À la fois responsable de la prévention des risques professionnels à la MSA de Franche-Comté jusqu’au mois de mars dernier et employé d’un service de remplacement (SR) le week-end pour nourrir sa passion du métier d’éleveur laitier, Julien Breuillard arbore un profil atypique. Cette double casquette fait de lui la personne idéale pour comprendre l’intérêt de la création d’une application permettant de sécuriser le remplacement, en particulier au moment stratégique de la transmission des instructions à celui ou celle qui sera en charge de la bonne tenue de la ferme de l’agriculteur en son absence.

Une fiche entreprise 2.0

Julien Breuillard MSA Franche-Comté
Préventeur le jour et agent de remplacement le week-end


« En dehors des périodes qui peuvent être anticipées comme les congés, les remplacements se font souvent à la hâte parce que l’exploitant est malade ou qu’il vient de subir un accident. Dans ce cas, on demande à un professionnel de prendre le relai du jour au lendemain, dans une ferme qu’il ne connaît pas, avec du matériel et des procédures qui lui sont inconnus.
Cette situation génère du stress dans un lieu qui est un nid à accidents. Dans les exploitations agricoles, il y a des trous, des outils, des animaux : le cocktail idéal pour qu’un incident survienne.

En échangeant avec les représentants des services de remplacement avec lesquels l‘institution travaille régulièrement, nous sommes arrivés à la même conclusion : les tableaux de consignes financés par la MSA et utilisés actuellement ne sont plus suffisants à l’ère moderne où les agriculteurs gèrent de plus en plus leurs fermes depuis leurs téléphones portables. » L’idée de créer une application mobile s’est tout naturellement imposée.

Pour concrétiser cette volonté commune, une convention initiée en janvier 2020 est signée en avril dernier entre les caisses MSA de Bourgogne et de Franche-Comté et le service de remplacement de Bourgogne Franche-Comté.

La première étape du projet d’application SR consiste à créer un groupe de travail le plus large possible. Pour cela, Julien Breuillard réunit autour de lui élus MSA, représentants des services de remplacement et de syndicats agricoles. Ils construisent ensemble un cahier des charges après une enquête menée auprès des utilisateurs du service. Ses conclusions les confortent dans l’intérêt du projet, tout comme l’absence de ce type ­d’applications sur le marché. Restait à trouver une entreprise pour construire une réponse technique. Une start-up de Pontarlier est sélectionnée pour s’y atteler.

L’outil, dont la phase de développement doit se poursuivre jusqu’en 2023, se décompose en deux parties. D’un côté, une interface Web qui permet à l’agriculteur qui sollicite le service de remplacement de créer une fiche entreprise sur laquelle il va porter les renseignements nécessaires à la bonne tenue de son exploitation, avec la localisation des parcelles, des troupeaux, des vannes d’arrivée d’eau, des compteurs électriques, avec des directives sur les phases de travail et la bonne utilisation des machines, le tout illustré à l’aide de photos ou de vidéos pour en faciliter la compréhension. De l’autre côté, elle permet aux employés des services de remplacement de retrouver ces informations directement sur leur smartphone via une application pour exécuter leur travail plus sereinement et rapidement tout en diminuant le risque d’incidents potentiels.

Un soutien à la parole d’agriculteur

« Ce qui est très sécurisant pour nous, c’est qu’avant même l’arrivée sur le lieu de sa mission, le remplaçant va pouvoir consulter sur son téléphone l’ensemble des informations nécessaires pour travailler en notre absence », se félicite Mickaël Paris, président du service de remplacement du Doubs et producteur laitier en Comté Morbier. Il fait lui-même appel au service entre 20 et 40 fois par an pendant ses périodes de congés et d‘engagements syndicaux. « J’ai moi-même testé l’interface en cartographiant chaque parcelle de ma ferme en un peu plus d’une heure, poursuit-il. En décomposant ma journée de travail pour la rentrer dans l’appli, je me suis rendu compte de la multitude d’étapes et de tâches différentes qu’elle comprend mais aussi de la difficulté qu’on avait pour tout faire tenir sur un simple tableau de consignes. Cette appli vient en soutien à notre parole d’agriculteur. Je suis tellement convaincu par son concept que je me demande pourquoi on n’y avait pas pensé avant. »

À chaque étape du développement de ce nouvel outil, une attention toute particulière a été portée à sa simplicité d’utilisation. « Pour que l’appli fonctionne, il faut que les exploitants se l’approprient et remplissent leur fiche de façon exhaustive, prévient David Noël, conseiller en prévention des risques professionnels, actuellement en charge du dossier à la MSA de Franche-Comté. C’est pour cela que l’on met tout en œuvre pour rendre l’outil le plus intuitif possible et permettre son adoption pour le plus grand nombre. »

La force de l’image

Le bon en avant permis par le numérique en termes de précision, de qualité et de disponibilité des consignes a impressionné les premiers utilisateurs du service qui ont pu tester la version initiale de l’appli. « Les agriculteurs qui l’ont essayée ont beaucoup apprécié de pouvoir localiser de façon fine leurs parcelles, en disposant de la possibilité de zoomer sur un îlot où se trouve, par exemple, un puits pour abreuver les animaux, souligne Dominique Regnier, conseiller en prévention des risques professionnels à la MSA Bourgogne. La force de l’image aide à faire comprendre rapidement l’utilisation d’un matériel ou d’un processus. Elle représente également un plus pour les personnes qui ont des problèmes de lecture liés à une dyslexie ou dysorthographie [trouble de l’acquisition de l’orthographe, NDLR]. Des handicaps qui peuvent entraîner des difficultés de compréhension des consignes données.

Nous constatons sur nos territoires que l’appétence pour les nouvelles technologies n’est pas uniforme chez les agriculteurs. L’application, malgré ses innombrables avantages, ne sera pas forcément adaptée à tous ni partout, parce qu’il reste des endroits peu ou mal couverts par le réseau 4G. Mais on a bon espoir qu’elle entre dans le quotidien de la majorité d’entre eux, même si la fracture numérique reste une réalité. Car c’est vraiment une avancée majeure en termes de santé et sécurité au travail. »

Ne laisser personne de côté

« L’appli est très attendue par la profession mais on réfléchit encore à la meilleure façon d’accompagner ceux qui pourraient être refroidis par le côté technologique du projet, car on ne veut laisser personne de côté, explique Jean Leconte, délégué régional du service de remplacement de Bourgogne Franche-Comté. Nous nous donnons du temps pour que le projet réponde parfaitement à nos attentes et pour intégrer les retours des tests en réel. C’est une belle aventure et un exemple de co-construction par la profession réunie autour de la MSA. »

« C’est le fruit d’un travail collaboratif entre les professionnels, les interprofessions et la MSA, confirme Julien Breuillard. À partir d’un besoin de terrain, on a apporté une réponse structurée et constructive. L’institution détient en cela un réel atout car, par l’intermédiaire de son réseau d’élus et de ses équipes de professionnels ultra spécialisées, elle possède une vraie connaissance des métiers et du terrain. La naissance de ce projet en est la démonstration parfaite. »

Photo d’ouverture : © Franck Beloncle/CCMSA Image