« Je vais sur le terrain : je discute, je bois des canons, je récolte des pleurs et des rires. Parfois, c’est même moi qui fais le café. Un soir, je me pointe chez un éleveur, célibataire, le moral dans les chaussettes. Le matin, je lui avais promis de venir l’aider à traire ses huit vaches à la main, accompagné de mon cameraman. Il débarque avec une casquette neuve. Nous prenons chacun un tabouret et nous commençons à presser les mamelles. C’est ainsi, assis dos-à-dos, sous l’œil de l’objectif, que les langues ont fini par se délier peu à peu. Je n’ai jamais été aussi fier de ma vie. »

Le dernier spectacle d’En compagnie des oliviers : des comédiens au top !

Look de rockeur à la pilosité très « ZZ Top », le groupe de rock américain qui a fait de ses poils un emblème, Jean-Pierre George, stature charpentée bien stabilisée sur ses prothèses de jambes, est un homme de théâtre dont la sensibilité est développée et le contact naturel. Sa méthode à lui, inchangée, c’est le vécu des uns et des autres. Pour parler aussi bien des paysans, il faut bien l’être soi-même un peu dans l’âme.

Un certif d’étude en insémination en poche

Depuis plus de vingt-cinq ans, il livre une chronique sans pareille de la vie agricole. « Je suis le seul metteur en scène qui possède un certificat d’étude en insémination », badine-t-il. Quand Louis Jouvet était diplômé en pharmacie, Antoine Vitez en russe et Patrice Chéreau, en allemand. Toutes choses a priori superfétatoires en matière agricole… quoique.

Et peut-être bien que Jean- Pierre George possède également un diplôme d’accoucheur. Pas des corps, mais des esprits. Sa dernière pièce en atteste encore. Créée le 17 novembre dernier à Montrond-lès-Bains, dans la Loire, Le temps des lilas est la suite des vicissitudes de Sarah, éleveuse de porcs. Une épopée commencée avec Les semailles d’automne, sur le thème de la précarité en agriculture.

Cette fois-ci, nous retrouvons l’héroïne aux prises avec les séquelles d’un accident vasculaire cérébral(1). Langage fleuri – le psy dit « sans filtre » – bégaiement, paralysie, béquille et chansons tristes jouées d’une seule main au piano sont ses nouveaux atours.

C’est toute l’ombre de l’auteure-interprète Barbara qui plane sur ce spectacle comme s’il se trouvait sous les ailes d’un aigle noir.

Moins de rigolades, si ce n’est les boutades « d’Albine-la-voisine » : « À sa sortie du centre de rééducation, y’a un mec en cravate qui est venu lui conseiller de suivre une formation en conseil gestion informatique : elle lui a lâché le patou, le gars court toujours ! ».

Si ce n’est les boutades d’Albine, donc. Il faut dire qu’on est dans le dur : le maintien en emploi après un handicap acquis (apparu au cours de l’existence). Et ce n’est pas comme si nous n’avions pas été prévenus : « Je ne vais pas vous promettre du sang, de la sueur et des larmes, comme Winston Churchill, mais de l’émotion, de la joie et de la tristesse », déclare avec tempérance Philippe Monod, administrateur de la MSA Ardèche Drôme Loire, dans son allocution liminaire.

Quasi aucune fausse note, maestro !

Dans la salle, les premiers retours, à l’issue de la représentation, sont valorisants. « J’ai retrouvé à 90 % les étapes de mon propre parcours, quasi aucune fausse note, vous êtes dedans, merci ! », témoigne une personne en situation de handicap. « Vous avez très bien traité le thème, renchérit un autre spectateur, tant sur la rage que sur le désespoir, et pour ma part, j’ai vécu des moments encore plus compliqués. »

Encore un effet de la fulgurance de Jean-Pierre George, qui dit écrire ses pièces comme Mozart composant son requiem dans le film de Miloš Forman, Amadeus : « Je m’installe devant mon ordinateur et c’est comme si je voyais le spectacle : j’écris en deux, trois jours la mise en scène et la scénographie ».

Et pour la première fois, il se paie même le luxe de faire dialoguer la vidéo avec la scène. Jolie prouesse, maestro !

(1). L’histoire de Sarah est à retrouver ici : encompagniedesoliviers.com

Découvrez aussi La Belle Vie, un spectacle théâtral et musical plein d’humour proposé par la MSA Ardèche Drôme Loire avec En compagnie des oliviers : à lire ici.