cachent des êtres sensibles et délicats.

L’histoire de Red d’Agemont, ancien sauteur, rétif au travail et présentant des comportements dangereux, est à ce titre exemplaire. Olivier Puls, écuyer du Cadre Noir/IFCE, accompagné de son collègue Nicolas Sanson, démontre « qu’il faut avant toute chose établir une relation de confiance si l’on veut entrer dans une communication respectueuse avec lui. Pour cela, il faut que le cheval nous associe à quelqu’un qui répond à ses besoins (de liberté, de brouter, de contact avec d’autres chevaux …). Dès que cette communication est établie, on peut multiplier les apprentissages en utilisant des renforcements négatifs ou positifs en fonction de la difficulté de la tâche. Rencontrer Red d’Agemont a aussi été une chance pour moi. J’ai pu, grâce à lui, constater les effets des renforcements positifs. C’est une grande satisfaction de sortir un cheval d’un état où il n’était pas heureux », constate celui qui, au terme de domptage, préfère celui d’éducation et d’autorité bienveillante.